On y vient, à la grande déréglementation. Les élections présidentielle et législatives avaient ouvert, pour certains, la porte à l’espoir d’un retour à la norme dans les relations sociales. Au mois de septembre, au cours d’une grande conférence sociale, le premier ministre a invité les partenaires sociaux à négocier sur la sécurisation des parcours professionnels. Dans un pays où le nombre officiel de chercheurs d’emploi dépasse durablement les 3 millions, le parti dit « sérieux » a donc fait le choix de ne pas recourir à la loi pour sécuriser l’emploi. Ce choix, à la base, est contestable. Dans les faits, l’organisation politique du CAC 40, le Medef, profite du retrait gouvernemental pour avancer à marche forcée dans la voie de la déréglementation du marché du travail.
L’attaque est grave. Et amène les organisations syndicales à appeler, de manière unitaire, à des manifestations, jeudi 10 janvier, notamment à Paris devant le siège du Medef. Nous y serons, j’espère croiser nombre d’entre-vous. Elles ont signé un communiqué commun, dans lequel elles dénoncent :
Depuis plusieurs semaines, des négociations sont en cours, entre les organisations d’employeurs et les syndicats de salariés. A la demande du gouvernement, cette négociation devait avoir comme objectif : la sécurisation de l’emploi !
Or, cette négociation s’oriente vers une plus grande flexibilité telle que l’exige le Medef. Elle ne répond pas à la situation d’urgence sociale, de précarité galopante et d’explosion du chômage. Pour les organisations syndicales signataires, c’est inacceptable !
Vous trouverez ici, les propositions du Medef sur le « marché du travail« . Pour celles et ceux d’entre-vous qui n’auraient pas le temps de s’y plonger, je vous fais le résumé des « points forts » des propositions patronales :
- La mise à mort du CDI en généralisant les contrats de projets/mission et les contrats à durée indéterminée intermittents,
- Contournement du licenciement économique par la création de nouvelles procédures,
- Encouragement du chantage à l’emploi au travers de la généralisation des accords dits « compétitivité emploi », amenant à une baisse des salaires sous prétexte de préserver l’emploi,
- Difficulté plus grande pour la réparation aux prud’hommes (12 mois au lieu de 5 ans pour réclamer des salaires, limitation des dommages et intérêts…),
- Possibilité d’un motif de licenciement imprécis,
- Obligation d’accepter un nouveau poste s’il est situé à moins de 50 km ou 1 h 30 de trajet, sans indemnités de déplacement/transport,…En cas de refus, le salarié verrait ses indemnités chômage réduites et ne pourrait pas contester juridiquement son licenciement.
C’est donc une dérégulation complète du « marché du travail » qu’exige le patronat. Laurence Parisot ne s’en cache pas. Elle explique doctement son pourquoi du comment en prenant appui sur la dégradation de la France par l’agence de notation Moody’s sur les marchés financiers. Son propos mérite un verbatim :
Pour améliorer la compétitivité, le marché du travail doit être rendu plus flexible. Nous ne signerons pas d’accord si du côté des organisations syndicales, il n’y a pas une acceptation des principes que nous mettons derrière la notion de flexibilité. Un échec de la négociation sur le marché du travail peut être très mal interprété par les marchés. Cela aurait des conséquences désastreuses…
Les investissements étrangers seraient donc en danger. Ce qui est ballot pour la dame, c’est que son propos idéologique ne résiste pas deux secondes devant la réalité des faits. La France, en 2011, a été le 2e pays de la zone euro pour l’implantation ou la reprise d’activités par des entreprises étrangères, selon l’Agence nationale pour les investissements étrangers. La dite Agence met en avant les raisons de ces choix :
L’étude de KPMG « Choix concurrentiels » sur la localisation des entreprises à l’échelle internationale compare les coûts d’implantation et de fonctionnement des entreprises dans neuf pays industrialisés et cinq émergents. Elle place la France en bonne position, devant les Etats-Unis, l’Allemagne, le Japon, l’Australie et l’Italie :
coût complet de la main d’œuvre (salaires, charges obligatoires et autres) inférieur en France à celui observé aux Etats-Unis, en Allemagne, aux Pays-Bas ou au Japon
De facto, Laurence Parisot et le Medef n’utilisent l’économie que comme cache-sexe de leur vision politique. Il s’agit de faire du « marché du travail », un marché aussi concurrentiel que les autres, dans lequel on pourra vendre la marchandise humaine comme on vent du cacao.
Bonus littéraire :
« Le point faible de leur position consiste en ce qu’ils sont simplement des hommes d’affaires. Ils ne sont pas des philosophes : Ils ne sont ni biologistes ni sociologues. S’ils l’étaient, tout irait mieux, naturellement. Un homme d’affaires qui serait en même temps versé dans ces deux sciences saurait approximativement ce qu’il faut à l’humanité. Mais, en dehors du domaine commercial, ces gens-là sont stupides. Ils ne connaissent que les affaires. Ils ne comprennent ni le genre humain ni le monde, et néanmoins ils se posent en arbitres du sort de millions d’affamés et de toutes les multitudes en bloc. L’histoire, un jour, se paiera à leurs dépens un rire homérique. »
(Extrait de Le Talon de fer, de Jack London)
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Bonus vidéo : Dropkick Murphy « Worker’s Song »