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[feuilleton] Antoine Emaz, « Planche », 3/20

Par Florence Trocmé


 
Un énoncé simple est un énoncé qui se dissout en tant qu’énoncé ; il ne reste dans la tête du lecteur que le sens. Un énoncé complexe résiste à cette dissolution, de par sa forme anormale, ou de par sa difficile réduction immédiate à un seul sens clair reçu pleinement, 5/5. 
Si cette distinction vaut quelque chose, le poème est à l’évidence un énoncé complexe, tant parce qu’il résiste dans son travail de langue, que parce qu’il n’est jamais reçu 5/5, mais toujours en-deçà ou au-delà. Par exemple 3/5 ou 8/5. 
Dans une réception 3/5 on a compris un sens clair mais on sent qu’il reste des marges d’ombre, qu’il faut relire, que l’on n’a pas épuisé l’énoncé. 
Dans une réception 8/5, on saisit plusieurs sens clairs possibles à la fois ; on est dans le trop, sans avoir pour autant envie de trancher pour raser, ratiboiser ; on laisse flotter. 
Il existe un dernier cas de figure, l’énoncé laisse perplexe. Le poème est sur la page mais ne lève aucun sens ; il reste dans son altérité de langue. Diamant ou scorie, c’est selon. 
*** 
Bon dialogue avec Lawand hier : il était calme, posé. Il a bien compris qu’avec mon dos en marmelade, aller chez lui poursuivre la soirée n’était pas raisonnable. Il m’a laissé une trentaine de dessins de têtes tout à fait intéressants, en vue d’un livre chez Jacky. Je vais me mettre au travail. Pour son expo, on sera donc quatre lecteurs : Bernard Noël, Adonis, Jean-Claude Schneider et moi. Je n’ai pas bien compris si cela donnerait lieu à quatre livres chez Jacky, ou un seul bouquin collectif. La gravure ou la litho n’intéressent pas Lawand pour une raison simple : « je dessine plus vite que je ne tire. » 
*** 
Un poète raté, c’est toujours un mauvais angle d’attaque de langue. Un poète ne peut pas rater sa vie. Je ne parle pas de bonheur, je dis vivre. Sur ce plan, Lautréamont avait raison : la poésie peut être faite par tous. N’importe quel vivre est poétiquement digne d’être exprimé. Reste le « comment ? » C’est là qu’on se casse les dents, la gueule, la tête…  
*** 
Quand on commence à parler d’ « heure de gloire », c’est qu’elle est déjà passée. L’écrivain est déjà repéré, répertorié, classifié, bref quelque part fini. 
Autant que possible, le poète doit se débattre contre lui-même. Certes, il ne changera pas sa voix, mais pour ce qu’il chante ou les modulations, il peut et il doit. Il faut aller avant, sauf en fin de vie, course, carrière. Là, un poète a droit à la retraite, comme tout le monde. 
*** 
Il ne s’agit pas de surprendre pour surprendre. Seulement ne pas s’enfermer de l’intérieur jusqu’à l’asphyxie. Il faut qu’une œuvre soit capable de générer ses excroissances, ses débordements. Il faudrait que l’on puisse dire, lisant, à la fois : « c’est lui » et « qui est-ce ? ». 
*** 
Dans le premier mouvement d’écriture, il y a bien un sens dominant, une force qui cherche à s’exprimer. Mais dans le même temps, comme des irisations à partir de cette force, tout un tas d’associations sonores ou sémantiques qui se mettent en branle, nourrissant la force et s’en nourrissant, à la fois débloquées par l’écriture et la débloquant vers son aval. 
épisode 1, 2 
suite le lundi 14 janvier 2013 


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