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Opération SERVAL au Mali : Le retour d'un art français de la guerre (IRSEM, note 1)

Par Theatrum Belli @TheatrumBelli

THEATRUM BELLI vous présentera régulièrement des notes de l'IRSEM (Institut de Recherche Stratégique de l'Ecole Militaire), plus précisément du domaine d'études "Nouveaux conflits" dirigé par le colonel Michel GOYA, concernant notre intervention au Mali. Voici la première qui met en perspectives historiques l'opération Serval. (Crédit photo : ECPAD, Sirpa Terre)

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L’opération Serval, et dans une moindre mesure l’aide au Président Ouattara en avril 2011, consacre d’abord le retour à une forme classique d’intervention de la France, proche de celle que l’on connaissait durant la guerre froide.

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La France a, par exemple, mené 14 opérations de guerre en Afrique de 1977 et 1980 qui ont toutes été des succès militaires qui témoignaient d’un savoir-faire spécifique reposant sur une chaîne de commandement rapide, un consensus sur cet emploi "discrétionnaire" des forces, des unités prépositionnées, des éléments en alerte et des moyens de transport et de frappe à distance. Ce système permettait à nos forces d’éteindre les incendies au plus tôt sans y consacrer beaucoup de moyens et sans rester sur place outre mesure. L’autorité politique n’étant pas inhibée par les pertes (33 soldats tués en mai-juin 1978 au Tchad et au Zaïre), elle s’immisçait peu dans les opérations. Celles-ci avaient donc de plus fortes chances de succès et, in fine, les pertes restaient limitées. 

A côté de ces opérations rapides, l’engagement français au Tchad de 1969 à 1972 contre le Front de libération nationale (Frolinat) représente le meilleur exemple, sinon le seul, de contre-insurrection moderne réussie, dans un contexte proche de celui du Mali actuel. Avec un volume de forces équivalent à celui de l’opération Pamir en Afghanistan, les Français ont réussi en trois ans à rétablir la sécurité dans une zone dix fois plus peuplée que la province de Kapisa et deux fois plus grande que la France. Ce succès a reposé sur quelques principes simples : des objectifs limités puisqu’on on ne cherchait pas à faire du Tchad une démocratie avancée et prospère mais simplement à rétablir l’autorité de son Etat, une autonomie du théâtre par rapport à Paris, l’intégration des actions sous l’autorité de l’ambassadeur de France, l’application d’une véritable approche globale comprenant simultanément l’assistance à l’administration locale (par des militaires français) et aux forces de sécurité tchadiennes (avec 650 militaires français vivant au sein de ces forces pendant un an) et la lutte directe contre les forces rebelles par raids ou nomadisation. Le résultat fut indéniablement un succès, terme plus adéquat que celui de victoire car la résolution de ce type de conflits s’inscrit dans un temps politique long qui nécessite souvent plusieurs engagements militaires pour parvenir à son terme. La France s’est engagée à nouveau au Tchad en 1978 puis encore en 1983. 


Les opérations françaises ont commencé à perdre de leur efficacité lorsque l’autorité politique a nié la notion d’ennemi. On abandonnait alors la stratégie à l’adversaire tout en se contentant d’une simple mise en oeuvre de moyens sous forme de présence. Cela a commencé au Liban avec l’engagement dans la Force intérimaire des Nations-Unies au Liban (Finul) et la Force multinationale de sécurité à Beyrouth (FMSB). Cet engagement au Liban a coûté, à ce jour, la vie à 158 soldats français dont 92 dans les 18 mois d’existence de la FMSB. 

La fin de la guerre froide et la nécessité d’en gérer les crises conséquentes a entraîné une dilatation du champ des opérations jusqu’à des endroits inconcevables quelques années plus tôt comme l’Irak, le Kurdistan ou le Cambodge. La dilatation fut aussi dans le volume des forces engagées avec un pic à plus de 20.000 hommes en 1990-1991 mais également dans le spectre des missions avec d’emblée le retour très inattendu de la guerre inter étatique, contre l’Irak. Ce temps des crises post-guerre froide, que l’on espérait provisoire, a coïncidé avec la nouvelle liberté d’action du Conseil de sécurité des Nations-Unies débarrassé du blocage du veto. Oubliant, le précédent du Liban, la France s’est pleinement engagée dans ces missions avec 10.000 hommes "sous casques bleus" au début des années 1990 et très rapidement des pertes conséquentes à chaque fois que ces ennemis que l’on niait sont réapparus. C’est ainsi que 55 autres soldats sont tombés de 1992 à 1995 en Ex-Yougoslavie. Ces échecs cinglants des missions d’interposition n’ont pourtant pas empêché la France de réitérer encore en République de Côte d’Ivoire, de 2002 à 2010, pour y perdre 27 hommes, sans parler des souffrances imposées à la population française expatriée dans ce pays.

Les Américains se sont les premiers détournés de ce mode d’action stérile et ont imposé dès 1995 une conception plus saine de l’emploi de la force armée. On s’aperçut alors que les adversaires qui nous humiliaient étaient souvent bien plus faibles que nous l’imaginions. 

Après une paix imposée par quelques frappes, la sécurité en Bosnie puis au Kosovo fut assurée par l’étouffement de territoires grands comme quelques départements par des forces coalisées de plusieurs dizaines de milliers d’hommes. Cette séquence balkanique était plus efficace que la précédente mais elle introduisait plusieurs illusions comme la possibilité de gagner une guerre par des feux à distance, l’idée que l’on pouvait atteindre un objectif par la simple présence de troupes nombreuses pendant longtemps et la nécessité d’agir forcément en coalition. Alors que nous théorisions sur cette séquence brève coercition-longue stabilisation, les Américains en refusaient la seconde étape (ou plutôt la laissait aux Européens). 

Cette dichotomie s’est retrouvée en Afghanistan dans le découplage en deux opérations d’inspiration opposées mais entravées par plusieurs facteurs comme l’alliance avec les seigneurs de la guerre, le sanctuaire pakistanais ou simplement les dimensions du théâtre bien supérieures à celles des Balkans, elles furent un échec. Non seulement l’ennemi ne cédait pas

mais il se réorganisait pour mener une campagne au milieu des populations. Le passage au combat de contre-insurrection fut difficile. Les problèmes des opérations multinationales apparurent alors au grand jour : schizophrénie des membres de la coalition qui poursuivent à la fois des objectifs nationaux propres et des objectifs communs, imposition des méthodes du meneur de la coalition. Cette nouvelle campagne française de contre-insurrection, dans un contexte aussi contraint, fut moins efficace celle du Tchad. 

L’intervention en Libye en 2011 fut un autre révélateur des entraves qui pèsent sur l’emploi efficace des forces armées : délais imposées par le dogme de la légitimité du mandat des Nations-Unies qui permettent à l’ennemi de se renforcer et contraignent l’action au plus petit dénominateur stratégique commun, refus de l’engagement au sol, ralentissement par le travail en coalition et dépendance matérielle des Etats-Unis. Au bilan, il aura fallu dix mois à la plus puissance coalition militaire de l’histoire, créée pour stopper en quelques jours pour stopper une offensive massive du Pacte de Varsovie, pour venir à bout d’un dictateur et de sa milice. La spirale de l’inefficience militaire a finalement atteint son point bas avec la conquête du Nord-Mali en avril 2012 par les indépendantistes et les djihadistes puisqu’on y a pu constater simultanément l’échec de l’approche indirecte américaine (l’armée malienne qui s’est si rapidement effondrée avait fait l’objet de tous les soins d’AFRICOM) et la stérilité des solutions africaines. Après quinze années de renforcement de capacités africaines de maintien de la paix, il aurait fallu, sans l’offensive djihadiste, pratiquement une année complète pour réunir-former-équiper-motiver l’équivalent d’une brigade légère interafricaine capable de prendre la relève, ce qui aurait sans doute constitué la projection de force la moins dynamique

de l’Histoire. Il est vrai que cette projection avait encore été ralentie par l’implication européenne, autre diviseur d’efficacité opérationnelle tant les cultures militaires (si on peut encore parler de culture militaire pour certains Etats et institutions supranationales) des membres de la Politique commune de sécurité et de défense (PCSD) sont différentes. 

Il aura donc ainsi fallu aller jusqu’au bout d’un processus et son grippage pour stimuler l’audace des Djihadistes et, au bout du compte, ne laisser plus d’autre choix que de revenir aux classiques de l’intervention « à la française » et d’entrer dans une nouvelle ère des interventions.

IRSEM "Nouveaux conflits" (Note 1)


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