A propos d’Alceste à bicyclette de Philippe Le Guay
Fabrice Luchini
A Paris, Gauthier Valence (Lambert Wilson) est un acteur de télévision adulé des foules pour son rôle de « chirurgien du cerveau » dans une série télévisée sur TF1. Mais quelque chose lui manque. Un vrai rôle de composition, un personnage de « chair et de sang » comme seul le théâtre en offre. En partant sur l’île de Ré retrouver son ancien ami et acteur Serge Tanneur (Fabrice Luchini), qu’il n’a pas vu depuis cinq ans, Valence pense pouvoir convaincre ce dernier d’accepter le rôle de Philinte dans une adaptation qu’il souhaite faire de Le Misanthrope (Molière) à Paris, lui-même s’étant adjugé le rôle d’Alceste. Mais déçu par le milieu artistique, « trahi » par un réalisateur qu’il croyait être un ami, Tanneur s’est retiré des planches et des plateaux de cinéma depuis plusieurs années. C’est un ermite vieillissant, vivant dans une maison délabrée sur une île réputée pour ses « bobos ». Pourtant, quelque chose le titille encore. L’envie furieuse de remonter sur les planches, de s’atteler à une pièce difficile, d’affronter son ancien ami, en un mot de se confronter à un grand texte comme à ses propres démons…
Fabrice Luchini et Maya Sansa
Les dialogues que répètent Valence et Tanneur dans Alceste à Bicyclette portent sur la première scène de l’Acte I de Le Misanthrope. Cette précision se révèle importante lorsque l’on s’aperçoit de la dimension métaphorique que prendront les dialogues entre Alceste et Philinte dans cette scène 1. Le début du film laissait pourtant présager le pire. On redoutait en effet que le huitième long métrage de Philippe Le Guay ne soit prétexte à des jeux de cabotinage entre deux grands acteurs qui n’ont plus grand chose à prouver, surtout concernant Luchini.
Mais assez vite, cette impression et ce constat sont démentis par la dimension grinçante et le ton moral que prend la fable de Philippe Le Guay. Ce n’est pas un hasard si Valence a choisi Le Misanthrope pour « séduire » son vieil ami. Par un ego tout à fait légitime (c’est lui qui a décidé de monter le projet), Valence s’est adjugé le rôle principal d’Alceste, ce qui déplaît d’emblée à Tanneur, qui lui propose d’inter-changer les rôles un soir sur deux de représentation. Car oui, à mesure que les deux compères commencent à répéter la comédie de Molière, le projet germe dans la tête de Tanneur qu’il se pourrait bien qu’il remonte en effet sur scène, même si Alceste est pour lui un personnage qui nécessite une telle maturité qu’une vie d’acteur ne suffirait pas à le jouer.
Comme on s’y attendait, cette première scène devient prétexte à des règlements de compte assez jouissifs visuellement, des joutes verbales pleines de ressentiment entre les deux hommes et plus piquantes que prévu. Mais là où la comédie de Le Guay s’avère plus subtile, plus acide et ironique, c’est lorsque l’on s’aperçoit que Valence lui-même est un acteur qui éprouve une certaine frustration d’acteur. On le comprend du reste, à la vision de cet extrait comique de la série ridicule qu’il joue sur Tf1 et qu’il regarde en compagnie de Tanneur.
Chez Le Guay, tout est affaire de morale et comme au théâtre, de faux-semblants comme de retournements de situations. On croit que Valence est un homme bienveillant, plein de bonté et de générosité pour son vieux pote qui croupit dans sa maison écroulée, à l’ombre des regards et à l’abri du monde, mais c’est un égoïste de première, et pas si bienveillant que cela.
L’arrivée impromptue d’une Italienne, venue revendre sa maison sur l’île, annonce le glas. Parvenant à s’immiscer entre les deux compères, la belle Italienne devient une muse, un peu à l’image de la Catherine (Jeanne Moreau) de Jules et Jim. En même temps qu’elle permet aux deux amis de trouver un équilibre dans leur relation, l’Italienne dont Valence et Tanneur sont tombés tous les deux sous le charme, occasionnera de nouveaux désaccords entre les deux hommes, de nature plus sentimentale cette fois. Où l’on comprend que si Tanneur a choisi de se retirer sur une île, ce n’était peut-être pas par hasard… Bien ficelé, Alceste à Bicyclette, qui aurait pu s’appeler Petit traité de la trahison en amitié est un conte moral étonnant à l’habile coup de théâtre final, où les masques tomberont et les rôles s’inverseront. N’était peut-être pas si vilain et aigri qui l’on croyait être…
http://www.youtube.com/watch?v=liAO4xOEfw0
Film français de Philippe Le Guay avec Fabrice Luchini, Lambert Wilson, Maya Sansa… (01 h 44)
Scénario de Philippe Le Guay sur une idée de Fabrice Luchini :
Mise en scène :
Acteurs :
Dialogues :
Compositions de Jorge Arriagada :