Alexandre VIALATTE, La complainte des enfants frivoles, Le dilettante, Paris, octobre 1999 -- 2012 pour la version électronique ( 256 pages).
Cher Vialatte, comment ai-je pu en 1999 laisser passer ce premier roman, publié à titre posthume, qui vient d'être repris il y a quelques mois sous format Kindle ?Voici un délicieux contrepied aux récits de Tchékhov en compagnie desquels je suis passé d'un an à l'autre, et dont certains d'entre vous, chers lecteurs, redoutaient -- à tord -- qu'ils ne me portent à de bien moroses délectations, et par délicieux, j'entends cette prose si particulière où le nom épouse le qualificatif le plus inattendu, sans danger de mésalliance, et où l'adverbe, chose rare, pétille son verbe.
Une histoire de collège, une petite ville d'Auvergne, un peu le bout du monde, où le narrateur revient. C'est après la guerre, celle qu'on appelle déjà la Grande, sans savoir qu'une autre est en gestation. Les Allemands sont toujours méchants, ainsi l'affirment les vieilles personnes, dont chacun sait qu'il faut éviter de changer brutalement les opinions, et Baudelaire un poète très immoral, qui, chacun le sait aussi, écrit des pièces que l'on joue, à Paris, avec des femmes nues. C'est encore le temps de l'éclairage au gaz, des premières cigarettes à quinze ans et d'une lenteur toute urbaine :
« Entre tous, le souvenir du vieux collège, posé en pleine campagne sur une butte rustique, parmi des marronniers imposants, m'obsédait comme un décor de Shakespear où il se passe des choses insolites et désespérées. [...] Tout était vide. Blaise Pascal, rôti par le soleil, tenait toujours son doigt sur un gros livre, comme un contrôleur des légendes enfantines, un vérificateur des mythes périmés. [...] Il y avait toujours ... ce même pissenlit téméraire dans l'angle de l'escalier du jardin. Je lui fus reconnaissant de cette persistance comme d'une attention voulue à mon égard. Le crépuscule intervint doucement avec une lune d'argent, usée comme un vieux bijou de famille, sur un ciel cérémonieux. »Et comme dans une pièce entreront tour à tour les très réels fantômes du passé : Jérusalem, Lamourette, Gabrielle -- qui s'appelait Prim, Balèze, Karl Marx « Au nom de tous ces grands Latins... », M. Schmitt, le professeur d'allemand à l'accent du Midi, un nouveau professeur, le Dr Quinquandon, lecteur à l'université de Berlin, les rendez-vous de 4 heures sur les rives de la Dore, les amours... et puis après, plusieurs mois après, la remise des prix d'excellence...
Bref, cela se lit comme on boit un prosecco; mieux encore, cela se lit avec un prosecco. Le hasard a voulu que le bref roman de Vialatte suive le Lorenzo -- au si fragile papier -- de Jean Basile, voisin par le sujet, les brefs moments de la vie, quelques mois, quelques années, empreints de certitudes et d'illusions, qui marquent la frontière entre l'adolescence et l'âge adulte. Écrits par des hommes encore jeunes, mais qu'une génération sépare, d'une écriture effervescente chez le premier, plus appliquée chez le second, ils témoignent l'un et l'autre d'un monde qui n'est plus, mais auquel nous avons pu toucher et évoquent, comme dans la chanson de Trenet « une photo, vieille photo de ma jeunesse », nos propres années de collège, elles aussi envolées, mais si précieuses.
Présentation :
« Cette complainte à multiples couplets que nous fredonne cet enfant frivole de Vialatte est un lâcher de senteurs : effluve de l'encre, parfum de l'éponge, odeurs de préau. Vialatte vous vend la fragrance du passé dans un grand flacon qui a la forme d'un pupitre. Son âge d'or est fait de rentrées des classes, d'automnes à recoins mystiques où se troquent de minces secrets enrobés dans du papier d'argent, de pèlerines à l'abri desquelles se trament les contrebandes enchantées de l'enfance. Vialatte n'a jamais réellement déserté le préau aux sortilèges et cette complainte qu'il moud tel un très vieil orgue de barbarie sonne comme une récréation éternelle. »