Voici la suite de Et leçons et coutures… [paru aux
éditions Isabelle Sauvage, en juin 2012]. Voici le fatrassier nouveau sous le
titre de Nouveau fatrassier aux mêmes
éditions Tarabuste [Fatrassier,
2007], dans la collection « reprise ».
Et c’est en effet le même en augmenté,
et par conséquent pas du tout le même : Jean-Pascal Dubost nous y propose
un travail approfondi, démultiplié, que l’auteur (auctor) a augmenté et recreusé, où le livre « ancien » se
métamorphose, se déploie, s’accompagne de sa réécriture partielle et de sa
glose, de plus en plus devient son propre laboratoire et alambic. De cette
« augmentation », le livre gagne une nouvelle profondeur, entre
autres profondeur de champ, une nouvelle dimension de lecture accessible et
offerte d’emblée au lecteur.
Jean-Pascal Dubost y prend son propre travail à revers de deux manières car
il pratique (et juxtapose) deux manières d’augmenter : la réécriture d’une
part, et le commentaire.
Certaines sections du livre se trouvent doublées systématiquement, présentant
en regard du texte « ancien », un texte « nouvelle
manière » correspondant à une humeur et à un tour de bouche de maintenant ou
« du jour ». Le livre se r’ouvre ainsi, se réinvente, refuse la
posture du clos, de l’achevé. « Le poème est un ramas
d’incertitudes : c’est une certitude ; qui se travaille
continuellement, et infiniment. »
Les commentaires
précisent ce que le lecteur voit à l’œuvre : revendication ombrageuse
d'une singularité modeste, d'une modestie singulière. Avec comme proposition :
refus de se fondre dans l’uniformité ou le conformisme, refus d'une originalité
de surface et position assumée d'une voix qui n'est ni je (moi-je) ni Livre (comme espace clos, achevé, parfait).
« Nulle chose est faite et parfaite. Je fais du brouillon continué une
idée douce de l’humilité : je travaille à réduire ma vanité. »
C’est un livre où, surtout, la langue (malaxée par celui qui la
travaille) finit par définir un espace figuratif étrange, quasi
fantasmagorique, intermédiaire entre l’auteur et nous, entre les choses de
chair et l’épaisseur que les dictionnaires et l’usage confèrent aux mots.
Fantasmagorie en train de se dessiner sous les yeux de l’esprit et dans la
bouche, pleine d’adhérences et de coalescences, et que l’auteur monte et
démonte avec nous, nous fait éprouver et goûter tout en en exhibant le leurre.
C’est ainsi un livre
qui, après avoir paru opérer la confusion entre cuisine et rhétorique,
tambouille linguistique et sapide, brouille les repères entre nommable et
nommé, instrument qui nomme, appelé « mot » ou « terme »,
et chose échappée à l’instrument qui nomme ! Qui perturbe les catégories de
dehors et de dedans (de réalisme et de nominalisme ?) et décrit, de façon
à la fois nue et peuplée, un espace où faire passer - singulier et solitaire, singularis, chacun - des sangliers revendiqués « de bouche ».
On pourrait dire que d’une certaine manière les choses y perdent de leur
épaisseur par le fait d’être nommées et que les mots au contraire y gagnent une
certaine carnalité… d’ailleurs illusoire. De cet aller-retour (de cet imparfait
échange de propriétés) naîtrait étrangement cette créature biscornue appelée
poème.
Nous rencontrerons donc, en lisant ce livre, à la fois les originaux sylvestres
et leurs doubles de langue, leurs simulacres littéraires, ceux que j’appelais
plus haut « de bouche »…
Espace aussi de développement de la langue et des mots d’un texte à l’autre…
Comme dans une chambre noire, les mots des textes de la version 1 se trouvent
parfois développés comme on développait, naguère, une photo : le mot
« prétexte » pris en son sens courant dans le premier Fatrassier devient, par ricochet
étymologique, prétexte à une variation sur la toge du même nom, par laquelle
les sangliers se drapent de dignité romaine, dans la version retravaillée !
Pour tout dire, c’est une nouvelle fois, après Et leçons et coutures, un grand bonheur de lire, lui aussi
augmenté. Ce livre « officiellement » paru avant Et leçons et coutures en découle sous sa forme nouvelle, il en
dérive ; il s’y est enrichi. Une grosse boule de neige qui depuis Le Défait [paru aux éditions Champ
Vallon, 2010] ne cesse de grossir et de bonifier, que ce travail d’écriture et
de remise en bouche - de fermenter aussi comme un
vin, de plus en plus riche en tanins et en arômes.
Il a du toutou ce livre, je veux dire du chien, laissons-le courir :
« Et son nom estoit Kakemphaton »
! Le lecteur de la page 145 me comprendra.
[Pierre Drogi]
Jean-Pascal Dubost, Nouveau fatrassier,
coll. Reprises, éd. Tarabuste, 2012 , 11€