
Félix Vallotton (Lausanne, 1865-Paris, 1925),
Le lac du Bois de Boulogne, 1921
Huile sur toile, collection privée
L'heure exquise, tel est le titre, emprunté à une célèbre mélodie des Chansons grises de Reynaldo Hahn, qu'a choisi pour slogan la 19e édition de la Folle journée consacrée aux musiques françaises et espagnoles de 1850 à 1960 qui se déroulera à Nantes du 30 janvier au 3 février 2013. Premier des quatre enregistrements édités par Mirare à cette occasion et disque officiel de la manifestation, Satie & compagnie nous offre, sous les doigts de la pianiste Anne Queffélec, un parcours subjectif au travers de la musique française de la fin du XIXe et de la première moitié du XXe siècle.
Comme l'indique son titre, la figure centrale de ce récital est celle, toujours fort diversement appréciée de nos jours,
d'Erik Satie qui s'y trouve confrontée à celles de ses contemporains et de la génération postérieure. Le caractère immédiatement abordable de certaines de ses compositions les plus connues,
comme les trois Gymnopédies (1888) et les six Gnossiennes (1889 pour la n° 5, 1890-93 pour les nos 1 à 3, 1891 pour
la n° 4, 1897 pour la n° 6), données ici dans leur intégralité, dont la simplicité mélodique et la structure répétitive se rapprochent parfois de la chanson, vaut aujourd'hui à Satie
de connaître une reconnaissance au-delà du seul cercle des mélomanes, ce que quelques fâcheux lui reprochent en instruisant à son encontre des procès en facilité, qui contraste singulièrement
avec les nombreuses difficultés que connut sa carrière, laquelle eut besoin, pour se relancer, de l'aide successivement de Claude Debussy, qui orchestra en 1897 deux des Gymnopédies (1
et 3) pour attirer l'attention du public sur un ami envers lequel il n'était pas sans avouer quelque dette, puis de Maurice Ravel, qui joua certaines de ses pièces en janvier 1911 en présentant
Satie comme un précurseur du modernisme musical, et enfin de Jean Cocteau, qui lui commanda la musique de Parade, « ballet réaliste » dont il avait écrit l'argument et Pablo
Picasso réalisé les décors et les costumes :
Anne Queffélec (photographie ci-dessous), même si elle avoue volontiers que le travail préparatoire à cet enregistrement lui a
permis de découvrir certains compositeurs qu'elle négligeait jusqu'alors, n'est pas en territoire complètement inconnu avec la musique de Satie, à laquelle elle a consacré, à la fin des années
1980, un disque qui a rencontré un énorme et durable succès. Son approche séduit, dans le nouveau venu, par sa simplicité, son absence de toute forme de pose et de prétention, qualités
parfaitement relayées par une prise de son très naturelle ; on ne trouvera, en effet, à aucun moment de cette anthologie composée comme un paysage choisi qui se veut l'instantané d'une
âme, de volonté de démontrer quoi que ce soit, et il serait également vain d'y chercher un quelconque message transcendant sur les pièces retenues (certaines ne semblent d'ailleurs rien exiger
de tel), ou une virtuosité éclatante et vaine dans leur exécution. La pianiste a visiblement souhaité placer son travail sous le signe de la fluidité, de l'effleurement, du murmure, autant de
qualités qui permettent aux Gnossiennes ou aux Gymnopédies de Satie,
Voici indubitablement un beau récital qui, s'il risque de n'être pas goûté par certains palais blasés, réunira probablement autour de lui un vaste public, au-delà même de celui qui écoute traditionnellement de la musique dite « classique » et que sa conception globale, y compris d'un point de vue graphique (que l'on peut ou non apprécier), semble d'ailleurs chercher à atteindre. On est donc reconnaissant à Anne Queffélec de nous offrir, avec une modestie et une sensibilité qui l'honorent, ce voyage sur les terres du piano français qui ne manquera pas d'ouvrir à beaucoup de nouveaux horizons, ce qui n'est pas la moindre vertu d'un tel projet.
Anne Queffélec, piano
1 CD [durée totale : 80'19"] Mirare MIR 189. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extraits proposés :
1. Déodat de Séverac, Où l'on entend une vieille boîte à musique
(En vacances, 1911)
2. Reynaldo Hahn, Hivernale
(Le Rossignol éperdu, 1899-1912)
3. Gabriel Dupont, Après-midi de dimanche
(Les Heures dolentes, 1905)
4. Erik Satie, Gymnopédie I
Un extrait de chaque plage du disque peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :
Satie & compagnie | Compositeurs Divers par Anne Queffélec
Illustrations complémentaires :
Suzanne Valladon (Bessines-sur-Gartempe, 1865-Paris, 1938), Portrait d'Erik Satie, 1893. Huile sur toile, 41 x 22 cm, Paris, Musée d'art moderne
La photographie d'Anne Queffélec est de Liliroze / Art & Brand.