Les trains qui attendent
Premier janvier. La gare est déserte. Je suis seul. Des trains attendent. Certains viennent d’arriver, d’autres prennent du service. Devant eux, les rails se croisent, se perdent à l’horizon. Où mènent-ils? J’hésite. Je pourrais m’arrêter là, m’établir dans le patelin de la facilité. Non ! Pas pour moi! Alors… ? Il y a celui duquel je descends à peine. La routine, son confort, ses aléas. À quoi bon, il ne roulera plus. Il y a le plus gros, le plus long, ses propres incertitudes, ses promesses d’aventures ou de malheur. Les autres ? Leurs couleurs m’attirent, mais pas maintenant. Pas maintenant. Alors… ?
Deux ans. Cinquante textes. Des bons, des moins bons. Quarante et un mille cinq cent vingt-six mots. Une expérience extraordinaire. J’ai souri, j’ai douté, j’ai rêvé. Écrire n’est pas facile. Trouver le sujet, faire la recherche, trouver les mots. Écrire fait du bien, porte à réfléchir, apprend. Sur le monde, sur soi.
Le cœur gros, j’écris ce billet. Mon dernier.
Une année nouvelle arrive. De nouveaux défis, des gros, des enivrants, des inquiétants. Des choix à faire, des choix difficiles.
La vie fourmille de choix. À chaque instant. Là, en ce moment, vous choisissez de me lire. Qu’en sera-t-il à la fin de ce paragraphe ?
Jusqu’à la fin de l’adolescence, on choisit pour nous. Ensuite, c’est notre tour. Enfin, déjà. On comprend alors. Choisir fait peur.
Je suis privilégié. Des choix se sont toujours offerts. Merci à mes parents, merci à la vie. Terminer le secondaire, le CÉGEP ou joindre le marché du travail. J’ai choisi d’étudier, les soirs, des nuits, de louper les partys avec les amis. Je pouvais être ingénieur, médecin de famille. J’ai choisi la spécialité, l’anesthésiologie. Plus tard, la télévision du salon me courtisait. J’ai choisi de lire. Un soir, je m’assois devant le clavier, je choisis d’écrire. Un roman est édité. Un jour, quelqu’un que j’estime me propose d’écrire des textes pour Le Chat Qui Louche, ce blogue que vous avez choisi de lire. On me laisse libre. Quelle audace ! Quelle confiance! J’ai choisi de foncer, moi, le docteur, de mettre des mots sur un écran pour les autres, de me dévêtir de ma pudeur, de me mettre à nu sur tout et sur rien. Une expérience grandiose. Mais toute bonne chose a une fin. Le contexte change, le temps passe, d’autres choix s’offrent. Des défis à trier. Des décisions déchirantes pour les priorités du moment. Des choix difficiles.
Je choisis de descendre du train, d’en prendre un autre. Je choisis de quitter le Chat Qui Louche, à titre de chroniqueur régulier. Je choisis de décevoir mon mentor, et ami. Je choisis de me concentrer sur ma profession et ses engagements. Je choisis de lire pour lire, d’écrire sans tombée.Car j’écrirai encore. Entraîné dans la marmite, je ne peux en sortir. Des textes passeront, ici, ou ailleurs. D’autres livres peut-être. Et qui sait, en enfant prodigue, je choisirai peut-être de revenir aux loucheries régulières.
Chers lecteurs, merci d’avoir choisi de me lire, de m’avoir encouragé. Vous étiez nombreux, je le sais. Vos commentaires me manqueront. Vos « J’aime » aussi. Les choix portent à conséquences. Écrivant ce dernier texte, j’ai l’impression de vous trahir. Vous me pardonnerez sans doute. La vie est comme ça. Et il y a tant de talent dans ce magazine ! Cette idée me console.
Aucun mot n’évoque la gratitude que je ressens pour l’homme qui a cru en moi. Mille mercis, Alain. Pardonne-moi de partir. Un jour, quand je doutais, tu m’as écrit : « Tous les métiers s’apprennent. » Tu avais raison. J’ai écrit, j’ai appris. Sans toi, ma vie d’auteur se serait éteinte au premier livre. Aujourd’hui, ça continue, mais autrement. Merci pour tes conseils, tes encouragements. Je te dois ces réflexions avant les mots. Et à réfléchir, on devient quelqu’un. À jamais, je t’en serai reconnaissant.
Bientôt, une année nouvelle. Des trains attendent. Nous en partagerons un. Je serai là, avec vous, tous les deux jours, je choisirai de lire Le Chat Qui Louche.
Bon voyage 2013.
(Cette fin d’année est triste. Le Chat perd un collaborateur fidèle, et je ne connaîtrai plus cette proximité du travail aux quinze jours avec celui que je considère comme un ami. Jean-Marc Ouellet apportait dans notre blogue une rigueur scientifique mariée à une curiosité insatiable. Il travaillait avec acharnement à rédiger des articles très informatifs et documentés, dans un style concis et clair, qui correspond à sa personnalité franche, sans détour. Son humanisme ressortait de chacune de ses interventions. Depuis deux ans, il a été un des piliers de cette aventure littéraire que représente un magazine littéraire électronique. Tu vas nous manquer, Jean-Marc. Mais la porte t’est toujours ouverte… Je pense parler aussi pour tes lecteurs et lectrices en te souhaitant la meilleure des chances dans toutes tes entreprises. Bon vent, mon ami. AG)
Notice biographique
Jean-Marc Ouellet a grandi sur une ferme du Lac-des-Aigles, petite municipalité du Bas-du-Fleuve, puis à Québec. Après avoir obtenu un diplôme de médecine de l’Université Laval, il a reçu une formation en anesthésiologie. Il exerce à Québec. Féru de sciences et de philosophie, il s’intéresse à toutes les littératures, mais avoue son faible pour la fiction. Chaque année, depuis le début de sa pratique médicale, il contribue de quelques semaines de dépannage en région, et s’y accorde un peu de solitude pour lire et écrire. L’homme des jours oubliés, son premier roman, a paru en avril 2011 aux Éditions de la Grenouillère. Depuis janvier 2011, il publie un billet bimensuel dans le magazine littéraire électronique Le Chat Qui Louche(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)
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