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Argento Soma

Par Ledinobleu

Jaquette DVD du premier volume, sur deux, de l'édition française intégrale de la série TV Argento SomaA.D. 2059. Depuis des années, la Terre subit les assauts d’une race extraterrestre mystérieuse, avec laquelle personne ne parvient à communiquer. Pour en savoir plus, le docteur Noguchi et ses assistants, Maki Agata et son fiancé Takuto Kenishiro, tentent de réactiver le corps composite d’un des envahisseurs, une entité biomécanique appelée Frank. Mais les choses tournent mal et le chercheur ainsi que Maki sont tués sur le coup alors que Takuto plonge dans le coma et que Frank s’enfuit.

Pendant que le monstre rencontre Hattie, une  jeune orpheline élevée par son grand-père depuis que ses parents moururent durant les premiers combats de l’invasion, Takuto se réveille à l’hôpital. Défiguré et sa vie en lambeaux, il se voit proposer un bien étrange marché par un certain « M. X » : intégrer sous un faux nom l’agence secrète Funeral, celle-là même où ont échoué Frank et la petite Hattie qui, curieusement, s’avère capable de communiquer avec le monstre. Avide de vengeance contre la chose qui lui a ravi son amour, sa vie et son visage, Takuto accepte…

Peut-être en raison de son point de départ pour le moins inhabituel, doublé d’un développement tout autant inattendu, et le tout illustré par une direction artistique bien assez originale elle aussi, Argento Soma se vit souvent comparé à Neon Genesis Evangelion (Hideaki Anno ; 1995). Cependant, hormis pour ces points communs somme toute de surface, il faut bien admettre que toute comparaison entre ces deux œuvres défie le bons sens. On peut néanmoins rappeler, à la décharge de ces commentateurs de toute évidence assez peu inspirés, que la toute fin du siècle dernier se vit durablement impactée par la réalisation de Anno, et au point que beaucoup de gens se sentirent plus ou moins obligés de voir dans des productions ultérieures une influence d’Eva qui ne s’y trouvait pourtant pas. Ainsi en va-t-il des œuvres glorifiées bien au-delà de leur portée réelle par des admirateurs bien trop enthousiastes pour conserver la retenue indispensable à un examen consciencieux…

Argento Soma, en effet, présente comme qualité de se montrer tout à fait compréhensible sans avoir à basculer dans l’argumentaire toujours plus ou moins navrant de la grille de lecture à niveaux multiples – ou prétendue telle… Ici, point de nombrilisme à tendance névrotique qu’on tente à peine de déguiser sous un pseudo-intellectualisme de façade mais bel et bien un récit. De vengeance, d’abord : thème bien assez classique et donc efficace, à tel point d’ailleurs qu’il paraît inutile de s’y appesantir. De communication, ensuite, entre une enfant et un monstre qui n’en est pas vraiment un bien que son aspect affirme le contraire : un autre thème tout aussi classique lui aussi, rien que pour son emprunt au mécanisme narratif du conte de fée traditionnel présentant des enfants capables de voir, en raison de leur innocence même, ce que les adultes ont perdu de vue (1). Et d’amour, enfin, puisque sans celui-ci, toute histoire reste toujours un peu vide : vous aurez l’occasion de voir, si vous faites le choix de vous pencher sérieusement sur Argento Soma, que ce thème classique parmi les classiques tient ici un rôle tout ce qu’il y a de plus central encore que d’une manière bien assez originale.

Pour faire intellectuel, ou quelque chose de cet ordre, je pourrais aussi citer les multiplications de personnalités et les télescopages de points de vue qu’elles impliquent s’il ne s’agissait pas d’un thème tant battu et rebattu, aux sauces les plus relevées comme les plus banales, qu’il en a perdu toute sa saveur depuis des décennies au bas mot pour au final s’abattre dans une banalité à toute épreuve ; il ne présente ici aucune particularité sauf peut-être sur la forme – et encore.

Mieux vaut donc se pencher sur les deux autres thèmes principaux, ceux-là même que le récit souligne à plusieurs reprises. D’une part celui de Pinocchio, d’après le personnage éponyme créé par Carlo Collodi (1826-1890) en 1881, qui prend dans ce cas précis l’allure du monstre utilisé contre son gré dans un but dont il semble tout ignorer : l’image de la marionnette se montre ici tout à fait évidente, et la dimension affabulatrice de ce morceaux de bois auquel une fée donna vie peut éventuellement se trouver dans un aspect de l’histoire que je ne peux révéler ici sans spolier (2) le lecteur – j’espère donc que celui-ci me fera confiance…

D’autre part, et pour finir, le thème de Frankenstein, ou du moins du monstre que créa ce « Prométhée moderne » à partir de plusieurs cadavres humains de même que dans cette série Frank se compose des restes de plusieurs envahisseurs : comme dans le roman de Mary Shelley, la créature acquiert de par cette genèse peu banale des capacités hors normes, même si en l’occurrence il s’agit avant tout d’un élément purement psychologique, cela même qui lui permettra de devenir un personnage à part entière, et un protagoniste d’autant plus central que lui seul permettra de débloquer la situation en raison même de cette personnalité ainsi acquise – là encore, impossible de me montrer plus précis sans spolier…

Quiconque maîtrise un tant soit peu son sujet aura reconnu là un classicisme dans les inspirations et les thèmes tout ce qu’il y a de plus caractéristique du studio Sunrise. S’il s’agit d’un gage de qualité pour certains, d’autres y trouveront de quoi regretter un manque d’audace narrative. Ces deux points de vue resteront peut-être à jamais inconciliables, aussi vaut-il mieux pour vous savoir de quel côté de cette barrière vous vous situez avant de vous plonger dans cette œuvre.

Plus objectivement, et pour autant qu’un tel adverbe mérite sa place dans une critique, on pourra reprocher à cette œuvre un rythme un peu lent dans sa narration, du moins au début et une fois le premier effet de surprise passé. Par la suite, l’ensemble se montre bien assez intéressant pour procurer une expérience aussi agréable qu’originale dans la facture et peut-être même instructive. Quant au plan strictement technique à défaut d’artistique, et si Sunrise fait là encore preuve de son immense savoir-faire, on regrette malgré tout quelques faiblesses ponctuelles dans l’animation qui, fort heureusement, ne parviennent pas à gâcher l’ensemble.

Mais Argento Soma reste avant tout une expérience narrative et picturale qui réussit le pari de parvenir à s’adresser à l’enfant enfoui en nous sans pour autant perdre de vue l’adulte qu’il est devenu, soit une production bien assez ambitieuse sur le fond : pour une expérience aussi inattendue que bienvenue, cette série saura donc tout à fait combler vos attentes.

(1) Jean Markale, Nouveau Dictionnaire de mythologie celtique (Pygmalion, 1999, ISBN : 978-2-857-04582-3) ; voir notamment l’entrée sur le mage Merlin.

(2) en français dans le texte.

Notes :

Erreur d’animation : dans l’épisode 15, quand Frank se fait embarquer dans l’avion, le chien Walton apparaît bien plus grand qu’un être humain alors qu’il fait normalement à peine la moitié de la taille d’une personne moyenne.

Pendant l’épisode 16, alors que Ryu examine des données informatiques, on peut apercevoir des lignes de code issues du fichier l3mdct.c utilisé entre autres dans l’encodeur open source LAME.

Argento Soma, Kazuyoshi Katayama, 2000
Kazé, 2007
26 épisodes, env. 20 € l’intégrale en deux coffrets


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