Titre original : High Plains Drifter
Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Clint Eastwood
Distribution : Clint Eastwood, Verna Bloom, Marianna Hill, Mitchell Ryan, Geoffrey Lewis, Billy Curtis, John Quade, Buddy van Horn, Jack Ging…
Genre : Western/Aventure/Drame
Date de sortie : 22 août 1973
Le Pitch :
Un homme, tout de noir vêtu, débarque dans une petite ville américaine, située au bord d’un lac. Dès son arrivée, il s’attire les foudres de trois malfrats, qu’il abat froidement. Les habitants lui demandent alors de les protéger contre des bandits qui ont juré de semer le chaos dans la communauté. L’étranger accepte, mais pose ses conditions…
La Critique :
En 1973, Clint Eastwood est déjà une légende du septième-art. Un acteur qui a fait ses premiers pas de réalisateur deux ans plus tôt, avec Un Frisson dans la nuit et qui décide d’embrasser une nouvelle fois le genre qui a contribué à bâtir son image, le western. Cette fois-ci aux commandes du film (devant et derrière la caméra), Eastwood annonce d’emblée la couleur, et fait figurer sur trois pierres tombales d’un cimetière, les noms de trois des plus grands réalisateurs qui l’ont fait tourner, à savoir Sergio Leone (Pour une poignée de dollars, Et pour quelques dollars de plus, Le Bon, la Brute et le Truand…), Don Siegel (Sierra Torride, L’Inspecteur Harry…) et Brian G. Hutton (Quand les aigles attaquent, De l’or pour les braves…). Une démarche qui confirme l’envol d’un cinéaste d’ores et déjà sûr de lui, en phase totale avec ses objectifs et les thématiques qu’il souhaite insuffler à ses œuvres.
Et justement, L’Homme des hautes plaines embrasse une large partie de ces thématiques qui caractérisent Eastwood, telle que la vengeance, et qui perdurent encore aujourd’hui.
L’Étranger. Cet homme venu de nulle part, aux accents mythologiques quasi fantastiques, porteur d’une justice brute de décoffrage, porte la marque de Clint Eastwood. Plusieurs fois il y reviendra, en proposant quelques variantes, comme dans Pale Rider, où la dimension religieuse semble davantage marquée, ou encore dans Impitoyable, où l’apparente faiblesse de son personnage, nous rappelle que malgré son statut « légendaire », le héros reste un homme usé par le temps.
L’Étranger de L’Homme des hautes plaines rentre rapidement dans le vif du sujet, en tuant trois hommes qui se mettent en travers de son chemin, puis en violant une femme aguicheuse dotée d’une gouaille qu’il goûte peu. Du coup, l’introduction est violente et déconcerte. Ce type, sans nom, viole et tue, mais se pose comme le héros du film.
Très vite, les habitants de la ville tombent sous le charme de ce charisme animal, quasi reptilien, et se rangent derrière cet homme providentiel, seul opposant crédible à la menace qui pèse sur leur ville. Lui, de son côté, n’est pas là par hasard, même si on l’apprend plus tard, et compte bien profiter du prestige dont il jouit. Il profite et pas qu’un peu. L’Étranger veut quelque chose ou quelqu’un ? Il le prend. De force ou pas, mais l’intention est là. Seul un flash back récurrent nous dévoile petit à petit les possibles motivations du protagoniste principal, sans pour autant clairement exposer les tenants et les aboutissants réels de ce qui manifestement, n’est pas seulement l’histoire d’un type qui aide des villageois à se protéger de brigands.
Eastwood va bien plus loin. La ville de son film, rebaptisée par le « héros », L’Enfer, est un purgatoire, où les âmes pècheresses payent pour leur crime. La gouaille donc, mais pas que, est condamnée par un seul et même homme. Un juge et un bourreau, qui n’y va pas quatre chemins et qui exerce son pouvoir et ses sentences d’une façon perverse et insidieuse. Comme pour se mettre au diapason de l’attitude lâche et désinvolte de ces brebis galeuses et trop centralisées sur leur propre détresse, pour comprendre pleinement la situation, ainsi que la vraie nature de la menace qui pèse sur eux.
Brillant western crépusculaire, à la lisière du fantastique, L’Homme des hautes plaines souffre néanmoins de quelques ralentissements de rythme. Pas de quoi nuire en profondeur au film, mais suffisamment pour diluer une tension croissante, heureusement, la plupart du temps remarquablement maîtrisée On pourra aussi avoir du mal à éprouver de la sympathie pour ce personnage, pas vraiment méchant, mais pas gentil non plus. Là n’est pas le but de toute façon et l’image qu’Eastwood donne de son héros, ambivalente à souhait, fait partie intégrante de la démarche d’ensemble.
Car Eastwood connait son affaire. Ce personnage, il l’a affuté sous la direction des ces maestros du genre auxques il rend hommage, en même temps qu’il s’en affranchi. Jamais mieux servi que par lui-même, Eastwood réécrit et réinvente le genre pour le caler sur sa propre fréquence. L’Homme des hautes plaines préfigure ainsi tous les autres westerns qu’Eastwood réalisera plus tard. Tous liés, ces westerns sont âpres et brutaux. Dans les gestes, les effusions de violence et les mots, crus, ironiques et donc parfois drôles, et secs comme autant de coups de fouet.
Le fouet, il est d’ailleurs au centre du film. Il claque tandis que la plan de L’Étranger se met en place. Les rouages tournent et jamais Eastwood ne déflore le mystère qui entoure cette machination redoutable.
À l’époque, plusieurs versions, dont la française, choisissaient de modifier une ligne de dialogue cruciale à la fin du film, changeant par cela l’épilogue de l’aventure. En version originale, rien ne filtrait. Eastwood invitant le spectateur à se faire sa propre idée et donc à participer à l’élaboration d’une figure mythique du western américain.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : Action Cinémas / Théâtre du Temple