Magazine Culture
Lionel Casson, Libraries in the Ancient World, 2002, Yale University Press, 177 p. Index
Alors que nos outils de culture, de documentation et de recherche sont en pleine transformation, l'approche historique rappelle que ce qui est, et que nous commençons à regretter, n'a pas toujours été. L'écran, le clavier, le pavé numérique bousculent l'écriture manuscrite, les livres de papier et les encyclopédies, etc. Les bibliothèques, désormais construites et sauvegardées dans les nuages (cloud, server farms), se consultent en ligne, de n'importe où.
L'ouvrage de Lionel Casson s'adresse à des non spécialistes. L'auteur parcourt quelques siècles, depuis la bibliothèque d'Aristote et celles d'Alexandrie et de Pergame jusqu'au début du XIIIème siècle, tandis que l'on passe du rouleau (volumen) au codex, du papyrus au parchemin (qui signifie "peau de Pergame"), du calame à la plume. Il traite surtout des librairies romaines et les grecques.
Chemin faisant on voit se mettre en place l'outillage du travailleur intellectuel : les tablettes (de plusieurs dimensions, recouvertes de cire), le classement par ordre alphabétique (Alexandrie), la fixation des textes classiques, de traductions, la rédaction de glossaires et surtout la classification des contenus par thème (que l'on retrouve encore pour l'essentiel dans les librairies et les bibliothèques aujourd'hui).
Lionel Casson décrit dans leurs grandes lignes le fonctionnement des bibliothèques, leur achitecture et leur aménagement, leur gestion (la copie, l'absence de droits d'auteur, le classement, le stockage, la formation d'un personnel spécialisé, l'édition de catalogues, etc.).
Le livre s'achève avec le développement des bibliothèques dans les monastères chrétiens ; la Règle de Saint Benoît (540) impose aux moines d'apprendre à lire et prévoit des plages de lecture dans leur emploi du temps. Les monastères disposent de leurs propres scriptoria et développent déjà un système d'emprunts inter-bibliothèques.
Cet ouvrage, clair, sobrement illustré, constitue une introduction efficace à l'histoire des bibliothèques et par conséquent des médias ; il donne à voir l'enracinement de nos habitudes de travail, d'écriture et de lecture qui n'ont que quelques siècles ; on peut y nourrir le début d'une réflexion sur le changement qu'y introduit le numérique : comment franchir les limites de notre habitus "alphabétisé", que faut-il en abandonner pour tirer profit du numérique ?