Genèse d’un conte mythique (Blanche Neige reborn !)

A propos de Blancanieves de Pablo Berger 

1910, Sud de l’Espagne. A la suite d’un grave accident, Antonio Villalta, un célèbre torero, devient paraplégique. Le même jour, sa femme, la chanteuse et danseuse de flamenco Carmen de Triana, meurt en donnant naissance à une petite Carmen. Rongé par le chagrin, ivre de colère, Antonio Villalta refuse de s’occuper de sa fille et confie son éducation à sa belle-mère. Lorsque cette dernière meurt, Carmen est ramenée dans la maison d’Antonio et placée sous le giron d’Encarna, une marâtre méchante et acariâtre qui lui interdit de rendre visite à son père. Ce qui n’empêchera pas des retrouvailles joyeuses. Mais lorsqu’Antonio meurt, assassinée par Encarna, cette dernière tente dans la foulée de faire noyer Carmen, qui en réchappe de justesse mais perd la mémoire. Recueillie par une bande nains toreros, Carmen s’affirme peu à peu comme une torero de génie. Mais la jeune femme de 19 ans n’est pas au bout de ses peines. Ce ne sont en effet pas les pièges ni les gens malveillants qui manquent sur sa route. Un chemin semé d’embûches comme de rencontres inoubliables…

C’était d’un pas hésitant qu’on allait voir ce Blancanieves, énième version, pensait-on, d’un conte dont on nous rabat les oreilles depuis l’enfance. Un pas d’autant plus hésitant que la bande-annonce (une des moins vendeuses de l’année) était bien mal ficelée et peu engageante. Et bien, mea-culpa, car Blancanieves est un petit bijou dont la beauté et la maîtrise fascinent du début à la fin. C’est un film qui brille autant par le culot de ses choix esthétiques que par son sens du récit, du rythme et par le jeu de ses acteurs. Bref, une réussite totale pour ne pas dire un chef-d’oeuvre.

Second long-métrage de Pablo Berger après Torremolinos 73 (2005), Blancanieves est une libre adaptation du conte éponyme des frères Grimm (1812). Entièrement écrit par le cinéaste espagnol, c’est un film en noir et blanc tourné en super 16, ce qui confère à l’image ce grain et cette plasticité si particuliers. Mais ce ne sont pas-là les seuls aspects surprenants de ce film bluffant et qui subjugue (pardon d’insister) du début à la fin. Car Blancanieves est construit comme un film empruntant directement aux codes et aux ficelles du film muet. C’est-à-dire que les personnages s’expriment et parlent entre eux au moyen de cartons tandis que les compositions originales d’Alfonsa de Vilallonga, assurées par le même Orchestre qui avait joué sur The Artist (seul véritable point commun avec le film de Michel Hazanavicius), rythment quant à elles l’action du film et traduisent les émotions des personnages. Peu étonnant dès lors d’assister à un jeu chez les acteurs qui emprunte volontiers à l’expressionnisme sans en faire trop, contrairement aux films de Guy Maddin.

Car chez Berger (rien à voir avec Helmut), le recours aux codes et aux règles du cinéma muet est davantage prétexte à une véritable expérience cinématographique qu’à des expérimentations ou des gesticulations en tout genre. Si l’action est suivie de manière chronologique dans Blancanieves, la facture du film du film, assez classique, sert à décrire les liens d’amour qui peuvent exister entre un père et sa fille, thème qui ne saute pas aux yeux dans Blanche-Neige. De plus en plus de films sortent qui reprennent les codes et les « processus » du cinéma muet. Dans Blancanieves, rien à voir pourtant avec un effet de mode.

Les choix esthétiques, le parti-pris formel du muet semblent au contraire mûrement réfléchis. Ils correspondent à un désir profond chez le réalisateur de chercher les moyens cinématographiques et plastiques les mieux adaptés pour décrire toute la beauté qui peut exister autour d’une histoire de filiation ente un père et sa fille. Ce pourraient être les deux seules exigences (mais quelles exigences !) de Berger, ses deux seuls credos. Raconter cette histoire (intemporelle) d’amour et de filiation, chercher de l’émotion là où le commun des mortels est censé s’ennuyer, c’est-à-dire dans l’adaptation d’un conte que tout le monde connaît par coeur. Drôle d’ambition, mais pas des moindres que de revisiter ce conte mythique en le dépoussiérant et en développant des thèmes jusqu’à là secondaires. Il ne faut pas pourtant pas voir dans ce Blancanieves de métaphore ni de morale sur le monde contemporain. Berger s’est réapproprié Blanche-Neige pour nous raconter joliment une tout autre histoire, avec des moyens cinématographiques qui lui ont paru correspondre le mieux à son récit. Mais si son but était bien d’atteindre l’émotion et le plaisir du spectateur, si Berger voulait nous raconter ce Blanche-Neige sous un jour nouveau, comme si on n’avait jamais entendu cette histoire, alors nul doute qu’il y est magistralement parvenu…

http://www.youtube.com/watch?v=zFfHIjrlwnI

Film espagnol de Pablo Berger avec Maribel Verdú, Daniel Gimenez-Cacho, Ángela Molina (01 h 44)

Scénario de Pablo Berger : 

Mise en scène : 

Acteurs : 

Dialogues : 

Compositions d’Alfonso de Vilallonga :