L’exercice n’est pas aisé : « je voulais
dire, écrire au sujet de mon père, sa vie et cette distance venue à l’adolescence
entre lui et moi. » Parce qu’il restera viscéralement attaché au « monde
d’en bas » qui est le sien alors que sa fille, par les livres et les
études, va découvrir et intégrer une petite bourgeoisie dont il ignore tout. Son
univers à lui sera toujours resté confiné dans un espace limité dont il ne
cherchera jamais à s’écarter.
Point de tristesse, d’amertume ou de lyrisme malvenu.
Ernaux a préféré employer le ton du constat. « Je me tiens au plus près
des mots et des phrases entendues, les soulignant parfois par des italiques.
Non pour indiquer un double sens au lecteur et lui offrir le plaisir d’une
complicité, que je refuse sous toutes ses formes, nostalgie, pathétique ou
dérision. Simplement parce que ces mots et ces phrases disent les limites et la
couleur du monde où vécut mon père, où j’ai vécu aussi. Et l’on n’y prenait
jamais un mot pour un autre. »
Une prose épurée à l’extrême, dépouillée de toute
emphase. Annie Ernaux parle d’elle et pourtant son « je » est un « nous ».
Toute la force de son écriture tient dans cette universalité, cette volonté de
rester à l’écart d’une indécente forme d’autofiction. Sans doute son succès
populaire s’explique en grande partie par le fait que son œuvre s’articule
autour de la valeur collective du « je » autobiographique. La place est pour moi un roman magnifique, tout en retenu et
pourtant d’une incroyable force. Pas pour rien que ce texte est devenu un
incontournable du programme de français au lycée, tant pour l’analyse du genre
autobiographique que de la relation père/fille ou encore, dans les filières
économique et sociales, pour l’étude des classes sociales.
La place d’Annie Ernaux. Folio, 2004. 114 pages. 4,80
€.
Prix Renaudot 1984
Ce billet signe ma 1ère participation
au challenge "A tous prix" de Laure