La première fois que j’ai découvert ce fabuleux plat cambodgien, l’amok trei (poisson au lait de coco et à la citronnelle cuit à la vapeur), il y a une vingtaine d’années dans un restaurant cambodgien à Paris, je suis immédiatement tombée amoureuse de ce mets exquis. De morceaux tendres de poisson imprégnés de saveurs subtiles de citron (feuilles de kaffir), de citronnelle, de galanga, fondaient délicatement dans la bouche, se mêlaient à la douceur du lait de coco relevé par le parfum du basilic thaï, de la coriandre, des feuilles de bananier et à la chaleur piquante du piment. J’étais tellement surprise par cette explosion de saveurs que j’oubliai même de retenir le nom du plat. Quel fut mon désespoir, sans Internet à l’époque pour m’aider en deux clics à retrouver son nom ou même sa recette, lorsque je découvris que ce restaurant avait entre temps fermé, changé de propriétaire, et changé de cuisine…
Heureusement pour moi que l’amok trei est un plat populaire qui se trouve sur toutes les cartes aux menus des restaurants cambodgiens ! Ma peine fut de courte durée… Depuis, je tente de cuisiner aussi bien que possible ce plat divin qui fut pour moi une rencontre amoureuse gustative. Comme pour beaucoup de plats populaires, il est bien difficile de donner une recette authentique tant il existe de nombreuses versions : mode de cuisson à la vapeur, au wok, au four, ou bien avec l’ajout de différents condiments, d’aromates et/ou de légumes (avec curcuma, gingembre ou pas, avec liserons d’eau, feuilles d’épinard, côtes de blette, chou ou pas, etc). A chacun son goût, à chaque famille sa recette. Cependant les principaux éléments composant ce mets restent invariablement le poisson (trei désigne le poisson), le lait de coco, le piment, le galanga, les feuilles de kaffir et la citronnelle.
Selon mes recherches, l’amok trei aurait un frère jumeau thaïlandais, le ho mok pla. En est-il originaire, je ne pourrais l’affirmer. J’apprends entre autres que la cuisine cambodgienne est également enrichie d’influences chinoises (cuisson à la vapeur, nouilles de riz et soja), indiennes (curry) et vietnamiennes (le pho, le boeuf loc lac ou le banh xèo, une crêpe à base de farine de riz, de curcuma et de lait de coco farcie à la viande, aux crevettes et aux germes de soja, qu’on retrouve en version cambodgienne en plats communs). Mais la particularité de la cuisine cambodgienne, outre l’utilisation d’herbes aromatiques fraîches, est l’usage du prahoc (pâte de poisson en saumure) et du kroeung (pâte de curry composée de galanga, gingembre, curcuma, citronnelle, feuilles de kaffir, piment rouge séché, ail, échalote, lait de coco…) qui entrent dans la composition de nombreux plats du pays. Le poisson d’eau douce est très présent dans cette savoureuse cuisine. En effet, le plus grand lac d’Asie du Sud-Est se situe au centre du Cambodge, le lac Tonlé Sap, qui fournit 60% de l’apport en protéines pour la population et représente 75% du volume annuel de pêche. Sa superficie impressionnante de 2.700 km2 abrite environ 200 espèces de poissons répertoriés, divisés en trois catégories : les poissons blancs ou Trey pra ke (Panga), les poissons noirs ou Gobies des sables, et les poissons de petites tailles.
Pour revenir à l’amok, il existe depuis des variantes avec du poulet et autres viandes ou crustacés. Cependant pour les puristes, l’amok se cuisine principalement avec du poisson. Et c’est pourquoi je précise « amok trei« . Mes goûts allant souvent vers les versions simples, celles qui laissent bien révéler les saveurs délicates, j’ai choisi la recette qui me semble la plus proche de ma première rencontre gustative avec ce plat, et qui n’est peut-être pas la recette complète qu’on réalise traditionnellement.
Recette de l’amok trei ou poisson à la cambodgienne
Pour 4 personnes. Temps de préparation : 40 minutes. Cuisson à la vapeur : 20 minutes.
Ingrédients :
- 600 g de filet de lotte en morceaux (ou autre poisson d’eau douce à chair blanche)
- Des feuilles d’épinard ou côte de blette
- 5 feuilles de kaffir lime ou feuilles de bergamote (autre nom pour le kaffir lime : makrut ou combava, citron vert sauvage à la peau grumeleuse – on en trouve surgelées dans les magasins d’alimentation asiatique)
- 4 tiges de citronnelle
- 1 morceau de galanga (plus doux que son cousin le gingembre) de 3 cm
- 1 échalote
- 2 gousses d’ail
- 1 piment rouge coupé en fines lanières
- Poivre
- 2 cuillères à soupe de nuoc mam pur (sauce d’anchois en saumure)
- 400 ml de lait de coco (prélever la crème de coco)
- 1 poignée d’arachides non salées, grillées, concassées
- Basilic thaï, coriandre selon goût
- Feuilles de bananier
Préparation :
- Nettoyer la lotte et couper en gros dés de 2 ou 3 cm. Dans un récipient, mettre les morceaux de lotte et les arroser de 2 cuillère à soupe de nuoc mam. Poivrer.
- Hacher la citronnelle, l’échalote, l’ail et le galanga. Enlever la nervure centrale des feuilles de kaffir (qui donne un goût amer) et hacher finement. Mixer le tout. Puis si possible, terminer en écrasant avec un pilon dans le mortier. (Cette étape permet de bien libérer les saveurs des aromates).
- Du lait de coco en conserve, ne prélever que la crème. (L’astuce est de ne pas secouer la boîte, de l’entrouvrir et de verser le liquide transparent du lait de coco dans un bol pour un autre usage. Il restera la crème de coco).
- Mélanger la crème de coco avec le mélange d’aromates.
- Réaliser des coupelles en feuilles de bananier : ici
- Laver les feuilles d’épinard. Tapisser le fond de 4 coupelles en feuilles de bananier.
- Ciseler le piment en fines lanières. Ciseler les feuilles de basilic thaï et de coriandre.
- Griller les arachides à la poêle puis les concasser grossièrement.
- Répartir les morceaux de poisson dans les coupelles, verser la sauce de coco / aromates, ajouter quelques fines lanières de piment, parsemer d’arachides et terminer par les herbes aromatiques.
- Mettre à cuire à la vapeur pendant 20 minutes.
Une autre version – celle présentée en photo (navrée pour sa mauvaise qualité, j’en changerai dès que possible) – que je vous propose n’est pas tout à fait traditionnelle. Que nos amis et visiteurs cambodgiens me pardonnent !
J’aime tant le parfum subtil des feuilles de bananier qu’il m’arrive très souvent de cuire mon amok trei en papillote, c’est-à-dire en posant simplement mon poisson sur les feuilles de bananier puis de refermer complètement à l’aide d’un cure-dent / ou petite brochette fine en bambou. Je prolonge alors la cuisson de 10 minutes. Cette version permet d’imprégner davantage le parfum des feuilles sur le poisson…
Accompagné de riz blanc parfumé du Cambodge, voilà un plat fin et savoureux qui surprendra et réjouira le palais gourmand de vos invités, et surtout du vôtre!