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A$AP Rocky – LONG.LIVE.A$AP

Publié le 26 janvier 2013 par Lcassetta

Il y a un peu plus d’un an, A$AP Rocky sortait la meilleure mixtape de 2011 et s’imposait comme l’une des figures les plus fascinantes du rap contemporain. Unique, talentueux, avec un goût exceptionnel pour les beats. Les attentes pour son premier album sur un major label sont devenues énormes et aujourd’hui, LONG.LIVE.A$AP est sorti et est en tête des ventes hip-hop aux USA. Rien d’impressionnant mais le tout laisse un goût réellement amer. Chronique.

It’s just me myself and I – and motherfuckers that I came with. C’est ce que scande Rakim Mayers a.k.a. A$AP Rocky sur Goldie, premier extrait de l’album… et c’est aussi la phrase qui le définit le plus. Il a toujours été bien entouré et s’il s’en sort très bien tout seul, c’est avec ses potes qu’il s’impose vraiment. Comprenez sa clique, ses producteurs, etc. Plus que sa personnalité et son talent, ce qui frappait le plus sur LIVE.LOVE.A$AP, c’était vraiment la production hors pair. Même s’il s’est inspiré de Lil B et de son ancien collaborateur SpaceGhostPurrp, ce qu’il en faisait était unique. Quand SpaceGhost se mettait avec lui, ça donnait ça, avec ce beat original et deux personnalités en symbiose parfaite. Avec Clams, il posait les meilleurs morceaux : Palace est l’une des meilleures intro rap de ces dernières années, Wassup son cri de gloire. Il y avait énormément de couplets incroyables sur cette tape, souvent les featurings, plus rarement lui. Mais il était tellement captivant et constamment skilled que ça ne gâchait rien. Maintenant, sur son premier album, il est toujours avec ses motherfuckers – pas les mêmes qu’avant – mais c’est moins me myself and I. Rocky est un étranger sur son propre album.

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Prenons Fuckin’ Problem. Ce track reste le principal highlight de l’album… sauf que le mérite ne revient pas à Rocky. Vraie réunion all-stars, tout le monde est à sa place — sauf lui. Et c’est là le problème principal de l’album : Son auteur ne s’impose jamais. Sérieusement, la chanson aurait pu être créée comme ça :

[Le Manager d'A$AP Rocky] Bon, Rakim, les gens ont oublié Goldie et vu qu’on a du retarder l’album, il faut sortir un nouveau truc pour que les gens t’oublient pas… Alors on a ramené trois des rappeurs les plus en vue du moment et on va faire un gros single bien dumbed down, tu vois ? Bon, on y va les mecs : Drake, tu fais le romantique rancunier, Kendrick tu fais le dramatique et 2 Chainz tu la joues pervers. … Hein ? Ah meeerde, on a oublié Rocky, y a plus de place. Euuuuh… écoute Rakim, viens au début, tu fais coucou à la caméra et tu laisses tes copains ok ? C’est dans la boîte, on va se faire des millions. 

Le truc c’est que ça réussit vraiment. On n’aurait jamais cru qu’une chanson qui scande I LOVE BAD BITCHES THAT’S MY FUCKIN’ PROBLEM puisse être aussi mémorable, mais chaque rappeur fait la meilleure impression de lui-même : Drake est charismatique, 2 Chainz délirant, Kendrick talentueux… Rocky est normal. Quand on écoute la chanson sans connaître les artistes, on comprend vite qui est qui, mais au final, lui, il est regrettablement interchangeable. Sinon, Fuckin’ Problem est addictif, c’est vraiment appréciable de suivre leur délire et ce qui apparaît comme un track ignorant est finalement beaucoup plus profond que ce qu’il laisse à paraître. Et ce beat… 40 a capturé l’essence trill des débuts de Rocky en y apposant son minimalisme chill et en l’adaptant à un son plus radio. C’est réussi sur tous les points.

1Train pose clairement le même problème. C’était sûrement le track le plus attendu en rap depuis bien longtemps : Il n’y a qu’à voir le line-up qui ferait mouiller n’importe quel fan de rap contemporain. Rocky, Kendrick Lamar, Action Bronson, Danny Brown, Joey Bada$$, Big K.R.I.T. … et Yelawolf (oui on s’en serait passé). Cerise sur le gâteau : le tout est produit par Hit-Boy (Niggas In Paris, Goldie…). Tout ne se passe pas aussi bien que prévu mais le tout reste relativement bon. Sauf que relativement bon avec ce line-up c’est assez décevant tellement on a l’impression que personne ne fait d’efforts. Il y a beaucoup de passages bons mais rien de groundbreaking, vraiment et c’est dommage. Ca a été l’occasion pour beaucoup de classer les sept couplets — et de voir Rocky toujours au fond. C’est aussi l’occasion de voir Danny Brown détruire tous vos rappeurs préférés sans trop se fouler. Kendrick est un peu trop dramatique, Joey Bada$$ se victimise un peu, Yelawolf se surestime (et bon dieu, pourquoi est-ce qu’il trouve ça important de parler de sa couleur de peau en 2013 ?)… Mais en gros, comme sur Fuckin’ Problem, on connaît le rôle de chacun : Bronson joue le gangsta gourmet (aussi bien en gastronomie qu’en drogues), Danny le schizophrène, mi rappeur-immature-et-vulgaire, mi gangster, avec son humour acéré. Et Rocky ? Rien. Non, littéralement, il n’y a aucun signe qui rappelle que c’est lui, son identité, ce qui a fait de lui le rappeur le plus fascinant de 2011. C’est réellement triste et déplorable de passer de celui qui proclamait Only thing bigger than my ego is my mirror à quelqu’un qui se fait surclasser par cinq autre rappeurs (et qui a des difficultés face à Yelawolf).

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Quand on le laisse seul, il ne s’en sort pas mieux. Il ouvrait sa mixtape avec une énergie spectaculaire, un flow fascinant et un beat plus grand que nature. Là, il ouvre son album avec Long Live A$AP sur un beat tout aussi menaçant, mais moins prenant. C’est une sorte d’hybride trap/cloud-rap avec un hook horrible. Sérieusement, Rakim… pourquoi ? tu chantais bien sur Demons ou Purple Kisses, pourtant, ça allait bien avec le beat. Là tu pars dans un falsetto inutile. Et pourquoi tout ce namedropping ? Tu rappelles tes influences de Memphis, ok, enfin tu l’as déjà fait sur l’intro de ta mixtape… Tu fais une n-ième itération de Shimmy Shimmy Ya aussi. Hum. C’est un peu un résumé grossier du personnage, mais s’arrêter sur toi comme le mec qui s’inspire de Memphis et qui fait le gangster… non. Dans cette définition on pourrait au moins rajouter SpaceGhostPurrp ou LIL UGLY MANE. Et le flow ? Autant avant tu avais cette fabuleuse montée à la Bone Thugs, autant là c’est tout plat. 

Le problème du flow est évident. Il est évident qu’il n’a jamais été un vrai monstre à ce niveau là, mais il s’en sortait et avait ses moments de génie. Il avait un flow basique sur sa mixtape, où il faisait presque des exercices de style, un peu comme s’il essayait différents vêtements dans une cabine. Il empruntait le flow des Bone Thugs, il faisait beaucoup de flow switch, des rimes internes et le tout créait un patchwork qui lui était propre. C’était son flow, inspiré de beaucoup mais c’était le sien. Sur cet album c’est moins audible. Il y a bien quelques moments où il rappe bien, voire très bien, comme PMW, mais c’est encore de simples moments où il ne tient pas face à un Schoolboy Q qui lui fait de l’ombre dès le premier featuring de l’album. Il y a des moments où il est lyrique, comme sur le doublé Clams Casino LVL et Hell. Mais il y a vraiment trop de namedropping inutile, sur beaucoup de tracks, qu’il s’agisse de Suddenly où ça devient vite saoulant ou du shout-out obligatoire à Basquiat — car oui, comme le dit A$AP Rocky, “I’m more than just a pretty boy, I’m an artiste.”

Et la production ? Beaucoup trop variée et brouillonne. C’est honteux, surtout quand on sait que LIVE.LOVE.A$AP était emballé dans une production parfaite. Les cuts de Clams Casino étaient les plus attendus, cela va sans dire. Ils se suivent sur l’album, ce qui permet de montrer à quel point ils se ressemblent… Mais ce n’est pas le problème. Clammy Clams est sans hésitation l’un des meilleurs producteurs à avoir béni le hip-hop moderne et il a joué un rôle important dans le succès de notre artiste. Là ses deux beats sont communs. Ils ne sont pas mauvais, ils ne sont pas bons, ils sont banals. C’est du noise saturé, beaucoup d’ambient et pas vraiment lui. Lui qui fournissait des beats éthérés et purs, poignants, avec des vocals touchants et émouvants, mélangeant dirty south au cloud rap, a fait quelque chose de banal et relativement chiant. Hell est taché par la présence inutile de Santigold pour le quota de hype, mais il y a une répétition sympa du refrain à la Memphis old school. Il y a quand même de bons moments : Pain, produit par notre Soufien3000 national (big up si tu nous lis) continue sur l’ambiance teintée de violet de Get Lit ou Acid Drip et des chops vocaux agréables. PMW a été produite par le fantastique T-Minus (Swimming Pools (Drank), The Motto, She Will…) et inutile de vous dire que c’est l’un des moments les plus propres à l’esthétique d’A$AP Rocky et l’un des plus réussis. Il y a le cas Wild For The Night… vous savez, celui produit par Skrillex. Hum. Disons que ça aurait pu être pire. Bon, il ne sait clairement pas structurer une chanson de rap et le côté banger est assez peu réussi mais il n’y a rien d’alarmant, Rocky rappe même assez bien dessus. C’est un track assez inutile, il y a déjà assez de bangers.

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Rocky n’est – heureusement pour nous – pas tout le temps irrelevant, il a ses moments de gloire. Phoenix est censé être le vrai moment de gloire mais on en compte deux meilleurs : Suddenly et Goldie. Le premier est une histoire de oh, le succès vient subitement, comment faire, comment traiter ma nouvelle célébrité mais il la raconte très bien. C’est une perle de storytelling et l’un des meilleurs moments de lucidité du rappeur. Le concept en lui-même est bon : il garde son flow basique pendant deux minutes où le beat est quasi-beatless sur de l’ambient avant le drop où il lève le poing au ciel, armé de son flow dirty south. Le fait que ça soit l’outro nous laisse un sourire en coin et un peu d’espoir pour un très bon moment. Goldie est le véritable deal, par contre. Le premier extrait de l’album nous laissait des étoiles violettes au fond des yeux. Le beat était la transition parfaite entre une puissance de feu hard-hitting adaptée à la radio et son univers trill avec les passages chopped and screwed, signé par le génial Hit-Boy, et Rocky a rarement sonné aussi sûr de lui, puissant et lui-même. Ces trois minutes, c’est trois minutes où on est trapped in Basedworld Rocky’s world. C’est le rappeur dans toute sa splendeur, star du style, les dents dorées, mais toujours un gangster-smoker-drinker au swag infini. Il réussit une balance optimale entre punchlines et pur style. Si Fuckin’ Problem est le principal highlight de l’album, Goldie le laisse enfin briller et nous laisse imaginer que tout n’est pas perdu. C’est la preuve que tout ce qu’il lui manquait pour réussir, c’était d’être simplement lui-même.

Finalement, LONG.LIVE.A$AP n’est pas entièrement à jeter, il y a au moins quatre ou cinq cuts qui méritent toute votre attention. Mais c’est inexcusable qu’il ait perdu toute son identité sur son premier album et qu’il soit le pire rappeur sur son propre album. La production est aussi aseptisée que sa personnalité et le fossé qu’il laisse entre cet album et LIVE.LOVE.A$AP est encore plus gros que son ego. J’espère que ceux qui l’écouteront prendront la peine d’écouter sa mixtape parce que le découvrir sur cet album, c’est comme quand on te présente un pote en soirée, qu’on t’assure qu’il est génial et au final t’as à peine le temps de lui parler deux minutes qu’il s’en va prendre un verre et qu’il se perd dans la foule sans que tu ne puisses le revoir. On espère qu’à la prochaine soirée on pourra le capter un peu plus.

A$AP Rocky – LONG.LIVE.A$AP Si Mohammed El Hammoumi (Si Mohammed El Hammoumi)

Je suis le rédacteur en chef du site. Je suis marocain, j'ai 18 ans et je suis étudiant... Bref, sachez surtout que je suis un énorme passionné de musique underground et de journalisme musical qui connaît le sujet de fond en comble. Je trouve énormément de plaisir à écouter, partager, découvrir, parler, débattre et autres activités tant que ça concerne la musique. Voilà !


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