Magritte, Gaspard de la nuit
Hier soir, je ne savais trop quoi lire. Un livre théorique sur l’esthétique m’ennuyait. J’ai failli me replonger dans Thucydide le clairvoyant, lorsque ma main s’est arrêtée sur Gaspard de la nuit d’Aloysius Bertrand. Magie retrouvée. On ne l’ouvre jamais sans en tirer joie esthétique et vibrations devant l’effroi que cause ce Réel invisible – mais palpable par l’art – qui soutient et comprend nos réalités quotidiennes. Ces phrases ont surgi, que j’ai griffonnées, hâtif :
Les humains, ces châsses qui sertissent la flamme, et s’ignorent. Yeux tournés vers les ténèbres, une lumière les foudroie et dévore.
Géants fous, ils s’avancent, hurlent, chancellent, cassent et le mobilier, et leur esprit, et leurs os…
Et scintille la flamme.
De leur ignorance, ils ne peuvent même pas nier ce qu’aveugles, ils ne perçoivent.
Les grands textes font surgir ainsi chez le lecteur des éruptions verbales, dont il serait bien en peine de démêler les causes dans son histoire personnelle ou de démontrer les liens avec le texte sous ses yeux. Ces montées de l’abîme (ou ces descentes du supramental) sont plutôt engendrées par l’état d’esprit où nous mènent de tels auteurs.
(Le chien de Dieu, Éd. du CRAM)
*
Quand les fantômes monteront de la mer,
je me débusquerai des sols chiches,
et marcherai vers la mort aux noces apparentes
des antipodes.
Pour Heidegger, il existe deux types de pensée :– la pensée qui calcule : raison raisonnante du moi quotidien ; celle qui a développé la méthode scientifique et la technique comme tactique vitale de l’espèce (Spengler) ; celle qui, depuis la Révolution industrielle, accumule les exploits : machines à vapeur, organisation scientifique du travail, machines-outils, production et consommation de masse, cybernétique, conquête de l’espace…
– et la pensée qui médite : interrogation de l’Être, du sens de l’Être, contemplation… en opposition à la pensée scientifique et apparentée à la musique et à la poésie.
(Le chien de Dieu, Éd. du CRAM)
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