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Art du jeu, jeu dans l’Art, de Babylone à l’occident médiéval au Musée de Cluny (Paris 5)

Par Carnetauxpetiteschoses @O_petiteschoses

Dès le titre, l’exposition questionne. Que représente le jeu pour l’individu et ensuite plus généralement dans la société ? S’il est condamné parce qu’il éveille les travers les plus profonds en créant une dépendance, il est à la base une activité de loisir régit par des règles bien précises. C’est donc en mobilisant nos facultés de réflexion que le jeu devient intéressant : stratégie, anticipation et calcul sont alors de mise.

Cette réflexion sur le jeu dans l’art, pose la problématique plus immédiate de la fonction du jeu (que l’on peut aussi rapporter au jeu vidéo de nos jours), dans toutes ses dimensions et toute sa symbolique.

mehen
Dans l’exposition il sera question des jeux de parcours et de hasard de l’Antiquité au Moyen-âge. Le jeu a toujours fasciné les hommes, sans doute car il donne l’impression de maitriser le hasard. Dans les représentations, le jeu puise souvent ses références sur le tandem réalité-imaginaire, en faisant appel aux notions de destin ou d’affrontement. Les 250 pièces de jeux présentées dans le « frigidarium » du Musée de Cluny, donnent un aperçu de la diversité et des permanences de la pratique des joueurs. L’examen des principes de jeux est aussi très instructif et parle de lui-même.

Les premières pièces exposées sont les différents de jeux de parcours, qui sont probablement les premiers jeux de plateaux provenant du « croissant fertile » au 8ème millénaire avant notre siècle. Nous débutons le parcours par l’examen de l’évolution des techniques de jeu.

Jeu-de-senet-Egypte
En premier lieu, le jeu du serpent (ou mehen), appelé ainsi car il faisait penser au corps d’un serpent enroulé sur lui-même, composé de cases dans lesquelles étaient placées des billes de petite taille, ou des figures de félins allongés qui semblaient démesurément grandes. Le jeu du « senet » a côtoyé le jeu du serpent, mais il a eu un succès plus durable puisqu’il était encore joué à l’époque romaine.  Il se compose de 3 rangées de 10 cases, sur lesquelles on avançait les pions, en jetant des bâtonnets ou des osselets. Il est ici présenté un bloc biface, qui permettait de changer de jeu passant du mehen au senet. Avec le temps, le jeu du senet a été conçu avec un boitier qui permettait de ranger les pièces. Les 5 dernières cases étaient ornées d’inscriptions par exemple, la 26ème case portait le hiéroglyphe nefer (bon), la 27ème un « X » signifiant un « préjudice » et « traverser » indiquant un retour au départ du plateau, si on tombait dessus.

Beaucoup de manuels de jeu sont édités au 12ème et 13ème siècles, comme celui du lombard Nicolas de Nicolaï présenté ici, qui a appartenu à Charles V.

Il est ensuite question du jeu de 58 trous ou jeu du chacal, du jeu des tables ou du jeu de la mérelle, dont l’origine provient probablement de l’Iran, avant d’arriver aux prémices du jeu d’échecs.

Ce dernier a pris sa source en Inde,  comme le montre la fabuleuse pièce exposée ici, de taille conséquente. Acheminé vers l’Occident, il transite par le monde oriental, qui marque aussi ses pratiques de jeu. Dans la pratique arabe, les pions n’étaient pas figuratifs, ou du moins ne devaient pas représenter des formes humaines. Le jeu d’échec de Noyon en bois de cerf, exposé ici, atteste d’un certain affranchissement quand au référentiel arabe.

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L’archéologie livre de nombreux objets qui furent utilisés dans les jeux notamment les dés. Sa forme la plus primaire est l’osselet (sorte de dé à deux faces). Les pièces constitutives des jeux de parcours ou de hasard, sont exposées ici dans des formes et matériaux divers et manifestent d’un savoir-faire artisanal particulier. On connait les plus anciens exemples de dé cubique à 6 faces, fruit d’une réflexion pointue, comme datant du IIIème millénaire avant JC et venant de Mésopotamie. De son simple jet, nait le hasard et il est une pièce essentielle dans certains jeux. Dans le monde grec et romain, qui privilégient les jeux de hasard il est incontournable, jusqu’à servir un usage plus détourné, dans les arts divinatoires. En effet, dès l’Antiquité le dé allie la dimension ludique et la dimension « magique ». Il est ainsi utilisé comme méthode de prédilection, où il fallait réussir à avoir une prise sur son propre destin. Le dé prend ensuite des formes plus complexes, devenant polyédrique il sera au Moyen-âge interdit par l’Eglise.

TourEchec
Les pions eux-mêmes portent un message : des pièces non figuratives, on passe à des représentations rapportant les exploits d’Achille ou de Samson ; et l’on y voir la métaphore héroïque du combat « virtuel » livré dans le jeu. Ces duels sont effectivement disputés mais sans mettre en cause la condition humaine.  Dans les mythes, le jeu trouve aussi sa place (personnellement je pense à la fameuse « Partie de dés » du Mahābhārata, où le héros perd ce duel dans le jeu, et parce qu’il commence à miser tout ce qu’il possède perd tout en un clin d’œil). Une allégorie est faite ici, consistant à penser ce monde dans lequel le roi joue tout est en ordre même le hasard. Le rapprochement entre le combat et le jeu est évidente dans le trictrac ou les échecs. Les pièces qui sont présentées, notamment celles de taille conséquente, mettent bien en scène l’assaut d’une tour ou des principes d’affrontement.

Plus généralement, c’est la vie et le destin qui sont symbolisés dans le jeu (on peut facilement en convenir si on pense aux jeux de parcours, ne serait-ce qu’au jeu de l’oie), notamment par la notion de traversée ou de passage. La mort est alors synonyme de renouveau, et l’occasion de recommencer un nouveau départ (dans la vie comme dans le jeu). D’autre part, si beaucoup de jeux ont été retrouvés dans les tombes, c’est parce qu’il était admis que les gens soient enterrés avec des objets de leur quotidien pour en avoir l’usage une fois de l’autre côté.

Grâce à ce parcours artistique à travers les âges, nous avons pu prendre la mesure du jeu dans ses différentes dimensions et des symboliques diverses. Il permet une certaine projection, en faisant appel à différentes facultés ou qualités (réflexion, stratégie, vitesse, chance). L’histoire nous révèle la transformation des pratiques et des mentalités, et le regard des plus petits venus voir l’exposition interroge souvent sur l’essentiel.

Art du jeu, jeu dans l’Art, de Babylone à l’occident médiéval
A voir :
Art du jeu, jeu dans l’Art, de Babylone à l’occident médiéval
Jusqu’au 4 mars 2013
Musée de Cluny
Musée national du Moyen Âge
6 place Paul Painlevé
75005 Paris


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