Vous trouverez encore chez vos libraires des albums de feu la maison d'édition Être. J'ai eu le plaisir ainsi de retrouver certains livres écrits par Christian BRUEL. Puis, très heureuse, je découvre que certaines propositions ont été rééditées par les éditions Thierry Magnier ("Les chatouilles", "Ce que mangent les maîtresses", "La grande question" de Wolf ERLBRUCH...). C'est le moment de refaire parler de ces albums jeunesse aux critères ambitieux. La cible des lecteurs est bien les enfants mais le contenu a de la tenue et du fond.
© Christian BRUEL, Anne GALLAND et Anne BOZELLEC/ Être
"Histoire de Julie qui avait une ombre de garçon" de Christian BRUEL, d'Anne GALLAND et illustré par Anne BOZELLEC est en cela un très bel exemple.Julie est une fille espiègle, spontanée et malicieuse. Son comportement lasse énormément ses parents, elle semble négligée, mal élevée, un peu trop vive... juste ce que la norme accepte pour les garçons mais pas pour les filles: Julie est un vrai garçon manqué!Ses parents l'aiment quand elle devient petite fille modèle mais Julie souhaite être aimée tout le temps, pour ce qu'elle est.Et puis même son ombre la déroute. Un matin elle devient ombre de garçon. Et puis là, les comportements du garçon ne sont tout de même pas les siens: son ombre est encore plus dissipée. Julie ne sait plus se reconnaitre, elle tente de se débarrasser de son ombre. "Et si c'était l'ombre qui avait raison. Elle n'est peut-être qu'un garçon... manqué en plus, [...]."Elle rencontre dans sa fuite vers l'obscurité un garçon à la "tête de fille", si sensible qu'il pleure souvent. Ses parents à lui aussi préfèreraient qu'il se comporte comme il se doit pour les garçons.
"- [...] Tiens, c'est comme si on était chacun dans son bocal.- Comme pour les cornichons?- Oui, comme pour les cornichons.Les cornifilles dans un bocal, les cornigarçons dans un autre, et les garfilles, on ne sait pas où les mettre."
© Christian BRUEL, Anne GALLAND et Anne BOZELLEC/ Être
Les enfants se questionnent sur l'altérité sexuelle et la norme d'un comportement sexué. La découverte de leurs corps, explicite ici textuellement et graphiquement, ne leur permet pas le doute sur ce qu'ils sont et pourtant ils sont étiquetés. Transparait ici tout le fantasme parental d'un enfant conforme et de la tension affective que l'on transmet à nos enfants.Le droit de se comporter différemment, d’être différent et aussi le droit d'être aimer ainsi. Une statue de Charles PERRAULT trône dans le parc refuge... est-ce pour ce rappel de l'"innocence" enfantine, de ce besoin de protection de l'enfant et d'encouragement soutenu à devenir un adulte?
Malice vous en parle là en ajoutant que c'est aussi une lecture sur la sexualité en tant que telle.