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Billet de Maestitia, par Myriam Ould-Hamouda…

Publié le 29 janvier 2013 par Chatquilouche @chatquilouche

Un fin faisceau de lumière vient percer sa bulle de quiétude.  Il ouvre un œil.  Puis le second.  S’étire.  Puis se relève enfin.  Mollement, il descend Billet de Maestitia, par Myriam Ould-Hamouda…du lit, sort de la chambre, déambule dans le grand couloir gris, et à pas feutrés descend l’escalier.  Un bâillement.  Encore ce silence.  Toujours ce silence.  Ce même silence depuis bientôt trois semaines.  Ce silence oppressant.  Ce silence qui tente de camoufler beaucoup trop de choses, bien trop maladroitement.  Qui, à chaque fois, finissent par jaillir de tous les murs du petit appartement.  Des mots.  Des souvenirs.  Des rires.  Des baisers.  Des cris.  Des pleurs.  Des rêves brisés.  Des vases cassés.  Il frémit.  Reprend sa marche en direction de la cuisine pour boire un peu de lait qui traîne dans un vieux bol.  Depuis des jours.  Depuis des semaines.  Depuis des siècles.

Soudain, le téléphone résonne dans tout le petit appartement.  Personne ne répondra.  Le répondeur s’enclenche.  Bonjour, vous êtes bien chez Laura et Matthieu, nous ne sommes pas là pour le moment, mais vous pouvez laisser un message et nous vous rappellerons dès que possible.  Tut.  Tut.  Tut.  Personne ne laissera de message.  Il reprend sa marche, esquivant, dans la cuisine, les débris de l’orage.  Cet orage d’il y a trois semaines.  Cet orage dont il semble être le seul rescapé, Robinson de la vie.  Laura et Matthieu étaient à ce moment-là dans la cuisine.  Ils préparaient à manger ensemble.  Ils riaient.  Et c’était beau à voir.  Ça faisait longtemps qu’ils n’avaient pas ri comme ça d’ailleurs.  Depuis quelque temps, l’ambiance était plutôt tendue.  Et puis, ensemble, ils avaient décidé de raviver la flamme, de réveiller le feu qui les avait toujours transportés.  Et depuis, ils riaient à nouveau.  Et c’était bon.  Si bon.

Et puis, ce jour-là, comme tout à l’heure, la sonnerie du téléphone avait résonné dans le petit appartement.  Laura avait dit : « Laisse-le sonner, ça doit être Annie, je la rappellerai tout à l’heure. »  Matthieu avait répondu : « Tout à l’heure ?  J’avais d’autres projets pour nous, tout à l’heure… » Et ils avaient ri.  Personne n’avait répondu.  Le répondeur s’était enclenché.  Bonjour, vous êtes bien chez Laura et Matthieu, nous ne sommes pas là pour le moment, mais vous pouvez laisser un message et nous vous rappellerons dès que possible.  Et, ce jour-là, quelqu’un avait laissé un message.  Oui, Matt, c’est Capucine…  Je sais que je ne dois pas appeler chez toi, mais comme je sais que Laura est à son cours de danse le jeudi soir, je me suis dit…  Enfin, bref, rappelle-moi vite bébé.  Tu me manques…  Je t’aime.  Tut.  Tut.  Tut.  C’est le mercredi soir que Laura allait à son cours de danse.  Le mercredi.  Pas le jeudi.  Laura était là.  Bien là, et n’avait pas perdu une seule miette de ce message qui gisait à présent sur le carrelage froid.  C’est Capucine.  La casserole était tombée par terre, réchauffant le carrelage.  Rappelle-moi vite, bébé.  Une larme avait ruisselé le long de sa joue.  Tu me manques.  Sa main à elle était venue se heurter contre sa joue, à lui.  Je t’aime.  La porte avait claqué.

En une fraction de seconde, quelques mots avaient fait voler en éclats cette histoire qui renaissait à peine, pourtant déjà plus belle que jamais.  Les genoux de Matthieu étaient venus s’écraser contre le sol.  Capucine, ce n’était rien.  Juste une passade de rien du tout qui était juste là au moment où leur histoire battait un peu de l’aile.  Il avait aimé sa gentillesse, sa joie de vivre, et ses fesses.  Ni plus, ni moins.  Il le lui avait d’ailleurs dit, depuis que Laura souriait à nouveau, qu’il préférait en rester là avec elle.  Il le lui avait dit.  Elle n’avait pas compris.  Parce qu’en réalité, personne ne peut comprendre qu’il ne représente rien de plus qu’un kleenex.  Surtout quand on commence à aimer.  Sans un bruit, il avait laissé échapper une larme qui avait rejoint l‘eau de la casserole.  Et puis, à son tour, il avait claqué la porte.

Ils avaient claqué la porte sur leur histoire, leurs rêves emmitouflés, leur petit nid douillet.  Le petit appartement, qui le premier jour avait été doté du doux sobriquet de « bateau des envies », n’était à présent rien de plus qu’un fragile radeau pliant sous le poids des souvenirs et de Caramel, rescapé de ce jour d’orage.  Lui aussi, le premier jour, avait été drapé d’un coquet « minet d’Amour ».  Il avait été le bébé de leur histoire.  Leur histoire n’étant plus, il avait été oublié là, au milieu des photos, des correspondances passionnées, des rêves envolés.  Alors, comme chaque jour depuis trois semaines, il piétine les souvenirs beaucoup trop lourds pour son petit dos, et effleure chaque recoin du petit appartement pour le rendre aussi doux qu’au premier jour.  Attendant le retour de Laura et de Matthieu.  Il le sait, ils finiront par franchir ensemble cette porte claquée trop de fois.  Ils se précipiteront sur lui, se confondront en excuses et le dorloteront jusqu’à la fin des temps.  Et ils riront.  Riront.  Il le sait, et avec tendresse prend soin, jour après jour, de ce radeau laissé à la dérive un temps.

Notice biographique

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Myriam Ould-Hamouda (alias Maestitia) voit le jour à Belfort (Franche-Comté) en 1987. Elle travaille au sein d’une association pour personnes retraitées où elle anime, entre autres, des ateliers d’écriture.

C’est en focalisant son énergie sur le théâtre et le dessin qu’elle a acquis et développé son sens du mouvement, teinté de sonorités, et sa douceur en bataille — autant de fils conducteurs vers sa passion primordiale : l’écriture. Elle écrit comme elle vit, et vit comme elle parle.

Récemment, elle a créé un blogue Un peu d’on mais sans œufs, où elle dévoile sa vision du monde à travers ses mots – oscillant entre prose et poésie – et quelques croquis,  au ton humoristique, dans lesquels elle met en scène des tranches de vie : http://blogmaestitia.xawaxx.org/

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)

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