Aux ombresparfois penchées sur notre épaule
(ironiques ou encore sévères)et notamment à
Maurice Adrey, soldat, peintre
Louis B., soldat
Richard de K.dit s., soldat, médecin
Jean Labril, soldat, musicien
Jean-Marie L., soldat
Invocation Liminaire
Ils ont habité avec nous dans la gueule de la baleine.
La baleine les a crachés sur l'autre rivage :
Les timides.
Les gauchers.
Celui qui était albinos et bègue.
Les myopes. Les méfiants, les malins.
Et ce grand garçon qui avait toujours soif,
toujours sommeil.
Regardent-ils parfois par-dessus notre épaule ?
Depuis qu'ils sont partis, nous n'avons vu personne.
Sommes-nous aveugles ? Ou bien
"spiritisme, religions de nègres", écrit,
dans quelque périodique exquis, un Révérend Père.
Pourtant,
s'ils regardaient, parfois, par-dessus notre épaule ?
Ou bien quittant le rivage de la mer intermédiaire,
se sont-ils avancés depuis longtemps
dans l'intérieur des terres spirituelles ?
Le sorcier noir sait appeler, sait, quand elles voudraient
s'en aller, retenir, ramener les ombres, les âmes.
Qui de nous saurait appeler
saurait ramener
l'ombre de John,
de Bernard,
de Maurice ?
Jean-Paul de Dadelsen, Aux ombres, in Jonas, Jonas, suivi de Les ponts de Budapest et autres poèmes, Poésie/Gallimard, n°405, 2005, p. 87 et 88.
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.SUR LE NOM DE BACH1 Dans la gamme couleur d’automne de si bémol mineur, descend Cette première marche jusqu’à la note sensible ! Le nom alors se hisse Jusqu’à do, le niveau de la réalité. Et, de nouveau, du même demi-ton Retombe Sur ce si dont la vibration suspendue appelle une nouvelle ascension. Le clavier est l’image du monde. Comme l’échelle de Jacob Il nous traverse de bout en bout. Regarde la corde tendue sur son frêle berceau de bois : chaque montée, Même d’un dièse, augmente son effort. Mais pour descendre, simplement Relâche sa contrainte ! Gamme qui s’élève avec peine, telle la femme de Loth, regardant en arrière, et Sitôt qu’elle cède à sa pente, devient plus lasse encore, plus tendre aussi plus Condamnée, plus entraînée vers les eaux de l’amertume et de la séparation. Que suis-je, livré à moi-même ? ..
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DÉPASSÉ. PROVISOIREMENT« Sombre. Mais l’espace plus vaste.
Moins de gens. Le sentier dans l’obscurité
mène-t-il vers une solitude plus vraie ?
Peut-être est-ce à cet âge, en ce lieu, ici
que se partagent les routes.Sombres heures, journées, semaines. Ainsi
dans la plaine de ton enfance, les eaux très lisses,
très silencieuses. Et noires. Le cœur
s’est lassé de courir. À pas plus lents,
À pas presque égaux, ce cœur
nous entraîne sans bruit vers l’ampleur de la nuit.Il ne désire plus. Ne gambade plus. Ne se cabre plus.
Mais à voix basse, dans la brise obscure, il chante encore.
Lente chanson linéaire, horizontale,
sans grincements, sans grimaces, sans cris.Il est temps de dormir. Faut-il présentement
attendre le retour d’une aube plus mûre
pour un travail plus régulier ?
Ou faut-il déjà, faut-il vraiment, faut-il
descendre vers les rives de la grande eau souterraine ?