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Et tu sais le plus drôle ?

Par Perce-Neige

Et tu sais le plus drôle ?De retour ici, en littérature, cet extrait d’Easter Parade, de Richard Yates, que je lisais, pas plus tard qu'hier soir, dans l’avion, Easter Parade dont Maud me parlait parfois, avec tant et tant d'émotion dans la voix, je ne sais plus quand, mais il y a longtemps, j'en suis sûr (hélas).
Il avait ralenti et mis son clignotant pour tourner, et à présent elle apercevait une petite allée en béton, un gazon bien tondu et une petite maison à deux étages tout à fait semblable à celle qu'elle s'était imaginée. Ils étaient arrivés. L'intérieur du garage, où il coupa le moteur, était plus ordonné que la plupart des garages. Il y avait deux vélos posés contre le mur, dont un avec un siège bébé rembourré derrière la selle. "Tu fais du vélo !" lui lança-t-elle par-dessus la voiture. Elle était descendue rapidement, tremblant toujours, et avait arraché sa valise de la banquette arrière; puis, parce que sa rage avait besoin d'être ponctuée par un bon gros bruit, elle claqua la portière de toutes ses forces.  "Voilà donc ce que vous faites tous les deux. Oh, quel beau tableau vous devez former, à vélo, avec la petite j'ai-oublié-son-nom, le dimanche après-midi, vos longues jambes toutes bronzées dans vos petits jeans raccourcis sexy, vous devez faire baver d'envie tout le New Hampshire..." Elle avait commencé à contourner la voiture pour le rejoindre, mais il ne bougeait pas et la regardait les yeux écarquillés. "... et puis vous rentrez à la maison prendre une douche vous vous douchez ensemble ? Peut-être que vous jouez à touche-touche en vous préparant un verre, et puis vous dînez et vous mettez bébé au lit, vous vous asseyez pour parler de Jésus et de la résurrection un moment, et c'est alors qu'arrive le principal événement de la journée, pas vrai? Toi et ta femme montez dans votre chambre et fermez la porte, vous vous aidez mutuellement à ôter tous vos vêtements, et puis, tiens, Dieu tout-puissant... en parlant de fantasmes qui deviennent réalité..." "Tante Emmy, tu vas trop loin." Trop loin. Haletante, la mâchoire crispée, elle porta sa valise dans l'allée en direction de la rue. Elle ne savait pas où elle allait et elle savait qu'elle avait l'air ridicule, mais il était impossible de marcher dans une autre direction. Elle s'arrêta au bout de l'allée, sans regarder en arrière. Un instant plus tard, elle entendit un cliquetis - de la petite monnaie ou des clefs -, puis un pas - des semelles de crêpes -, il venait la chercher. Elle se retourna. "Oh, Peter, je suis désolée, dit-elle, sans oser le regarder dans les yeux. Je... je ne peux pas te dire à quel point je suis désolée." Il parut vraiment embarrassé. "Tu n'as pas besoin de t'excuser" dit-il, prenant la valise de sa main. "Je pense que tu es très fatiguée et que tu as besoin de repos." Il la regardait avec un air détaché et spéculatif, à présent, plus comme un jeune psychiatre avisé que comme un pasteur. "Oui, je suis fatiguée. Et tu sais le plus drôle? J'ai presque cinquante ans et je n'ai jamais rien compris de toute ma vie."

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