L'Inde est sans doute un pays où le calme est rare. De plus en plus. Retranché dans un hôtel de luxe, j'entend des haut-parleurs cracher leurs bruits stridents de l'aube jusqu'à minuit. Que faire ou ne pas faire ? Où aller ? Comment trouver un peu de calme dans ce tohu-bohu ?
Un exemple de silence naturel
Quand un professeur veut le silence, que fait-il ? Il peut demander le silence aux élèves. Mais l’expérience montre le peu d’efficacité de la chose. Si bruit il y a, c’est sans doute que les élèves n’écoutent déjà plus. Comment rétablir l’écoute ? Beaucoup de professeur renoncent, et se contentent de parler plus fort. Une autre approche – qui a ses limites, bien sûr -, consiste à se taire. Faire soi-même silence produit un effet étrange. Tout se passe comme si les élèves, qui ne vous écoutaient pas quand vous parliez, se mettent à entendre votre silence. Ils l’écoutent. Et, comme on ne peut écouter et parler en même temps, ils se taisent. Le silence se fait peu à peu. Ce qui montre que, même dans ce genre de situation, les élèvent écoutent un peu – autrement, ils n’entendraient pas le silence du professeur. Un lien demeure entre professeur et élèves, lien caché par le bruit, révélé par le silence du professeur. Concluons que tous les silences ne se valent pas.Or, cette situation comporte une leçon de méditation (peu importe le sens de ce mot, ici) : il nous apprend comment « faire silence ». Il y a trois sortes de silence intérieur : d’abord le silence qui s’impose, dans le sommeil, les « blancs » du quotidien, le coma, l’évanouissement. Le problème est que, quand ce silence est là, « nous » ne sommes plus là, par définition l’attention, la sensibilité ont disparu, ensevelis dans le rien. On n’en profite pas, même si le sommeil profond, toujours, et le coma, parfois, sont indispensables à la vie. La seconde est le silence forcé, grâce à une technique de méditation. Souvent prenant, il se paie – comme tous les artifices – par une tension qui conduit inexorablement à un contrecoup, excitation ou torpeur. La troisième sorte est l’application de la situation du professeur dans sa classe. Tous les silences ne se valent pas. Le silence naturel du sommeil, c’est quand la classe est fermée. Elle est silencieuse, mais il n’y a pas d’élèves… Le silence forcé est celui qui suit une menace de la part du professeur. La classe est alors silencieuse, mais tendue, et souvent ce silence débouche sur un brouhaha encore plus fort… Le troisième silence est le silence du professeur. De même, faire silence ne consiste pas à forcer le silence par une ascèse, des jeûnes, des prières, des pèlerinages ou un maître qui va « casser le mental » en nous humiliant. Non. Mais alors comment ? C’est là que se situe le point vital : toutes les voix qui parlent dans nos têtes, dans l’espace de la conscience, ne sont pas égales. Il y en a une qui peu se taire, et d’autres que l’on ne parvient jamais à amener au silence, quelque soient nos efforts. La voix qui peut toujours se taire, c’est la notre – quoi que cela veuille dire. Instinctivement, nous savons nous taire. Quand cette voix-là s’arrête, le silence se fait. Les autres voix se taisent peu à peu, comme si toute la classe, étonnée, se mettait à l’écoute du silence du professeur. Le silence intérieur est alors palpable, prégnant d’intensité, de félicité (douce) et de paix. Même si les autres voix repartent, même si le bruit est accablant à l’extérieur, le silence règne, vraiment. Il n’y a aucun effort laborieux à produire, juste l’effort d’arrêter, comme on s’arrête de bouger. C’est toujours possible, car cette voix centrale, celle du professeur, est absolument libre. Elle est ce libre-arbitre, cette volonté infinie, inconditionnée, toujours libre de poursuivre ou de s’arrêter, quelque soient les circonstances.Juste cet arrêt. Le silence s’impose, bourdonne de suite, même si le corps et l’esprit sont épuisés, douloureux, confus, pris de vertige.C’est la seule pratique. « Plus que cela n’est pas nécessaire, moins ne serait pas suffisant ».
Un homme est face à une piscine boueuse. Il plonge pour enlever la boue. Mais plus il se démène, plus la boue se répand. Omniprésente, elle semble faire corps avec l’eau. La tâche est impossible. Epuisé, le nageur s’allonge au bord de la piscine. Quand il se réveille, l’eau est limpide.
Un télévision s’éteint. « C’était donc ça ! » Le bruit à l’extérieur continue. Mais le silence est là, vivant.
Malgré la diversité des voies, et plus encore des cheminements personnels, il n’y a que deux étapes : reconnaître notre vrai visage, transparent, tout de silence, de disponibilité. Et se familiariser encore et encore avec lui, en toutes circonstances, surtout les pires.
Toute pratique de reconnaissance et de familiarisation est une pratique d’attention. Or la vie est telle, que si notre pratique demande attention à plus d’une chose, elle sera brisée par l’activité. Le quotidien requiert déjà une attention multiple, fragmentée, saccadée, à l’image du regard qui sautille plusieurs fois par secondes. Les mouvements du regard sont l’un des plus grands obstacles à la continuité de l’attention. Les mouvements de l’œil sont généralement des changements d’attention, des re-focalisations. Si notre pratique en rajoute une couche – une couche de dispersion, de concentration multipurposifiée, genre prière, visualisation, phrase-mantra, introspection, circulation guidée du souffle, attention aux pensées, etc. – alors nous alors vers l’échec et le découragement. Tout ceci étant, seule une pratique où l’attention se porte sur une seule chose a des chances de vivre. Le silence intérieur, donc. Comme un voisin qui arrête son vacarme, comme un voile qui se lève, comme se jeter dans l’eau fraîche par temps de canicule.