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L'homme qui savait la langue des serpents, de Andrus Kivirähk

Par Guixxx @zeaphra

Ayé, nos premiers flocons de neige touchent le sol crasseux des rues de Paris. Je suis rentrée à pied de ma séance de cinéma sous un ciel digne des meilleurs séquences du 7ème art, sous mon parapluie vert, pensant à la soirée que j'allais passer sous mon plaid tout doux tout chaud, un verre de vin sur la table basse (il faut bien terminer les bouteilles...) et le clavier de l'autre. Le moment idéal pour enfin écrire une chronique, vous faire part de mes dernières lectures. Elles ne sont pas nombreuses... le déménagement, les fêtes, le déballage des cartons, tout ça fait que je n'ai pas eu le temps encore de me pencher sur toutes les lectures que je désirais finir pour cette moitié du mois de janvier. Mais j'ai tout de même lu celui qui me tenait le plus à coeur, celui qui attisait ma convoitise dans la pile de services de presse, celui qui attisait ma curiosité du fait de sa couverture extraordinaire et de sa traduction originale de l'estonien, celui qui est donc mon premier roman de l'année et un démarrage en beauté ! Celui qui s'appelle : L'homme qui savait la langue des serpents.

L'homme qui savait la langue des serpents, de Andrus Kivirähk
Vous savez, il y a des éditeurs qui font de leurs livres pratiquement des oeuvres d'art. Jaquette au graphisme léché, papier au grammage parfait, maquette idéale, de vrais objets de collection. Cet éditeur, Attila, fait partie de ceux qui font de chaque livre une perle que l'on a envie d'observer sou tous les angles, de toucher, puis de lire avec avidité. L'homme qui parlait la langue des serpents, de Andrus Kivirähk, en est un exemple parfait. Cette salamandre ailée à la pupille coquine m'a fait de l'oeil pendent des semaines avant que je puisse l'entreprendre ! Et mes amis je n'ai pas regretté la lecture de cet ouvrage. Que de rafraîchissement, que de dépaysement ! Mais parlons un peu de ce livre, de quoi parle-t-il, qui est-il, d'où vient-il (formidable robot, des temps nouveaux !... hm). L'homme qui parlait la langue des serpents a été traduit de l'estonien par Jean-Pierre Minaudier, agrégé d'Histoire, auteur d'une histoire de l'Estonie, qui est tombé amoureux de ce texte à sa première lecture dans sa langue originale. Il a heureusement trouvé les éditions Attila pour le publier en France. Il a donc traduit cette histoire fabuleuse, l'histoire de Leemet, notre narrateur, dernier de son peuple, le peuple des estoniens des bois. Avant, ses ancêtres se battaient avec férocité contre les envahisseurs allemands qui accostaient sur les rives de l'Estonie. Sifflant la langue des serpents, ils appelaient la grande salamandre ailée, laquelle menait en déroute les Hommes de fer, et la paix revenait sur les bois. Avant, tout le monde connaissait la langue des serpents. Nul besoin de labourer pour se nourrir  nul besoin de chasser pour se mettre de la viande sous la dent, car il suffisait de la maîtriser et tout était a portée de main. Il suffisait de siffler un mot pour que le gibier se livre de lui-même à l'homme, d'en siffler un autre pour les loup fournissent leur lait. Les serpents, ces créatures intelligentes et somptueuses, étaient leurs frères et leurs amis, et les femmes tombaient amoureuses des plantigrades, ces gros ours mal léchés qui leur faisaient la cour à coup de pots de miels et de bouquets de fleurs. C'était avant. Avant que les Hommes de fer ne séduisent les hommes du bois avec leurs modernité. "Faucher" des "champs de blé", manger du "pain", vivre dans un "village" et se pâmer devant les "chevaliers" est devenu le dernier cri venu des peuplades étrangères "bien plus évoluées et à la mode" que la sauvagerie des bois. Leemet fait donc partie des derniers à rester dans la forêt, à apprendre la langue des serpents, et il se souvient de son enfance où il rêvait de retrouver la salamandre ailée qu'ils n'arrivent plus à réveiller, et qui serait bien la seule à pouvoir les sauver du déclin. Quelle lecture jouissive mes amis ! Bon, vous connaissez mes goûts avec le temps. Mettez-moi des salamandres ailées, des plantigrades lubriques et de personnages illuminés et j'en soupire d'aise. L'homme qui savait la langue des serpents est tout de même plus profond et particulier que ça. J'ai bien sûr adoré ce côté fantastique, inspiré de la mythologie estonienne, des contes et du folklore local, et de l'histoire même du pays. Car L'homme qui savait la langue des serpents est certainement un roman qui se rapproche du conte. Comme bon nombre de contes, il a l'air à la fois extraordinairement enfantin et d'une noirceur incroyable. Pendant la lecture, j'ai seulement pensé que j'adorais l'originalité de l'imaginaire de l'auteur. Son écriture, la voix de Leemet et sa vision du monde, à la fois naïve et désabusée. Ses dialogues savoureux à la mord-moi-le-noeud, ses personnages fêlés du bulbe tantôt attachants ou détestables, ses situations cocasses m'ont réjouie ! Le tout porté par un humour excellent, qui rend les situations les plus odieuses moins terribles. Car il y a cette fin à laquelle Leemet nous prépare, ce déclin inéluctable ..  Et c'est aussi cette facilité avec laquelle l'auteur se joue des sentiments des personnages et du lecteur, capable de nous faire passer du rire à la déconvenue, entremêlant tendresse, liesse et tempêtes d'agressivité, qui m'a laissée sous le choc... et complètement charmée. Puis j'ai lu la postface du traducteur intitulée Un pamphlet sous la fable. Personnellement, je connais très mal l'Estonie. J'ai appris à placer ce pays sur une carte à l'âge de douze ans, je dis "ahhhh oui c'est vrai" quand on me donne le nom de la capitale (Tallinn) parce qu'il fait partie de ces destinations exotiques vues sur Airfrance ou certaines compagnies Lowcost, mais l'histoire de ce pays et de son peuple, comme pour vous, m'est totalement inconnue (sauf peut-être pour ceux qui ont en eu un aperçu avec le livre Purge de Sofi Oksanen que je n'ai pas encore lu...). Je ne savais pas, par exemple, qu'ils ont été sous le joug allemand très longtemps. En fait, depuis 1200, où les templiers sont arrivés sur leurs beaux bateaux, avec leurs chevaliers et leurs moines combattants, et ont instauré le servage et converti la population païenne au christianisme. C'est à cette époque, je pense bien, que se passe notre histoire. Mais l'Estonie n'a eu son indépendance que très récemment, avant elle a été successivement envahie par les allemands et les russes, et a bien failli perdre son identité. Et sous ce roman aux allures de fable se cache, comme l'indique la postface, un pamphlet. Verni d'un humour génial, très bien retranscrit en français, le texte est à mourir de rire, mais il suffit de gratter un brin pour prendre conscience du pessimisme ambiant et de la critique assez sévère de la société qui imprègne l'histoire. Une critique du passé, qui a presque fait perdre aux estoniens leur héritage, mais aussi d'aujourd'hui. On y voit un questionnement sur l'identité des pays soumis à l'occidentalisation et la présence de la culture anglophone. Kiviräkh ne jette pas tant la pierre aux uns qu'aux autres. La nouvelle culture a ses avantages et ses inconvénients  certains attraits indéniables. L'ancienne à aussi ses pièges, ses défauts, mais aussi ses bienfaits que l'on a tendance à oublier et délaisser. Dans le roman, Leemet trouve stupide que les hommes oublient la langue des serpents, tellement utile, pour aller se tuer à la tâche pour d'autres gens, alors qu'ils pourraient profiter de la forêt et de son opulence. D'un autre, il est attiré par tous les outils, les armes, les beaux habits, et ce vin qui plait tant... Ces réflexions sont aussi d'actualité en France. Nous faisons d'ailleurs partie de ces pays, prompts à se jeter sur les dernières innovations en date de nos voisins, à prendre le meilleur et à laisser le moins bon, et à brandir notre passé et notre culture comme ça nous arrange, quand ça nous arrange. M'enfin... parmi les tonnes de romans anglophones qui vont sortir ce mois-ci et envahir nos tables (et ça ne me déplaît pas tant que ça puisque j'adore les écrivains anglophones!), il y aura aussi Andrus Kivirähk, auteur estonien culte dans son pays, et son roman L'homme qui savait la langue des serpents. Alors si vous aimez vous aussi les salamandres volantes, les ours libidineux, les vieillards excentriques, les guerriers sanguinaires, les serpents plein de sagesse et le vert profond des forêts estoniennes, vous irez peut-être l'acheter, et vous me direz ce que vous avez pensé de cette lecture singulière. Pour ma part, j'aimerai avoir la langue assez souple pour converser avec les vipères royales et pouvoir traire des loups et les chevaucher jusqu'à l'orée des bois. C'est bien plus cool que de gagner un smic. L'homme qui savait la langue des serpents, de Andrus Kivirähk Au moins j'ai un chat qui aime les livres, c'est déjà un peu original.

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