2013
Quentin Tarantino
Avec Christoph Waltz, Jamie Foxx, Leonardo Di Caprio
Dès la première image, j’ai su que j’allais adorer le film. Cette chanson mythique, parfaitement adaptée à la marche des esclaves enchaînés et dodelinants, j’ai su que Tarantino tenait un excellent film.
Et puis je me suis rendu compte que je m’étais trompé. Au bout d’une demi-heure je regardais ma montre, figurativement, puisque je n’ai pas de montre. Avez-vous remarqué que depuis l’avènement du téléphone mobile, beaucoup de gens tirent leurs téléphones de leur poche intérieure pour regarder l’heure, comme dans les westerns on tire sa montre à gousset ? Je me suis dit qu’il y aurait donc peut-être un marché pour des smartphones rétro, avec quand même de bonnes specs, 2 Go de RAM, proco quad-cœurs, APN de 13 Mpix et Android JB 4.1.2, dans le style montre à gousset, avec petite mélodie de Morriconne en option, et une chaîne pour pas se le faire piquer dans le RER B. Mais c’est un autre débat.
Au bout d’une heure j’étais lassé des circonvolutions verbales de Christoph Waltz. L’employer en méchant Nazi dans Inglourious Basterds était une bonne et originale idée. Tenter de nous refaire le coup avec le rôle d’un gentil ne fonctionne plus, et encore moins dans un western. On sait d’avance qu’à chaque situation tendue, Waltz va nous sortir une phrase à rallonge et l’effet de surprise n’y est plus.Au bout de deux heures, j’en avais marre aussi de Di Caprio et de cette tension fatigante, sur le mode « à quelle nouvelle horreur, à quel nouveau supplice va-t-on encore avoir droit ? ». La tension graduellement montante lors des échanges verbaux d’Inglorious Basterds aidait à former de véritables petits films dans le film, de purs moments de cinéma, et parvenaient, miracle, à ne pas parasiter le premier degré de l’histoire. Ici curieusement, on ne ressent pas cela. Il n’y a aucune intensité lors de la délivrance inaugurale de Django. Il y en a lors du dîner chez Monsieur Candy, mais elle monte et descend comme un yoyo tellement la scène est longue. L’accompagnement musical, mélange de rap et de musiques spagh, m’a régulièrement sorti du film, alors que je remarquai à peine les mêmes musiques spagh dans Inglourious Basterds, qui semblaient donc mieux adaptées. Entendre Le retour de Ringo m’a rappelé que Tarantino était censé faire un western spaghetti, ce qui est dommage vu qu’il fait tout autre chose. Faire autre chose n’est pas un problème en soi, et c’est même très bien, mais dans ce cas, l’utilisation des musiques spagh donne plus envie de revoir un bon vrai spagh bourré de défauts qu’autre chose.
Par ailleurs, les auteurs du blog Il a osé ont pourfendu le fond finalement assez nauséabond de Inglourious Basterds, parce que montrer des juifs qui se vengent et qui tuent des nazis, c’est propager l’idée que les juifs forment un peuple soumis, qu’ils auraient pu et qu’ils auraient dû se battre. Ici c’est pareil. Di Caprio nous sort une théorie physiologique sur la servilité noire, qui expliquerait de façon disons génétique l’incapacité des noirs à se révolter. Comme on est au XXIe siècle, on sait que tout ça n’est que foutaises, n’empêche que Tarantino a posé la question : pourquoi ne vous révoltez vous pas, cons de noirs ? Pourquoi vous faîtes pas comme Django, prendre des flingues et tuer tous les esclavagistes ? Pourquoi il vous a fallu 400 ans pour vous libérer bandes d’incapables ? Le regard de Django sur les trois esclaves qu’il laisse dans la geôle roulante en dit long. Le western spaghetti a toujours pris parti pour les exploités, pour les marginaux, pour les faibles. Dans Django Unchained, on pourrait presque penser le contraire, tant la vengeance de Django et sa quête familiale paraît avant tout individualiste, et tant le regard sur les noirs manque d’humanité. Spike Lee a bien eu raison de ne pas vouloir voir ce film.
Pour le reste, Django Unchained reste quand même un bon western, bien ficelé, bien troussé. Chaque homme explose comme une outre à chaque impact de balle, chaque trogne d’esclavagiste vicelard est un régal et surtout, Tarantino ne se dépare pas de son mauvais esprit, n’hésitant pas à faire disparaître des personnages clés au moment où l’on ne s’y attend pas, n’hésitant pas à jouer avec les conventions narratives, sans pour autant sacrifier son histoire. Tarantino dispose en plus évidemment d’un budget conséquent, nous régale de plantations variées et diverses, de décors enneigés et d’une vision incongrue d’un Django en raquettes s’entraînant sur un bonhomme de neige, avec des flingues en tout genre, des costumes recherchés, une histoire brute, simple et forte, avec un Django obtus et déterminé comme un Burt Sullivan, une histoire d’amour cash et basique, de l’humour et des morts partout. J’envie les jeunes qui découvriront ce film, vierges de toute influence médiatique et de tout effet de mode, qui se laisseront prendre par le premier degré de l’affaire, la pureté des sentiments, la violence des effets et le happy end, et qui se prendront peut-être une claque cinématographique sans chercher plus loin, sans chercher les emprunts et le cinéma dans le cinéma, sans chercher à savoir si c’est jouissif, monumental ou quoi, juste le plaisir d’un film qui sans que l’on se l’explique vous marque à jamais. C’est ce que j’ai vécu avec Sergio Leone, qui partage pas mal de points communs avec Tarantino (mégalomanie, amour du cinéma, films référentiels, tics). J’espère que c’est ce qui se produit chez certains, parce que je ne vois pas trop qui d’autre que Tarantino, malgré tous ses défauts, pourrait aujourd’hui emballer des ados avec un film de genre. Mais en ce qui me concerne, je passe mon tour, je suis trop vieux pour ces conneries.