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B 787 Dreamliner ! Boeing est-il devenu dangereux ! L’avis de l’Expert Jean BELOTTI.

Publié le 21 janvier 2013 par Halleyjc

Chronique de janvier 2013
Interview de Tourmag - Boeing B 787 Dreamliner

Tourmag : Que pensez-vous des nombreuses pannes survenues sur le Boeing 787 dreamliner, quatorze mois, à peine, après le premier vol en ligne et qui ont inquiété la communauté aéronautique ?
Jean Belotti : La suite d’anomalies - fuites d’essence, problèmes de freins, ..., largement
commentée par les médias, a probablement inquiété le grand public, qui légitimement a pu se poser des questions sur la dangerosité du Boeing 787. La communauté aéronautique, quant à elle, a pris les sages décisions qui s’imposaient.
Tourmag : Quelles décisions ?
J.B. : Les autorités de tutelle japonaises, dès la mi-janvier 2013, ont décidé d'interdire de vol des 24 Boeing 787, appartenant aux compagnies ANA et JAL. Aux États-Unis, la FAA
(Federal aviation authority) a également cloué au sol les six Boeing 787 de United. Le Chili et l'Inde ont pris la même décision de suspension des vols. Puis, dans la foulée, c'est l'AESA
(Agence européenne de la sécurité aérienne) qui a bloqué au sol les deux exemplaires de la
compagnie polonaise Lot.
Tourmag : Peut-il y avoir des pressions des institutions nationales sur les constructeurs ?
J.B. : Il est normal que les institutions françaises et américaines défendent leurs compagnies. Des exemples sont connus, mais essentiellement dans le domaine commercial et dans les négociations de droits de trafic, par exemple. Il est impensable que de telles pressions interviennent dans le domaine de la sécurité. D’ailleurs, les décisions qui ont été prises en sont une preuve sans équivoque.
Tourmag : Ces décisions ne vont-elles porter préjudice au carnet de commandes du Boeing
787 ?
J.B. : À tout le moins, pour le moment, Boeing estime qu’il n’y a aucune relation probante
entre lesdites pannes et les plus de 800 commandes déjà enregistrées, par une cinquantaine de compagnies. Ceci, à juste raison, car les compagnies aériennes, indépendamment de la qualité de leurs relations avec les constructeurs, sont au fait des problèmes posés, et savent que tout est mis en oeuvre pour les résoudre, à plus ou moins brève échéance.
Tourmag : Il reste que Qantas a annulé la commande d'un des quinze Boeing 787 Dreamliner commandés pour sa filiale Jetstar !
J.B. : D’après les médias, Qantas aurait précisé avoir pris cette mesure avant que ce type
d'appareils ne soit cloué au sol.
Tourmag : Il y a quand même eu sept incidents, en une dizaine de jours ?
J.B. : Une première réponse est d’admettre que cette série d’incidents résulte de ce que l’on nomme communément “la loi des séries” (appelée aussi “sérialité”), vérifiable dans la plupart des activités humaines ou autres phénomènes, tels que météorologiques, par exemple. C’est ainsi que les pannes diverses, anomalies de fonctionnement de certains sous-ensembles, sont courantes sur tous les types d’avion, après leur mise en service. Elles sont qualifiées de « maladie de jeunesse », qui touchent aussi bien les avions d’Airbus que ceux de Boeing. Les exemples sont nombreux. On a en mémoire les criques qui ont été détectées sur les ailes de l’A380. Noter qu’au fil des ans, cette sérialité a également été constatée dans la survenance de graves incidents ou accidents aériens.
Tourmag : Mais comment peut-il y avoir de telles pannes, alors que l’avion a été certifié ?
J.B. : Deux mots sur la certification. Les épreuves de certification d’un avion, donc de tous
ses sous-ensembles, comprennent de très nombreux tests de différentes natures, selon des
protocoles très stricts, respectant des normes bien définies, garantissant une large marge de sécurité.
Après avoir donné satisfaction à tous les tests et vérifications au cours d’une longue
procédure, l’avion est estimé « bon pour le service » et reçoit un CDN (Certificat de
navigabilité). Puis toute modification, aussi minime soit-elle, par rapport à ce CDN originel,
doit faire l'objet d'un document d'application approuvé par les autorités. Elle est matérialisée par l’édition d’une consigne (AD - “Airworthiness Directive”), dont l’application est impérative ou simplement recommandée (SB - “Service Bulletin”).
Il est donc rassurant de savoir que, dès la mise en ligne d’un avion, le fonctionnement de ses systèmes est constamment amélioré en fonction des anomalies constatées (souvent signalées par la compagnie) et des améliorations envisagées par le constructeur.
Cela étant, il convient de préciser le fait que dès que la probabilité de la survenance d’une
panne est de 10-9 (soit une sur un milliard), le risque n’est pas pris en compte. C’est ainsi que, par exemple, pour un quadrimoteur, la panne de deux moteurs d’un même côté, pendant le décollage (alors qu’il a dépassé la vitesse à laquelle le pilote ne peut plus arrêter son avion avant l’extrémité de piste) n’est pas prise en compte.
Il résulte de cela qu’il peut arriver, surtout lors des premiers mois d’exploitation, que
surviennent des pannes quasi improbables, ce qui a été constaté, à plusieurs reprises au fil des ans.
Tourmag : Il a été avancé que le début d’incendie survenu sur un Boeing 787 de la compagnie All Nippon Airways ayant entraîné un atterrissage d’urgence, était dû aux batteries lithium fabriquées par des japonais !
J.B. : Exact. Un deuxième incident a entraîné des fuites d'électrolytes inflammables, des
émanations de chaleur et de la fumée sur deux modèles de Boeing 787. En effet, pour les
curieux, il a été précisé que la production d’oxygène provoquée lors d’un incendie rend
inefficaces les extincteurs mis à bord. Quant à ces batteries, elles ont été choisies parce
qu’elles sont beaucoup plus légères et moins encombrantes que celles actuelles équipant les
avions de ligne.
L’occasion est propice, ici, pour rappeler que les constructeurs font appel à de très nombreux sous-traitants. Pour le B 787, une partie des ailes est fabriquée au Japon et il est également fait appel à des sous-traitants français. C’est donc au sous-traitant concerné de proposer une solution aux constats de dysfonctionnements ou à la dangerosité de son système. Pour ce faire, il faut tout d’abord identifier le problème en commençant par rechercher quel est le sous-traitant concerné. Ici, est-ce le japonais qui fabrique lesdites batteries ? Est-ce le français qui fourni le système électrique incluant lesdites batteries ? Après résolution du problème, s’imposera une nouvelle certification. Les experts s’accordent pour dire que ces opérations ou même le changement éventuel de fournisseur prendraient un certain temps, ce qui pourrait amener Boeing à suspendre ses livraisons pendant plusieurs mois ! Les énormes pénalités en cas d’un tel décalage dans le calendrier des livraisons et les non moins importantes compensations à accorder pour l’immobilisation au sol des cinquante exemplaires déjà livrés à huit compagnies, porterait un coup très dur à Boeing ! Et cela au moment où Boeing se glorifiait d’avoir engrangé plus de commandes d'appareils que son concurrent Airbus !
Il ne reste donc plus qu’à espérer qu’une solution transitoire soit trouvée, permettant une
reprise des vols contrôlés par des inspections rapprochées.
Tourmag : Pourquoi cette accélération de mettre en ligne des avions de plus en plus
performants ?
J.B. : Tout d’abord, par la pression de la demande des compagnies qui pousse le constructeur à la satisfaire. Mais, également, par le constructeur qui propose un nouveau modèle incorporant des éléments scientifiques et techniques récents, qui grâce à une forte base scientifique et technique offre de nombreux avantages (exemples : volume de la cabine et des soutes, vitesse et altitude de croisière, nouveaux moteurs moins polluants, moins bruyants et plus économes sur le plan de la consommation de carburant, etc…), frappant, de surcroît, les autres appareils d’obsolescence.
Or, les techniques en jeu vieillissant rapidement, les constructeurs doivent faire face à la
cadence infernale des mutations imposées par une offre mondialisée. De plus, tous les
systèmes entrant dans la composition d’un avion sont généralement interdépendants et de plus en plus sophistiqués et complexes. Il ne faut donc pas s’étonner qu’après la certification initiale, surviennent, lors de la mise en ligne et des divers effets de l’exploitation dus aux spécificités des réseaux (altitude élevée d’aéroports conduisant à des vitesses d’approche plus élevées ; écarts de température ; pistes enneigées ; nombre et importance des turbulences subies ; nature de la maintenance ; nombre d’étapes ; etc…) surviennent des dysfonctionnements ou défaillances de certains systèmes.
Tourmag : Alors, on est en droit de se poser la question de savoir si l’intégration simultanée
de nouvelles innovations technologiques, avec recours à de très nombreux sous-traitants,
n’est pas une prise de risque ?
J.B. : Certes, toutes les hypothèses doivent être prises en compte. Cela étant, souvenons-nous des critiques qui avaient été portées contre Airbus après l’innovation des commandes
électriques. Par ailleurs, en cas d’accident qui surviendrait à la suite du dysfonctionnement
d’un système ancien, la critique ne manquerait pas de reprocher à la compagnie ou au
constructeur concerné de ne pas avoir installé un nouveau système existant et plus
performant ! C’est ce que j’ai déjà eu l’occasion d’entendre lors d’un procès. Quant à
l'externalisation de la production, comme je vous l’ai dit, elle est irréversible.
Tourmag : Boeing serait-il devenu un constructeur dangereux ?
J.B. : La réponse est non, pour les quatre raisons suivantes :
1°.- Le fait que le Boeing 787 ait accumulé trois ans de retard démontre que de nombreuses difficultés ont été rencontrées et que des solutions ont été apportées, sans pour autant avoir précipité sa mise en ligne. J’ajouterai que la réalisation de tels programmes est tellement complexe qu’elle conduit à des retards chez tous les constructeurs. Airbus a rencontré de nombreuses difficultés lors du lancement de son A380. Quant à l’A350XWB, il est probable qu’il ne respectera pas la date de livraison initialement prévue. Il en est de même chez les autres constructeurs, comme par exemple les Mitsubishi Regional Jet japonais, ARJ21 et C919 chinois.
2°.- Il faut avoir eu l’occasion de visiter les chaînes de montage de Boeing pour être
convaincu du sérieux et de la compétence de tous les personnels et de la parfaite logistique
mise en oeuvre. Il faut avoir eu l’occasion de voler avec les pilotes d’essais de Boeing pour
constater leur parfaite connaissance des performances et limites de leurs avions. Ces constats s’appliquent également à Airbus, ce qui est rassurant.
3°- Il faut avoir piloté plusieurs types de Boeing, par les temps les plus exécrables, pour être conscient de la sensation de sécurité ressentie par les pilotes. La reconnaissance des
performances a d’ailleurs été partagée par toute la communauté aéronautique.
4°.- Tout simplement, parce que le constructeur n’a vraiment aucun intérêt à livrer un avion dont il est sait qu’il existe des imperfections susceptibles de provoquer un accident, avec, entre-autres, tous les effets négatifs sur son image de marque.
Tourmag : Une conclusion ?
J.B. : Présenter, en quelques mots, une conclusion sur un tel dossier, sans en connaître les
tenants et aboutissants, serait une gageure bien risquée. Alors, la prudence conduit
simplement à espérer que pour toutes les pannes constatées, des solutions seront apportées dans les meilleurs délais, afin que les interdictions de vol soient levées. À ce moment là -indépendamment du risque de la survenance d’un accident pour toute cause indépendante de l’avion, comme sur tout autre vol - il n’y aura plus à hésiter de voyager sur un B787.
Depuis quelques années, alors que le trafic aérien est en constante augmentation, le nombre d’accidents est, lui, en diminution, ce qui montre bien que tous les intervenants, constructeurs les premiers, ont contribué à une amélioration de la sécurité aérienne.

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