Elle a plus d’un tour dans son sac et joue avec les mots, comme dans le poème : « Les mots dits en bateau », mots capables de livrer, dès les premières heures du jour, leurs malles de sens : « Le matin n’attend pas son voyageur » pour rejoindre sur les plages « les vagues immigrées »... Aux côtés de cette poésie, le lecteur finit toujours par basculer sur la crête des mots, se laisser aller et surfer sur les sens et des sons.
Rien n’est laissé au hasard sur le rivage de la Langue. La moindre langue de terre va à la mer, à la « mer dorée » aux teintes « mordorées ». La mer dans « C'est-à-dire » n’est pas seulement un décor, un tableau, un fond sonore. C’est une immense métaphore et toute la poésie se résout peut-être dans cette infinie ambiguïté... Comme l’indique le poème intitulé « Le bon jus », « mauvaise cuisine et bonne casserole », tout se mêle en même temps en ce bas-monde, le violent et le bon, le dur et le dur et le doux, le pire et le meilleur. Et parfois le meilleur fournit le masque pour le pire. Aux aguets de toutes voiles sur la mer, le poète est ce pirate qui hisse les pavillons et qui démasque les impostures...
Tout embarquement en poésie suppose une complicité, une association de malfaiteur. Saint John Perse disait du poète qu’il était « le contrebandier de la langue », celui qui fournit « la marchandise »... Ou la clé du trésor. A même le vaisseau ou dans le sable des iles ignorées, à l’aide de combinaisons inattendues de sons et de lettres, le lecteur ébloui ouvre le coffre-fort des mots. Francis Lepioufle évoque, au sujet de la langue, une créature qu’il nomme : « l’Adéenne »... Comme il l’écrit dans le poème « Invitation » :
« Regarde les choses, imagine-les sans relation
Puis donne-leur une articulation,
Le monde se met en animation »