Source : Projecteur de l’Obs 03/01/2013
Il était temps ! Longtemps snobée par les anthologies de poésie africaine malgré sa vitalité et son luxuriance, la poésie francophone du Burkina Faso a enfin son anthologie grâce au poète Pacéré Titinga et à l’universitaire Yves Dakouo. Intitulée « Poésie du Burkina, anthologie francophone », cette anthologie est un outil de travail incontournable et un mémento de la poésie nationale.
On doit l’idée de cette anthologie au poète PacéréTitinga. Celui-ci i a constaté que la poésie burkinabé était quasi absente des anthologies de poésie africaine. Ainsi dans Anthologie de la littérature négro-africaine de 1918 à nos jours de Lylian Kesteloot qui reste un bréviaire pour les élèves et étudiants africains, il n’y a nulle trace d’un auteur burkinabé. Lorsque quelques rares anthologies prennent en compte la poésie burkinabé, elles ne mentionnent que l’incontournable PacéréTitinga ou de temps à autre elles associent à celui-ci, le poète Jacques Guégané. Pourtant la poésie Burkinabè, même si elle repose en grande partie sur ces deux noms, se saurait s’y réduire. Car elle est riche de plus d’une centaine d’auteurs et de recueils poétiques. Malheureusement beaucoup de ses poètes sont méconnus et la plupart des recueils deviennent introuvables, quelques années après leurs publications. Aussi cette anthologie qui compte plus d’une soixantaine d’auteurs vient-elle réparer une injustice et offrir un outil de travail aux étudiants, chercheurs et aux amoureux de la poésie.
« Poésie du Burkina, anthologie francophone », est un outil incontournable désormais pour tous ceux qui veulent connaître le peuple des poètes du Faso. On y trouve en préambule « Une petite histoire de la poésie burkinabè » d’Yves Dakouo, fin connaisseur du fait littéraire national auquel il a d’ailleurs consacré un ouvrage de référence Emergence des pratiques littéraires modernes en Afrique noire. La construction d’un espace littéraire au Burkina Faso. Dans cette histoire de la poésie, Il présente l’évolution de ce genre, les influences des écoles poétiques et l’originalité de cette poésie.
Les auteurs de l’anthologie ayant préféré l’entrée par ordre alphabétique, les poètes ne sont donc pas classés par l’ordre chronologique des publications. Cependant chaque auteur a droit à une biographie expresse et à une rapide analyse de son art poétique, ce qui offre un éclairage et des clés de lecture des extraits retenus. Pour les auteurs les plus connus, l’analyse est plus élaborée et les extraits plus fournis. A tout seigneur, tout honneur ! Pacéré se taille la part du lion, suivi par J. Guégané, Bernadette Dao, Sophie Heidi Kam, Angèle Bassolet…
On y découvre aussi de poètes, parfait inconnus de la scène littéraire mais dont les textes sont de grande qualité. Tel le poème Blues de Balima Samba Alain qui est un haïku adamantin. En outre, on croise avec surprise des auteurs qui ont gagné leur notoriété dans le roman. Mais si leur plume est si sûre dans la prose, elle parait claudiquer sur le sentier neuf de la poésie. Comme l’albatros de Baudelaire, ces princes de la pose, on les découvre veules et gauches dans la poésie. Par contre, il est certains de ces romanciers qui fignolent les vers avec un égal bonheur. Aucun nom ne sera donné ici. A vous le plaisir de cette découverte !
Par ailleurs, cette anthologie est un grimoire, un livre magique qui ressuscite des voix éteintes et des poètes disparus. Ainsi l’anthologie débute avec Bationo Clément Odou, un enseignant de français, disparu prématurément, dont se souviennent certainement les anciens élèves du Lycée Ouezzin Coulibaly de Bobo des années 90. Ce petit homme, doux et paisible qui s’animait, s’enflammait lorsqu’il parlait de poésie. Ils se rappelleront certainement le manuscrit dont il les entretenait si souvent et auquel il cherchait un titre paronomase, oscillant entre leurres et lueurs (qui était déjà pris par BiraogoDiop), pleurs et fleurs et ils découvriront qu’il a opté pour Soupirs et sourires. Et beaucoup découvriront que Coulibaly Dieudonné, professeur d’EPS et metteur en scène de théâtre avait aussi la fibre poétique à travers son poème Silex. Comme ils découvriront que le poète militant Bamouni Paulin n’était pas seulement le chantre de l’engagement révolutionnaire. Si son cœur battait pour Lénine, il tambourinait aussi pour La fille noire des rivières à la lourde poitrine.Grâce à cette anthologie, toutes ces voix disparues nous parviennent comme les lumières des étoiles qui continuent à scintiller longtemps après que celles-ci sont mortes.
Enfin, en annexe, on a droit au Testament poétique de PacéréTitinga intitulé « Pacéré vu par Pacéré » où pour la première fois, le poète parle de lui-même en expliquant son cheminement de poète. A la troisième personne ! Un choix qui s’explique, selon Yves Dakouo par le fait que « cet homme qu’on dit souvent très mystérieux ne veut jamais parler de lui-même ; il est connu comme très fuyant ; homme du public, il n’aime pas le public ». On ne pensait pas le maître de la parole timide mais si l’autre le dit, c’est que c’est exact !
Ce testament poétique signe-t-il l’adieu du père de bendrologie à la poésie ? Après avoir gagné tous les grands prix de poésie de l’Afrique, fait membre de maintes sociétés savantes du monde, célébré dans le monde entier et unanimement salué par les poètes du continent tel leur Prince comme Mallarmé en fut le dernier en France, n’aurait-il plus de défi à relever ? Espérons que c’est juste un art poétique dévoilé mais que le poète ne met pas les voiles vers d’autres rivages autres que poétiques. Un tel destin rimbaldien est si loin de Pacéré .
Cette anthologie de poésie publiée par l’Harmattan est un ouvrage que tout amoureux des belles lettres doit avoir dans sa bibliothèque. Pour musarder dans les jardins des mots sonores, colorés et coruscants des poètes du Burkina.