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La joie des humbles. La Missa Nativitatis Domini de Zelenka par Musica Florea

Publié le 10 janvier 2013 par Jeanchristophepucek
paul troger vierge a l enfant

Paul Troger (Welsberg, Tyrol, 1698-Vienne, 1762),
Vierge à l'enfant
, sans date.

Huile sur toile, collection Alfred Sammer
(cliché © Michael Himml, Stift Klosterneuburg)

Depuis quelques années, la série « Musique de la Prague du XVIIIe siècle » initiée par le label Supraphon se révèle riche en découvertes passionnantes, comme celles, par exemple, d'œuvres totalement oubliées de Reichenauer ou de Brentner. Au printemps dernier, cette très recommandable collection accueillait, à l'occasion d'un programme pascal, celui qui est sans doute aujourd'hui le plus célèbre des compositeurs bohémiens de l'époque baroque, Jan Dismas Zelenka. Il fournit aujourd'hui la matière d'un second disque, cette fois pour le temps de Noël, que nous offre un ensemble dont la renommée commence à être bien établie en France, Musica Florea.

Au tout début de la décennie 1710, Zelenka, fils du cantor de Louňovice pod Blaníkem, un village situé à environ 80 kilomètres au sud-est de Prague, quitta cette dernière ville où il est très probable qu'il avait fait ses études auprès des jésuites du Collegium Clementinum, pour gagner la prestigieuse cité de Dresde où il venait d'obtenir un poste de joueur de violone au sein de la Hofkapelle. Même si sa carrière ne devait pas lui apporter que des motifs de satisfaction, comme en atteste le camouflet qu'il subit lorsque le prince-électeur lui préféra Hasse pour assurer la succession de Heinichen à la tête de la Chapelle royale en 1730, Zelenka demeura pour le reste de sa vie sur les bord de l'Elbe, tout en conservant des liens étroits avec la Bohème. À la suite d'un voyage qu'il fit à Prague en 1721-22, il obtint, de la part du Collegium Clementinum, la commande du Melodrama de Sancto Wenceslao (ZWV 175) qu'il dirigea devant l'empereur Charles VI et l'impératrice Élisabeth Christine le 12 septembre 1723, à l'occasion des cérémonies marquant leur couronnement comme roi et reine de Bohème, obtenant un éclatant succès. La Missa Nativitatis Domini, composée en une petite dizaine de jours à partir du 16 décembre 1726 pour être très probablement exécutée le 26 ou le 27 du même mois à Dresde, possède également des connexions pragoises, puisqu'une copie réalisée en 1736 pour l'église jésuite Saint-Nicolas survit aujourd'hui à la bibliothèque nationale de la République tchèque.

missa nativitatis domini manuscrit page de titre
Si le compositeur utilise les ressources offertes par la forme de la « messe-cantate », qui divise le texte de l'ordinaire en petites sections (5 pour le Gloria, 5 pour le Credo, ici), pour varier les climats avec son inventivité habituelle, sa Missa se distingue néanmoins par une grande unité de caractère conforme au caractère de son sujet ; l'atmosphère y est donc plutôt lumineuse, traversée, dès le Kyrie, par la belle énergie de l'espérance et parée de teintes pastorales matérialisées, de façon tout à fait traditionnelle, par l'emploi des flûtes (comme dans le Domine Deus), avec un ponctuel et léger assombrissement (lui aussi habituel) lors de la séquence Et incarnatus estCrucifixus, ce dernier utilisant les hautbois pour obtenir une tonalité un peu plus plaintive. Zelenka fait montre, dans cette partition, de son habileté coutumière à écrire dans tous les styles en vogue à son époque, du stile antico le plus sobre à la manière concertante la plus galante, sans oublier de prouver au passage sa maîtrise de la fugue, qu'elle soit simple (Dona nobis pacem) ou double (Cum sancto spiritu). Il faut cependant noter que contrairement à certaines de ses autres messes, le compositeur ne cède pas ici à son goût de surprendre voire dérouter l'auditeur avec des trouvailles harmoniques trop pimentées ; il semble plutôt privilégier une certaine clarté des textures dont il tire une grande douceur. C'est le même sentiment qui domine à l'écoute du motet composé à la même époque que la Missa, également pour célébrer la Nativité, O magnum mysterium. Il est établi qu'il s'agit d'un arrangement de l'aria « Reviresce, effloresce, pacis olea » du Melodrama de Sancto Wenceslao, écrite elle aussi pour voix d'alto et empreinte de la même jubilation sereine à laquelle l'emploi des flûtes apporte, là encore, ses couleurs pastorales.

Si l'on ignore la date de composition et la destination du très beau motet Chvalte Boha silného, (Laudate Dominum) l'unique de Zelenka sur un texte tchèque qui nous ait été transmis, cette pièce aux balancements par instants presque populaires offre, en son épisode central, un excellent exemple de l'art d'illustrateur musical du compositeur, puisqu'il y fait intervenir de courts solos des instruments de l'orchestre, répétés au besoin, afin de personnifier ceux décrits par le texte (cors pour les « trompes », cordes jouées en pizzicato pour les « luths » et les « lyres » et col legno pour les « tambourins », hautbois pour les « chalumeaux », violons et orgue dans leur propre rôle), dans une description à la fois vivante et virtuose qui dégage un charme certain. Plus connu, enfin, le Magnificat en ut majeur ZWV 107 pour soprano, chœur et orchestre est une page sans doute écrite vers 1727 qui joue sans complexe la carte du style concertant et regarde volontiers du côté de l'opéra, cette volonté de briller gagnant même la fugue qui, comme il se doit, conclut le morceau.

Les musiciens de Musica Florea (photographie ci-dessous) abordent ces pages avec une franchise et une fraîcheur tout à fait réjouissantes qui, bien qu'aucune ne soit inédite au disque, permettent à l'auditeur de les accueillir avec une oreille renouvelée. Le chœur, à trois chanteurs par partie, et l'orchestre, composé d'une petite vingtaine de musiciens, font preuve de qualités communes de clarté, de discipline et de souplesse qui donnent à leur interprétation une grande unité de ton ; celle-ci n'entraîne cependant aucune uniformité, car voix et instruments savent préserver toutes les différences qui fondent leur personnalité. Les solistes participent à ce même sentiment de cohérence, par leur absence d'affectation et la sincérité qu'ils mettent dans leurs interventions.

Musica Florea
On pourra certes objecter que les chanteurs, en particulier les dames, la basse Tomaš Kral étant séduisante à chacune de ses apparitions (il rend parfaitement justice à ce petit bijou qu'est le motet Chvalte Boha silného), ne sont pas des parangons de puissance et sont parfois sujets à des inégalités ; il n'en demeure pas moins qu'ils se coulent sans aucun problème dans la vision pétrie d'humilité mais aussi de charme défendue par Marek Štryncl. Le chef transmet parfaitement le dynamisme qui anime la majorité des pages ici enregistrées, mais ce qui frappe le plus certainement est l'élégance de sa direction, dont l'équilibre et la fluidité épousent de façon pleinement convaincante le caractère chaleureux et intimiste des pièces spécifiquement pensées pour la Nativité, tout en évitant à celles dans lesquelles la virtuosité est plus accentuée de sonner de façon trop clinquante ou superficielle. Certains estimeront peut-être que tout ceci manque d'un peu de folie, mais les œuvres proposées se prêtent bien (à l'exception, peut-être, du Magnificat, un peu en retrait) à une approche sereine, qui ne manque d'ailleurs ni d'engagement, ni de luminosité.

Voici donc un fort beau disque Zelenka que je conseille à tous ceux qui aiment ce compositeur de découvrir sans tarder et qui leur apportera très vraisemblablement des plaisirs durables et sans cesse renouvelés. Puisse Supraphon continuer à nous proposer longtemps encore d'aussi beaux voyages au cœur de la musique de la Prague du XVIIIe siècle, qu'il s'agisse de partitions déjà exhumées ou de trésors qui ne demandent qu'à l'être.

Jan Dismas Zelenka Missa Nativitatis Domini Musica Florea
Jan Dismas Zelenka (1679-1745), Magnificat en ut majeur ZWV 107*, O magnum mysterium, motet pour la Nativité ZWV 171**, Missa Nativitatis Domini en ré majeur ZWV 8, Chvalte Boha silného, motet ZWV 165+

*Barbora Sojkova, soprano
**Marketa Cukrova, alto
+
Tomaš Kral, basse

Musica Florea
Marek Štryncl, direction

1 CD [durée totale : 60'03"] Supraphon SU 4111. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

Extraits proposés :

1. Missa ZWV 8 : Kyrie

2. Missa ZWV 8 : Gloria Domine Deus

3. Missa ZWV 8 : Credo Crucifixus

4. O magnum mysterium, ZWV 171

Un extrait de chaque plage de ce disque peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :

Musique à Prague au 18e siècle | Jan Dismas Zelenka par Marek Stryncl

Illustration complémentaire :

Page de titre de la copie manuscrite de la Missa Nativitatis Domini, 1736, cote 59 R 2033, Prague, Bibliothèque Nationale de la République tchèque. L'intégralité du manuscrit peut être consulté en suivant ce lien.


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