Quand est annoncé le projet de relancer Judge Dredd au ciné, le personnage revient de loin : le souvenir tenace de l'adaptation Disney de 1995 avec Stallone dans le rôle-titre s'impose encore à tous (ainsi que sa version française désopilante, dont on se hurle parfois quelques répliques en soirée). Originellement un personnage de comics anglais apparu dans la revue de science-fiction 2000AD, Judge Dredd évolue dans une Amérique futuriste dévastée et gangrenée par la violence. Au sein de cette société corrompue, les Juges ont les rôles de policiers, juges, jury et bourreaux. Brian Bolland, dessinateur régulier sur la série, disait qu'il aimait la propension des divers scénaristes à instiller le doute quant à ce que le lecteur pouvait ressentir face à Dredd, sympathie ou aversion, en tous cas, un sentiment mitigé face à son inhumanité flagrante…
Le Dredd version 2012 réunit un pool de talents britanniques choisis pour réparer l'infamie : le scénariste Alex Garland (un habitué de Danny Boyle), le dessinateur de comics Mark Simpson en tant que concept artist, et le réalisateur de Angles d'attaque (Pete Travis) qu'on cite car il bénéficierait de l'appui du créateur du personnage, John Wagner, impliqué dans la production… bref, bonne volonté et ambition font partie du projet à ses débuts.
Conscient des fautes de goût à réparer, le film s'en tient au minimum syndical, dans un souci de déférence au comic-book dont il est tiré : le nom de Judge Dredd est cité avec parcimonie, la punchline identitaire "I am the law", tout autant, et on ne verra du visage qu'une mâchoire renfrognée sous le casque monumental, contrairement au film de 95 qui nécessitait que Stallone montre son joli minois. Ici, Dredd est accompagné du Juge Anderson, une rookie qui s'avère être le personnage le plus intéressant du film (back-story et évolution sur place à l'appui), incarné par une Olivia Thirlby dont la finesse inattendue du jeu, mal assuré, sauve partiellement le film de la faillite.
Quant à Lena Headey, en pause de mi-saison pour Game of Thrones, elle pratique une diction lancinante derrière les cicatrices pour incarner la figure matriarcale à faire tomber, sans grande conviction et pas aidée par un scénario trop léger.
Judge Anderson, rookie à la journée bien remplie
Il faut un moment pour s'habituer à la photographie fluo du film, absurde et décalée, qui ne colle pas en premier lieu avec le ton badass voulu du film. Puis, à mesure qu'avance l'intrigue et son système de progression par la violence, on note comme le côté comic-book du film doit à ses tonalités étranges, ces effets visuels tranchés et bizarrement intégrés, permettant d'envoyer au carnage un nombre assez important de belligérants, le tout avec une certaine distance : frondeur et tout aussi froid, le Dredd 2012 s'assortit d'une classification R pas volée, dont l'esthétique faussement pop permet tous les outrages graphiques.Mais quand le réalisateur réussit enfin à poser une atmosphère efficace et à créer des plans intéressants à vertu iconique (totalement gratuits), ceux-ci durent à peine suffisamment longtemps pour qu'on s'en souvienne et le montage laisse vraiment sur sa faim quant au personnage principal, dont une fois n'est pas coutume, on apprend vraiment trop peu de choses. A trop vouloir se montrer déférent face au matériel qu'il adapte, Pete Travis se perd en route et dilue tout le travail effectué en amont dans un magma d'effets tristes, dont la faute de goût notable est son recours constant à des ralentis oniriques dégoutants qui devraient être interdits.
Malgré son identité originale, le film souffre d'un rythme étonnamment lent pour un film d'action, comme à la ramasse et calquant sa progression sur la démarche monolithique de son héros ; étonnamment, la production du film (et sa sortie) se sont faites en même temps que celle de The Raid, film indonésien réalisé par Gareth Evans, et véritable uppercut dans le cinéma d'action actuel où la similitude des intrigues frappe d'entrée de jeu : dans les deux cas, on parle d'une unité d'élite envoyée à l'assaut d'un immeuble condamné dont il faut nettoyer les étages. Une comparaison qui se fait au détriment de Dredd, tant The Raid renouvelle à chaque instant le marché fort encombré de l'actionner avec son action invraisemblable, sa réalisation foutrement inspirée et son montage au cordeau. Dredd, lui, avance tranquillement, défouraille et se traîne lamentablement pendant trop longtemps dans une action unidimensionnelle mal écrite.
Dans le rôle titre, Karl Urban s'en tient au modèle lapidaire de papier (seule sa voix lui accorde une largeur de jeu) et l'uniforme ne cache pas la carrure moyenne de l'acteur, loin de la bête de foire imaginée par John Wagner et Carlos Ezquerra, à juste titre interprétée par Stallone précédemment. D'ailleurs, on se permet de penser que vu la filmographie récente du bonhomme (Rambo 4, Rocky Balboa, Expendables 1 et 2) et ce qu'il symbolise à présent (une antiquité magnifique), un nouveau Dredd qu'il incarnerait à son âge canonique se rapprocherait davantage d'une version live du Dark Knight Returns de Frank Miller, que de la foire aux cons comme ici.
Annoncé un moment en salles, Dredd devrait s'échouer sous peu sur les rives du direct-to-DVD en France, après son échec à s'imposer au box-office américain. Avec cette tentative, le personnage devrait malheureusement connaître de nouveau les affres de la traversée du désert… pour se consoler, il reste les intégrales des Complete Case Files, en cours de publication chez Soleil US.
Ci-contre, mon exemplaire de Judge Dredd #1 (pour la frime, on est d'accord). Couverture de Brian Bolland, cité précédemment.