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Je ne voulais pas vous faire de peine.

Publié le 19 janvier 2013 par Paulo Lobo
Il y a quelqu'un?
Tu finiras par te retrouver tout seul, me dit-elle. Cloîtré dans ta tour d'ivoire, emmuré dans ton arrogance princière, enfermé dans ton mêli-mêlo snobinard de pacotille, tu ne te rends pas compte. Tu es froid comme une lame de rasoir. Tu fais souffrir les gens autour de toi. Tu es un pur égoïste. Tu ne penses pas aux autres. Tu ne fais rien pour eux, tu fais tout pour toi. Pour toi seulement.
Elle avait raison. Enfin, dans un sens. J'entendais ce qu'elle me disait et j'essayais de me voir à travers ses yeux. Mieux valait ne pas rétorquer, ne pas se justifier. Encaisser d'abord, réfléchir ensuite. A tête reposée. Je me réfugiais, comme d'habitude, dans le calcul stratégique, dans la partie d'échecs, mon but était d'éviter de me retrouver en situation d'échec. Quitte à me dérober afin de ne pas subir les coups.
Je ne voulais pas vous faire de peine. Mais je n'arrivais pas à dire ce que vous vouliez que je dise. Alors, je vous voyais blessée. Et je me sentais vaciller. Bringuebalant dans la tête. Que faut-il faire quand on se retrouve acculé à la défense? Quand quelqu'un ou quelque-chose remet en question les fondements de votre équilibre petit-bourgeois? À quoi faut-il s'accrocher? Qui pouvait m'indiquer la marche à suivre? Devais-je céder, me trahir, tenir bon, accepter un deal? Ma noirceur d'esprit me tenaillait le coeur. J'étais paumé.
Je n'ai plus envie de jouer, je ne veux plus endosser un rôle, je ne veux plus avoir l'air d'être tout le temps certain de moi-même. Je ne veux plus d'image préconçue et emballée. Je ne m'en trouve pas plus heureux pour autant. La liberté, c'est du vent, je le sais, je l'ai toujours su. Mais j'aime cette illusion dans la rue de pouvoir marcher et regarder. J'aime le mouvement des gens. J'aime l'air que je respire. J'aime que ma montre soit arrêtée. Aimer, la belle affaire. Inventer une histoire et se la raconter. La noter dans un livre invisible. La mettre en musique. L'arroser de toutes les couleurs et saveurs. Je cours derrière les mots comme je courais derrière vous. Il suffit d'un petit effort de la mémoire, et je retrouve mon émotion d'alors. La seule pensée de vous voir, que dis-je, de vous entrevoir un court instant dans la journée, emplissait mon être d'un bonheur ineffable. Que l'on est bête quand on est amoureux! Ou quand on croit être amoureux. Alors, je courais, je sautais, je chantais, juste parce que vous m'aviez salué. Et la vie était belle, infiniment belle. Comme vous. C'est ainsi que je ressentais les choses à l'époque. J'étais niais, malheureux et béni.
La roue tourne. On croit être le même et on a complétement changé. On a changé de peau, changé de personnalité, changé de rêves. On traîne dans le corps des souvenirs diffus qui sont comme des lambeaux d'un vieux livre déchiré. On ne distingue plus le vrai de la fiction. La fiction même devient plus vraie. Un jour peut-être, j'y verrai clair. En attendant, je navigue à l'oeil. Chaque jour, je me sens moins fort. Chaque jour, je perds un peu plus de moi-même.
Les gens dans le train parlent de moins en moins entre eux, se regardent de moins en moins, trop plongés qu'ils sont dans leur téléphone portable. Ils ne lisent plus les news du matin, regardent le petit écran et chargent leurs envies instantanées.
À qui profite le crime?
Et puis le temps passe. Et des choses affreuses arrivent. Et je me prends à penser que je n'ai pas le droit. Que je suis un imposteur. Que je ne ferai jamais rien de ma vie. Ni de celle des autres. Que la vérité, ma vérité, me semble de plus en plus floue et indistincte. Que j'ai peur de ce qui nous attend, de ce qui m'attend. Je vais enregistrer ma voix, je vais décrire tout ce que je vois, pour qu'un jour je m'en souvienne. Je ne vais rien lâcher. Je vais regarder autour de moi. Toutes les images qui m'ont nourri, je m'en méfie. Je connais le processus de fabrication. Je sais comment on se construit un monde. Je sais comment on tombe.
Je pensais que tout serait toujours comme toujours. Je pensais que j'étais venu pour rester. Je pensais que l'ennui serait mon pire ennemi. Maintenant je sais que rien n'est éternel. Je sais que moi aussi un jour je partirai. Je sais que l'ennui est un luxe.
Je ne voulais pas vous faire de peine.

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