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HK : Entretien avec un saltimbanque

Publié le 27 janvier 2013 par Thierry Gil @daubagnealalune

HK et les saltimbanks

De passage à Gémenos où il est venu soutenir les Fralib et après une escapade sur la scène de L’Escale à Aubagne, « HK » le saltimbanque et chanteur mutin confie sa vision du monde et des luttes pour l’émancipation du genre humain.

Amoureux de la chanson française, membre du Ministère des Affaires Populaires (M.A.P) et chanteur mutin avec les « Saltimbanks », HK a offert une visite surprise à L’Escale, la salle de spectacle d’Aubagne, le 25 janvier. Ce soir-là, en compagnie de Gari Grèu, MC du Massilia Sound System, il est monté sur scène rejoindre la brésilienne Flavia Coelho pour offrir à un public comblé un interlude raggamuffin. Le lendemain à la première heure, c’est dans les locaux de l’usine Fralib à Gémenos que l’auteur du désormais célèbre « On lâche rien », un chant que tous les travailleurs en lutte se sont approprié, répétait ses gammes. Avec « Les Fralibos », un groupe improvisé avec trois salariés de l’usine et deux musiciens des Saltimbanks, il a donné un mini-concert énergisant – auquel participait aussi Gari Grèu – à l’occasion d’une cérémonie de vœux que les Fralib ont voulu à la fois combative et festive. L’occasion pour nous de tirer les vers du nez de ce citoyen du monde, partisan d’un monde sans frontière, qui vise comme nous… la lune. Morceaux choisis :

« Nous avons des valeurs communes à défendre »

Le premier stade c’est celui de la fatalité, de la résignation, c’est de se dire on n’y peut rien et puis voilà…nous on est que des petites fourmis ouvrières. On nous utilise, on nous rince et puis on nous jette. Après tu as le stade de la révolte où tu te bats pour ta gueule, pour ta survie, pour dire je ne vais pas me laisser faire et continuer à me laisser marcher sur la gueule, tu vas voir connard. A un moment donné tu comprends que tu te bats aussi pour le copain qui est à côté de toi et que tu en es capable. Sous l’ère Sarkozy, notre président avait dit que quand il y avait une grève cela ne se voyait pas. D’où la nécessité de passer à un autre stade, celui de la convergence des luttes. C’est un peu cela que je défends avec ma musique : l’idée que nous avons des valeurs communes à défendre. On sent aujourd’hui qu’il y a quelque chose qui monte, cette idée que les luttes doivent s’agglomérer et que l’on est plus seul. Il n’y a pas de changement possible si on ne réalise pas qu’on souffre du même mal.

« Il faut dépasser la lutte des classes »

Je crois forcément en la lutte des classes mais je crois aussi qu’il faut dépasser cela et qu’il faut être dans un combat de valeurs, d’idéal. La lutte des classes on y est aujourd’hui et c’est bon qu’on en soit là mais il y a un 3ème stade à franchir. Moi je ne tape pas sur celui qui a de l’argent ou sur le patron, c’est pas le problème. Ce n’est pas l’état de notre porte-monnaie qui détermine ce que l’on est. C’est pas parce qu’on est pauvre qu’on est un gars bien et vice versa. Dans mon quartier il y a des prolos qui votent FN et l’extrême-droite réalise 20% Quelqu’un qui gagne de l’argent, c’est pas un problème. Moi ce qui m’intéresse c’est de savoir comment il l’a gagné cet argent et ce qu’il en fait. Est-ce qu’il gagne cet argent pour sa gueule ? Est-ce que cet argent va rentrer à un moment donné dans le cercle (vertueux, n.d.l.r) de l’économie solidaire ?

Quand

Quand "HK" monte sur scène avec les Fralib, cela donne "Los Fralibos" et c’est bon pour le moral (photo : Thierry GIL)

« On s’est égaré dans la course au progrès »

Il est urgent de retrouver un équilibre à la fois économique, humain et écologique. C’est une vraie idée. Quand tu es dans le désert tu comprends l’importance de l’eau. Chez nous ça n’est pas un souci : tu fais couler l’eau au robinet, t’as un coup de fil, tu réponds et tu laisses couler l’eau, t’en a rien à foutre. On s’est égaré dans la course au progrès. Il devait servir une vision de l’humanité et on constate qu’il ne sert que des intérêts privés. Il y a un déséquilibre total en termes de répartition des richesses et des ressources. L’enjeu c’est cette quête de l’équilibre. On doit se dire que la civilisation humaine doit se battre chaque jour pour tendre vers une harmonie et c’est ce qui doit conditionner nos sociétés. La recherche du profit individuel ça n’est plus possible. L’idée qu’on nous a vendue à la base c’est que la somme des intérêts individuels fait l’intérêt collectif. C’est ça l’idée du capitalisme. Quand on te dit ça, tu te dis : si ça marche ça me va. Mais si tu veux que la règle fonctionne, il faut sortir de cette idée que l’intérêt individuel c’est l’enrichissement personnel. Sinon c’est mort.

« Je veux construire une autre maison »

Le monde moderne a connu que deux systèmes. D’un côté le capitalisme qui est l’apologie de l’individualisme, la négation du projet collectif, d’ambition collective et de partage et, de l’autre, le communisme qui a abouti dans les faits à la négation de l’individu. Je ne suis pas politologue, je ne suis qu’un saltimbanque, je me place sur le plan philosophique : nous sommes des êtres humains, nous avons besoin d’exister et de nous épanouir individuellement. Mais on doit pouvoir marcher sur ses deux pieds : exister en tant qu’individu unique et avoir la possibilité de s’intégrer dans un projet collectif. Je suis altermondialiste dans l’âme, j’aime cette idée là. Les fondations sur lesquelles le monde est construit ne me vont pas. Je veux construire une autre maison. La question est de savoir sur quelles bases on va pouvoir construire un autre monde.

Avec Gari Grèu du Massilia Sound System le 25 janvier à L'Escale

Avec Gari Grèu du Massilia Sound System le 25 janvier à L’Escale

« La société qu’on nous a vendu ne fonctionne pas »

Le gars qui te dit : c’est bon moi j’ai le papier, le modèle, t’as plus qu’à signer en bas, non ça n’existe pas. A un moment donné il va falloir que des choses émergent, qu’on crée les conditions pour que des idées nouvelles émergent. Je suis anticapitaliste parce que ce monde là ne me plaît pas et que je vois chaque jour les déviances du système. Il y a des gens qui se disent « pragmatiques » et nous serions des fous. Mais même parmi ces gens-là il y en a de plus en plus qui se rendent compte que ça ne marche pas. De plus en plus de gens réalisent que tout se casse la gueule. C’est pas super optimiste mais l’histoire de l’humanité montre malheureusement que c’est comme ça : à chaque fois que l’homme a été au pied du mur il a été contraint de réagir. Il faut une catastrophe nucléaire pour nous faire réagir et se poser la question du nucléaire. Et même dans ce cas-là tu finis par oublier quinze jours après. Il faudra une catastrophe planétaire, un Fukoshima puissance 100,  pour qu’on remette en cause le nucléaire. Et ce jour-là fatalement on va y arriver. Il n’y a rien de visionnaire à dire cela. Quand tu observes le monde tu te rends compte qu’il fonctionne comme ça,  non pas dans un esprit de solidarité ou de sagesse mais par la contrainte, les catastrophes et les guerres.

« Gauche, droite, c’est pas du pareil au même »

La gauche au gouvernement et la droite c’est pas du pareil au même. Il y a eu des avancées, très insuffisantes, et des maladresses. Mais après sur les questions sociétales le ton est différent, que ce soit le mariage pour tous ou le discours du président à Alger pour la réconciliation franco-algérienne. D’une manière générale, on est avec ce gouvernement dans l’idée de la compromission alors forcément ça ne peut pas me satisfaire moi. Mais je me sens un peu mieux sous ce gouvernement que le précédent. Et en même temps je sens que je me fais avoir quand je baisse ma garde, notamment sur la question des sans-papiers. La réalité qui remonte du terrain par les associations et les chiffres, c’est que ce gouvernement a réussi à faire pire que son prédécesseur. C’est le paradoxe. Il y a eu des discours apaisés et je fais partie de ceux qui pensent que c’est pas rien même si ce ne sont que des mots car il y a un climat qui se détend et avant c’était super tendu. Après tu files des bons points et tu as l’impression de t’être fait avoir sur la question des sans-papiers comme sur celle de la taxation à 75% (des revenus supérieurs à 1 million d’euros, n.d.l.r). Peut-être qu’au fond le gars savait que ce projet de loi allait être retoqué. Il faut rester en permanence en état de vigilance. Ça ne m’intéresse pas de taper sur ce gouvernement. Ce qui m’intéresse c’est d’être dans la construction d’autre chose.

Propos recueillis par Thierry Gil

« Brel, Ferré, Brassens et les autres en chaâbi »

Sur scène, HK déploie une énergie contagieuse (photo : Jean-Claude Saget)

Sur scène, HK déploie une énergie contagieuse (photo : Jean-Claude Saget)

HK caresse avec Mediapart, le journal en ligne, un projet de reprises de chansons françaises en chaâbi, la musique populaire algérienne. Ce projet baptisé « Les déserteurs » imaginé dans le cadre de la réconciliation franco-algérienne devrait voir le jour rapidement, probablement dès le printemps de cette année. Un bel hommage aux Brel, Ferré, Brassens et autres grands noms de la chanson française partisans comme notre interprète d’un monde meilleur.


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