Par Joseph Macé
On oublie trop souvent que le XVIIe siècle, derrière ses imposants ordonnancements, fut aussi le règne de la fantaisie, de la nouveauté et du burlesque.
Dix-septiémiste et romancier, Jean-Paul Desprat nous le rappelle dans son Dictionnaire des curiosités (1). Quel bouillonnement ! Combien de rus souterrains parcourent ce Grand Siècle dont certains nourriront le fleuve révolutionnaire. L’Académie putéane, ou cabinet Dupuy, ouvre le bal. Elle rassemblait des politiques mais aussi le futur cardinal de Retz et même le jeune Bossuet. Libertinage érudit ? Les invités dans l’hôtel de Thou, à Paris, constituaient surtout un concert d’esprits déniaisés. L’ouvrage se termine par l’entrée « Vocabulaire précieux ». Le lecteur est invité, cette fois, chez Mme de Lafayette ou Mlle de Scudéry. Saint-Simon en parle comme d’« académie de galanterie, de vertu et de science ». Ce babil qu’un Saint-Évremond trouve « ridicule » est juste en train de faire sauter le corset de la langue sous couvert d’une affectation délicate.
Diderot et les encyclopédistes ne désignaient Versailles que par la méprisante expression « à quatre lieux d’ici », apprend-on chez Desprat. Diderot, qui « poursuit avec nous une conversation qui n’a pas de fin », comme le montre Jean-Claude Bonnet, qui vient de rééditer sa promenade buissonnière avec l’écrivain, publiée la première fois en 1984 (2). Vingt-huit ans après, Bonnet nous propose une lecture accompagnée de l’oeuvre, mais éclairée à la lueur des innombrables travaux sur l’auteur de La Religieuse. Quel contraste avec cette époque où Diderot était revisité par Jacques Derrida ou Claude Lévi-Strauss comme un maître de l’émancipation et de la déconstruction ! On mesure le chemin parcouru, mais dans quel sens ? Bonnet a intégré dans ses Promenades une marche avec Jean Starobinski, qui vient de publier Diderot, un diable de ramage chez Gallimard, un ensemble de dix-huit études sur le philosophe. Libertin, Diderot ? Il demeure, d’abord et avant tout, pour Starobinski, « une conscience en mouvement ».
Nous recevons au Magazine Littéraire des centaines d’ouvrages chaque mois. Impossible de les recenser tous. Parfois, le hasard nous conduit à en reprendre un qui a échappé à notre sélection. C’est le cas d’un premier roman – récit ? – de Fabien Béhar qui vient de paraître à La Musardine (3). À première vue, ni la couverture – une sorte de tableau à la craie – ni le titre, Fuck Buddies, ne retiennent notre attention. Le texte est publié à La Musardine, une maison d’édition érotique qui est aussi une librairie de Paris où l’on trouve de tout, y compris des oeuvres de Jean-Jacques Pauvert et d’Éric Jourdan. Fuck Buddies, désignant les amants de passage, nous raconte le libertinage vagabond de l’auteur, comédien et dramaturge, du début des années 1980 à la fin des années 2000. Ce n’est pas un document sociologique, tout est soumis ici au hasard, au subjectif. Ce n’est pas un livre érotique, au sens strict du terme, puisqu’il n’y règne aucun désir de titiller le lecteur. Pas de signes de prouesse non plus, puisque Fabien Béhar ne masque pas ses ratages, ses doutes, ses faiblesses.
En fait, ce texte fait très exactement penser à Tricks de Renaud Camus. Dans la forme aussi : il s’agit de courts portraits, des rencontres et des étreintes fugitives. C’est le recueil des désirs inaboutis, la description du passage et de l’anonymat à travers des situations et des êtres qui nous marqueront davantage que bien d’autres rencontres. Et l’on retrouve dans ce Fuck Buddiesce que Roland Barthes relevait dans Tricks : « Cette éthique est celle de la Bienveillance, qui est sûrement la vertu la plus contraire à la chasse amoureuse, et donc la plus rare. »