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Salle 5 - vitrine 5 : tepemânkh - 3. de son menu

Publié le 29 janvier 2013 par Rl1948

   Formule pour donner les offrandes alimentaires à N., à Memphis, dans l'empire des morts.

   Paroles dites par N. : "Ô Grand, maître des aliments ! Ô Grand qui préside aux demeures d'en haut ! Vous qui donnez le pain à Ptah le grand qui est dans la grande place, donnez-moi le pain, donnez-moi la bière, et que mon déjeuner soit un gigot et un pain-sacheret !

   Ô passeur du Champ des Souchets, apporte-moi ces pains (sur) tes eaux célestes, comme (tu fais pour) ton père le Grand ! Que mon passage soit comme (celui de) la barque divine !

dans BARGUET Paul,

Le Livre des Morts des anciens Égyptiens 

Chapitre 106,

Paris, Éditions du Cerf, 1967

p. 141

   Ce qui subsiste de la partie supérieure du grand fragment E 25408 exposé ici devant nous dans la vitrine 5 de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - et qu'il est convenu d'appeler "menu" de Tepemânkh -, commence donc pour vous, amis visiteurs, dans le coin supérieur droit, par l'annonce que le souverain octroie des denrées alimentaires à ce fonctionnaire décédé qu'il veut récompenser : Offrande, repas du Palais, 2.

   (Ce 2, matérialisé par les petits traits verticaux au bas du premier carré partiellement conservé, signifie que deux rations étaient prévues ; toutes les autres barres verticales semblables que vous apercevrez désignant également la quantité de chacun des produits définis dans chaque case.)

E-25408-----Menu---de-Tepemankh.jpg

   Souvenez-vous, la semaine dernière, j'avais évoqué les 15 rubriques disparues au dessus de ce qui a été sauvegardé du monument. Nous pouvons dès lors nous concentrer ce matin sur ce que nous voyons réellement et qui en compose véritablement la partie principale.

     Il y est d'abord question du premier repas, du petit déjeuner, pour lequel injonction est faite au défunt de s'installer : Assis par terre, 2, lui est-il péremptoirement enjoint dans cette case ; ce chiffre indiquant que l'ordre lui est répété à deux reprises.

   Parfois, pouvait même être ajoutée la mention En silence ! : ce fut notamment le cas sur la stèle-chapelle de Ky et de son épouse Zatchedabed que nous avions découverte en mars 2012 au premier étage, dans la Galerie d'étude n° 1 de la salle 22.

   Sont ensuite ici proposés deux types de pains, qu'accompagnent deux cruches de bières différentes : une de bière djeseret et une de kenemes.

   Pain et bière, - dois-je vraiment le rappeler ? -, constituaient l'essentiel de l'alimentation quotidienne de la majorité des Égyptiens ; constituaient également, avec les céréales, un des paiements en nature de la plupart des ouvriers oeuvrant à la construction des tombes royales ; constituaient enfin les premières denrées mentionnées dans la traditionnelle formule d'offrandes dont nous retrouvons à deux reprises sur le monument même une expression simplifiée : sous le menu d'abord,

Formule d'offrandes (1) (E 25408 - Cliché C. Larrieu)

et sous la table, à gauche, devant les jambes de Tepemânkh,

Formule-d-offrandes--2---E-25408---Cliche-C.-Larrieu-.jpg

toutes deux précisant : ... mille pains, mille cruches de bière, mille têtes de bétail, mille volailles ; le hiéroglyphe M 12 dans la liste de Gardiner

Hiéroglyphe 1000.jpg (M 12 dans liste Gardiner)

figurant notre nombre 1000. 

   Pain et bière étaient des données également présentes au sein des différents corpus funéraires dont les Égyptiens se sont entourés : dès l'Ancien Empire, les Textes des Pyramides ; au Moyen Empire, les Textes des Sarcophages et enfin, au Nouvel Empire, le Livre pour sortir au jour, avec cette formule que j'ai ce matin choisie pour vous en guise d'exergue : grâce à elle, dans la barque solaire qui lui permettra de traverser le ciel et d'accéder au domaine de Ro-Setaou, le défunt, assis auprès de Rê, escompte bénéficier des nourritures dévolues aux dieux.

   Les cases suivantes fondent le viatique attendu par le mort : elles comprennent, à la deuxième rangée notamment, l'énumération démesurée d'une dizaine de pains distingués par leur appellation : out, hetcha, neher, depeti, pezen, chenes, kenefou, hebenenout, zif et ceux dits cuits dans la terre et de boulangerie ...

   Dans l'éventualité où les quantités ne seraient pas suffisantes, - deux, voire plus, pour chaque sorte -, la troisième rangée commence par ajouter quatre pains grillés et la même proportion de gâteaux pat.

   Autorisez-moi une rapide remarque au passage : qu'il en existât aussi dits de boulangerie corrobore ce que les fouilles archéologiques ont désormais permis de comprendre, à savoir que la plupart des maisons égyptiennes mises au jour, notamment à Amarna et à Deir el-Medineh, comprenaient meule et four, c'est-à-dire de quoi permettre de produire soi-même sa propre farine, partant, de cuire sa propre quantité de pains. 

     Pains et bières, si importants chez les vivants, je viens de le souligner à nouveau, apparaissent donc ici, dans le contexte funéraire, comme la métaphore de l'alimentation post mortem type. 

   A la troisième rangée, ainsi qu'au début de la quatrième, le menu de Tepemânkh prévoit du plus consistant : défilent alors pièces de viande et de volaille, tels que : épaule de boeuf, cuisse de boeuf, rognon, côte de boeuf, foie, rate, poitrineoie cendrée, oie rieuse, canard pilet, tourterelle

Pour toutes, une portion semble suffire, à l'exception des côtes de boeuf : "Vous m'en mettrez quatre, je vous prie !"

   A l'étage supérieur, Zatchedabed quant à elle n'en prévit qu'une seule : ces dames devaient manifestement avoir des préoccupations nutritionnelles différentes de celles des époux ...

   Bien. Et si nous nous faisions encore un peu plaisir ?

Quelques gâteaux, peut-être ? Voici, au choix, deux appelés shaout, deux nepat et deux mesout.

Quelques bonnes bières ? - Non, amis visiteurs, parfaitement conscient que les distances qui nous séparaient alors n'auraient jamais permis à aucun Égyptien de la connaître et de l'apprécier, je ne prendrai pas la chauvine et anachronique liberté de spécifier : "belges" !

   Une blonde djeseret et une kenemes, ou plutôt deux ?, souhaite à nouveau Tepemânkh en terminant la quatrième rangée. Avant d'envisager, à la suivante, d'autres boissons qu'il ne prend pas le temps de nous préciser, préférant en arriver à l'essentiel, le vin : deux cruches de cinq types distincts !

   En guise de dessert sont suggérées deux portions de céréales, grillées ou non : orge blanche, orge verte ; sans oublier quelques fruits : jujubes, caroubes ...

   Vous noterez toutefois que cette longue liste de vivres ne mentionne bizarrement qu'un seul légume - l'oignon (troisième case de la troisième ligne) -, prévu en quatre portions. D'autres sources pourtant font état de nombreuses catégories de légumineuses qui, ne l'oublions pas, représentaient un important quota au sein de la nourriture égyptienne : on les retrouve d'ailleurs souvent en abondance sur les tables d'offrandes funéraires figurées dans les mastabas ... 

   Si, derechef, vous montez voir le bloc E 11161 de la Galerie d'étude n° 2 de la salle 22, à l'étage supérieur, penchez-vous sur le premier registre des denrées étalées devant Tepemânkh et son épouse Aoutib : sur la petite table circulaire, de part et d'autre du pain conique qui en occupe le centre, vous distinguerez, à gauche, un botte de jeunes oignons recouvrant quelques figues et une laitue dépassant sur la droite.

Oignons-et-laitue---Tepemankh---Louvre-E-11161--Cliche--S.JPG

   Vous serez alors amenés à penser que, aux antipodes de nos préceptes d'équilibre alimentaire, ce couple ne plébiscita seulement que ces deux types de légumes, l'oignon et la laitue : peut-être parce que l'odeur du premier était censée stimuler tout défunt et, à l'instar du mythe de Sokaris, gageait sa résurrection ; peut-être aussi parce que souvent associée au dieu ithyphallique Min, symbole de fertilité, la seconde passait aux yeux des Égyptiens anciens pour détenir des vertus aphrodisiaques, - assertion dont les études modernes ont définitivement réfuté le bien-fondé.

   Redescendons à présent, voulez-vous, en salle 5 : le "menu" que nous y présente Tepemânkh se termine par quelques formulations classiques assez générales, vagues à souhait : toutes les friandises, toutes les offrandes du Nouvel An et demi-pains ... sans indication supplémentaire.

   Cette abondance qu'ensemble nous avons ce matin détaillée, vous pourrez à votre aise vous en délecter, amis visiteurs, pour autant que vos yeux le permettent, si vous vous avancez vers le carton imprimé, à gauche dans la vitrine : c'est, à tout le moins, la finalité de ce panneau explicatif accroché là par le Conservateur de la salle. 

Menu de Tepemânkh - Panneau explicatif

(Eu égard au peu de netteté de mon cliché, je suis ouvert à toute proposition de lecteur qui disposerait d'une meilleure épreuve - notamment pour en permettre un agrandissement ...)

   Il faut évidemment concevoir que ce que vous auriez tendance à considérer comme un gargantuesque festin dans ces scènes d'agapes funéraires que vous ne manquerez pas de rencontrer dans vos visites de mastabas ou de musées ne rend nullement compte des repas réels et quotidiens des Égyptiens de l'Antiquité, fussent-ils souverains ou notables : ce ne sont, d'une part, qu'images à valeur performative de ce que souhaitait bénéficier tout défunt au cours de sa seconde vie et, d'autre part, que manière d'exprimer un des aspects du système relationnel établi entre lui et les membres en vie de sa famille, voire ses amis, tous censés, à certaines périodes déterminées, lui déposer sur la table d'offrande au pied de la stèle fausse-porte de quoi subsister éternellement dans l'Au-delà.

   Cette surabondance alimentaire ne doit donc pas être prise au pied de la lettre pour les vivants : elle fait partie intégrante du discours funéraire, donnant ainsi aux morts une dimension hors du commun, hors de toute réalité immédiate.

     Qu'elle se lise de droite vers la gauche, ou dans le sens inverse ; qu'elle se présente en colonnes verticales - à l'instar de celle de Metchetchi -, ou en cases carrées comme ici dans la vitrine 5 ; que peinte ou gravée, elle figure soit sur un des murs d'une chapelle funéraire, sur une des parois de cercueils ou sur tout autre support, cette imposante nomenclature du rituel de l'offrande qui put connaître, je l'ai souligné, quelques variantes d'une dynastie à une autre à la fin de l'Ancien Empire et à la Première Période intermédiaire, présente néanmoins pour chacune de ces époques un catalogue type, constituant ainsi un des critères stylistiques autorisant une datation plus ou moins précise pour tout nouveau monument semblable qu'éventuellement des archéologues pourraient encore exhumé ; critères de datation à propos desquels j'escompte vous entretenir ... mais dans quelques semaines seulement car, pour l'heure, espérant avoir rencontré votre attente, je vous laisse digérer l'imposant "menu" de Tepemânkh.

       

(Barguet : 1967, 99 et 141 ; Barta : 1963, 73-6 ; Broze/Preys : 2004, 83 sqq ; Moers : 2004, 45 ;  Peters-Destéract : 2005, 26-34 ; Ziegler : 1990, 246, 258-61)


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