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Le Concile Vatican II : déjà 50 ans !

Publié le 28 novembre 2012 par Vindex @BloggActualite

Le Concile Vatican II : déjà 50 ans !-Le concile de Vatican II, photographie de Lothar Wolleh-
   Ecclesia semper reformenda est (« L’Eglise doit toujours être réformée ») : cette formule latine, célèbre en son temps, traduit fort bien la nécessité du renouvellement constant de l’Eglise universelle, tant sur le plan de ses structures, de sa doctrine, de ses dogmes voire même de sa liturgie. L’Eglise catholique a cette caractéristique de s’être remise en question à de nombreuses reprises au cours de l’Histoire, si bien que l’Eglise telle que nous la connaissons aujourd’hui est bien différente de celle des premiers siècles, même si l’héritage de la tradition demeure.   Entre le Ier siècle (naissance du Christianisme et de l’Eglise) et notre XXIème siècle, bien des étapes ont jalonnées l’évolution de l’Eglise catholique romaine. C’est au cours de Conciles œcuméniques que l’Eglise s’est à de nombreuses reprises réformée. Un Concile œcuménique ou général consiste en une réunion, sous la présidence du Pape ou de son légat[1], des archevêques, évêques et abbés de l’Eglise catholique. Historiquement, vingt-et-un Conciles sont reconnus par l’Eglise catholique, de Nicée en 325 à Vatican II (1962-1965), soit en moyenne un par siècle : cela montre un souci de réformation constante de l’Eglise par ses dirigeants. Cependant, depuis le Grand Schisme de 1054 entre l’Eglise de Rome et l’Eglise de Constantinople, les chrétiens orthodoxes ne reconnaissent pas comme œcuméniques les Conciles généraux de l’Eglise latine qui sont au nombre de treize. Le Code de 1983 définit ce que l’Eglise catholique romaine entend par l’œcuménicité d’un Concile : il s’agit du caractère général d’un Concile (collège de tous les évêques catholiques) et de sa communion avec le Pape, qui le convoque, le préside, le suspend, le dissout, en fixe l’ordre du jour, en approuve les décrets… Le Concile Vatican II, ouvert en 1962 par Jean XXIII, est le vingt-et-unième Concile œcuménique de l’Eglise. Le 11 octobre dernier, les catholiques du monde entier ont célébré dans la joie et la ferveur le cinquantenaire de l’ouverture de ce Concile qui a fortement marqué l’Histoire ecclésiastique du XXème siècle. Ouvert le 11 octobre 1962 et clôturé le 8 décembre 1965, le Concile Vatican II a connu quatre sessions : une première session entre le 11 octobre 1962 et le 8 décembre de la même année ; une deuxième session entre le 29 septembre 1963 et le 4 décembre de la même année ; une troisième session entre le 14 septembre 1964 et le 21 novembre de la même année ; une dernière session entre le 14 septembre 1965 et le 8 décembre de la même année. Interrompu par la mort du Pape Jean XXIII le 3 juin 1963, le Concile fut poursuivi par son successeur, le Pape Paul VI : ce dernier annonçait une nouvelle convocation des pères conciliaires dès le lendemain de son élection, soit le 22 juin 1963. En quoi peut-on dire que le Concile Vatican II a été « marquant » pour l’Eglise catholique ? Quelles sont les principales décisions qui y ont été prises ? Quel héritage avons-nous reçu de ce grand Concile ?


L’annonce du Concile : une surprise en soi…   L’annonce de la convocation du Concile Vatican II a lieu le 25 janvier 1959, à la surprise générale. En effet, au terme de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens, le Pape Jean XXIII, élu depuis moins de trois mois, convoque un consistoire[2]privé. Peu de cardinaux sont présents dans la mesure où la pratique de réunir un consistoire en vue d’une consultation des cardinaux s’était quelque peu perdue. La scène se déroule en la basilique Saint-Paul-hors-les-murs, à Rome. A l’issue d’une messe solennelle présidée par le Pape, celui-ci et les cardinaux se rendent en procession jusqu’au monastère qui est attenant à la basilique. Les cardinaux sont véritablement surpris de ce que Jean XXIII veuille leur redonner part à la gouvernance de l’Eglise. Il faut préciser que le Pape précédent, Pie XII, qui avait eu un long pontificat (1939-1958), déléguait peu et ne consultait pratiquement plus les cardinaux pour prendre des décisions. Jean XXIII pose donc un acte fort et symbolique. En face de lui se tient une assemblée de vieillards puisque Pie XII n’avait plus convoqué de consistoire depuis une dizaine d’années pour créer de nouveaux cardinaux. La réunion se tient à huit clos. Jean XXIII prononce un discours qui sera rendu public par la suite.    Dans ce discours prononcé par le Pape, l’annonce de la convocation d’un nouveau Concile se profile peu à peu. Jean XXIII commence par rappeler qu’en tant que successeur de l’apôtre Pierre, sa vocation est d’être évêque de Rome et pasteur suprême de l’Eglise universelle. Il explique ensuite avoir rassemblé les cardinaux pour les entretenir des problèmes que l’Eglise connaît en son temps, face à un monde en pleine mutation. Le souverain pontife manifeste clairement sa confiance dans les cardinaux, il atteste qu’il est en communion avec eux et que ces derniers doivent être en communion avec lui dans la gouvernance de l’Eglise. Puis, après avoir détaillé son « projet » en tant qu’évêque de Rome, il entreprend tout un développement sur la tâche qui lui incombe en tant que chef de l’Eglise catholique. Jean XXIII fait une critique du matérialisme : pour lui, les Hommes se détournent des « biens célestes » pour leur préférer les « biens terrestres ». Il dénonce les compromissions de la liberté de l’Homme. Compromissions et matérialisme ne peuvent qu’entraîner une baisse de la foi, tant dans son contenu que dans sa pratique, une baisse de l’unité et donc une fragilisation de la paix entre les Hommes. Au terme de ces constatations, le souverain pontife évoque trois grandes décisions qu’il a jugé bon de prendre : parmi elles, la convocation d’un nouveau Concile œcuménique. Le but de ce Concile sera de répondre à la grande thématique de la compromission de la liberté de l’Homme et à la menace que représente le matérialisme athée.    Les cardinaux présents sont stupéfaits lorsqu’ils apprennent l’intention de Jean XXIII de convoquer un nouveau Concile. Il ne s’agit pas en soi d’une nouveauté absolue, Pie IX, moins d’un siècle auparavant, l’avait déjà fait[3]. Pratiquement tous les Papes du XXème siècle y avaient songé, sans pour autant passer à l’acte[4]. De plus, le précédent Concile ne s’était pas achevé puisqu’il avait été interrompu le 20 octobre 1870 par la prise de Rome et l’annexion de la ville au nouveau royaume italien. Pie IX avait donc été obligé de suspendre les travaux conciliaires. L’interruption des travaux de Vatican I explique pourquoi, après l’annonce de Jean XXIII, on a pu parler d’une reprise des travaux du précédent Concile : certains évêques et membres de la Curie romaine ont même suggéré de prendre comme point de départ les textes préparatoires laissés en suspens pour Vatican I. La stupeur des cardinaux n’est donc pas causée par l’annonce de la convocation du nouveau Concile, mais plutôt parce que c’est un Pape dont on croyait qu’il se tiendrait « tranquille » qui fait cette annonce. Il n’en reste pas moins que la décision du Pape est positive dans la mesure où elle ne semble pas être motivée par une situation « alarmiste » de l’Eglise. Pour lui, le Concile doit viser trois finalités principales, à l’image d’un Concile antique : clarifier la pensée de l’Eglise pour la rendre plus accessible aux Hommes modernes ; resserrer et raviver l’unité entre les chrétiens ; raviver la ferveur chrétienne, c’est-à-dire la pratique religieuse en priant et en agissant de manière chrétienne.    L’écho de cette annonce, aussi bien au sein du catholicisme que dans toutes les autres Eglises chrétiennes et jusque dans l’opinion publique, est énorme. Certains y voient la volonté de l’Eglise de se renouveler en profondeur, renouvellement tant attendu depuis plusieurs décennies. D’autres mettent en avant l’occasion de placer au premier plan le problème de l’unité des chrétiens. D’autres encore soulignent la chance d’un rapport de l’Eglise avec la société en termes de fraternité et non plus d’opposition. Comme nous l’avons vu, l’étonnement est également de mise, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’étonnement provient du fait qu’on ne pensait pas le nouveau Pape capable d’un tel bouleversement. Porté par le Sacré Collège des cardinaux sur le trône pontifical à l’âge de 77 ans, le cardinal Roncalli (Jean XXIII) ne paraît pas devoir bouleverser l’Eglise catholique : les cardinaux l’ont d’ailleurs élu pour qu’il soit un Pape dit de « transition ». D’autant plus qu’ils pensaient pouvoir le manipuler assez facilement… C’est pourtant ce vieil homme au destin de Pape de transition tout tracé qui, déjouant les hypothèses de bon nombre de ses électeurs, prend une série d’initiatives inattendues durant son bref pontificat (1958-1962). La seconde grande raison de l’étonnement, relative au milieu ecclésial, concerne les motifs de la réunion du Concile. Vatican II est le premier Concile œcuménique à ne pas avoir été réuni pour contrer des positions hérétiques ou pour réaffirmer la doctrine catholique. Traditionnellement, les Papes ont toujours réuni un Concile pour préciser un point du dogme ou de la doctrine de l’Eglise, pour faire face à divers problèmes que connaît l’Eglise. Lorsque Jean XXIII annonce la convocation d’une telle assemblée, l’Eglise ne connaît alors aucun problème de ce genre. Le but est simple : le souverain pontife veut simplement une « mise à jour » de l’Eglise. Enfin, de nombreuses questions se posent au sein de l’appareil hiérarchique de l’Eglise et, même au-delà. En effet, en 1870, le Concile Vatican I a tout juste eu le temps de définir le dogme de l’infaillibilité pontificale[5]. Ainsi, convoquer une assemblée ne reviendrait-il pas à se laisser envahir par un esprit démocratique incompatible avec ce dogme et avec la structure même de l’Eglise ? De plus, Jean XXIII semble tenir des propos assez vagues quant à la convocation et au déroulement du Concile, il ne semble pas savoir où il va… Ne serait-ce pas troublant au sein d’une Eglise habituée à l’organisation, et même à un système très centralisé sur la personne du souverain pontife et de la Curie romaine ? Des difficultés de tout ordre apparaissent : mise en place d’un système complexe prévoyant la consultation des évêques du monde entier, le choix des thèmes à traiter, la nomination de commissions antépréparatoires et préparatoires pour rédiger certains documents de base.   But du Concile, l’aggiornamento de l’Eglise catholique   Le terme aggiornamento signifie en Français « mise à jour ». On raconte qu’à la question « Qu’attendez-vous du Concile ? », le bienheureux Jean XXIII aurait répondu « un peu d’air pur ». Pour comprendre cette réponse du Pape en lien avec sa motivation de réunir le Concile, il faut s’attarder quelque peu sur la situation de l’Eglise et du monde à la fin des années 1950 et au début des années 1960. La situation de l’Eglise et du monde est alors paradoxale. Le long et difficile pontificat de Pie XII a entraîné essoufflement et durcissement au sein de l’Occident chrétien. L’Europe de l’Est, elle, est sous domination du communisme athée. A l’échelle mondiale, de grands bouleversements s’opèrent : la période dite de la « coexistence pacifique » entre le bloc de l’Ouest et le bloc soviétique (fin des années 1950) semble s’achever au profit d’une nouvelle montée des tensions ; la décolonisation bat son plein ; le traité de Rome en 1957 fonde la Communauté économique européenne (CEE), ancêtre de l’Union européenne (UE). En matière de religion, le renouveau biblique, liturgique et théologique marque assez fortement le catholicisme français d’après-guerre : l’exemple de l’expérience des prêtres-ouvriers est très significatif. Parallèlement, sous l’impulsion de ce renouvellement, l’engagement des fidèles laïcs au cœur du monde et de l’Eglise est favorisé. Ce renouvellement est bien entendu motivé par la prise de conscience de la déchristianisation galopante des sociétés sécularisées : en France par exemple, dès la fin des années 1940 paraît un livre à la demande du cardinal Suhard, archevêque de Paris (1939-1949), La France, pays de mission. A l’époque, c’est le milieu ouvrier qui est le plus concerné par la déchristianisation. La nécessité du dialogue œcuménique est aussi rappelée, tandis que l’Eglise continue à affirmer qu’elle détient La vérité céleste.   Le 11 octobre 1962, une procession interminable de pères conciliaires traverse la place Saint Pierre en direction de la basilique : plus de 2 500 évêques venus du monde entier sont présents. Il n’y a pas que des évêques qui sont rassemblés : le Pape a souhaité réunir des religieux issus de tous ordres ; il a également souhaité inviter les représentants des autres confessions chrétiennes. Ainsi, le Concile Vatican II est le premier Concile de l’Eglise véritablement « universel » et « œcuménique ». Lors de l’ouverture solennelle de la première session du Concile, Jean XXIII prononce une allocution restée célèbre, et qui reflète bien l’esprit que le souverain pontife entend insuffler à cette réunion solennelle. Le discours est retransmis à la télévision. Le Pape souhaite notamment que « illuminée de la lumière de ce Concile, l’Eglise augmente de richesses spirituelles et regarde sans crainte vers l’avenir » moyennant « les mises au point nécessaires » ; pour cela, il convient de scruter les signes des temps, en dépassant les « insinuations émanant d’Hommes, certes brûlants de zèle, mais manquant de largeur d’esprit, de discrétion et de mesure. Dans les temps modernes, ces gens ne voient que prévarication et ruines ; ils viennent vous dire que notre monde, par rapport à celui d’autrefois, a bien empiré » ; Jean XXIII se sent obligé d’exprimer son désaccord avec ces « prophètes de malheur, qui annoncent toujours des catastrophes, presque l’imminence de la fin du monde. ». Cette partie de l’allocution culmine dans la conviction que l’humanité tout entière se trouve à un tournant de son Histoire et que, l’Eglise ne doit pas manquer ce tournant crucial. Jean XXIII en appelle à un « magistère à caractère surtout pastoral » qui pense « subvenir aux besoins de l’heure présente en montrant la valeur de ses enseignements plutôt qu’en renouvelant les condamnations ». Enfin, Vatican II doit se situer dans la perspective de l’unité de tous les chrétiens, voire même du genre humain tout entier. Pour résumer ce que le Pape semble attendre du Concile, nous pourrions citer le message du 20 octobre 1962 adressé à l’humanité (c’est déjà un signe…) par les pères conciliaires reprenant la pensée de Jean XXIII « Dans cette assemblée, sous la conduite de l’Esprit-Saint, nous voulons chercher comment nous renouveler nous-mêmes pour nous trouver de plus en plus fidèles à l’Evangile du Christ. Nous nous appliquerons à présenter aux Hommes de ce temps la vérité de Dieu dans son intégrité et dans sa pureté, de telle sorte qu’elle leur soit intelligible et qu’ils y adhèrent de bon cœur ». Ces propos rejoignent bien les trois finalités principales évoquées plus haut : plus de clarté dans la foi de l’Eglise, plus d’unité entre les chrétiens, plus de ferveur religieuse chez les chrétiens.Un Concile aux décisions inédites…   Le déroulement du Concile Vatican II, on le sait, est très vite marqué par des tensions parfois intenses, entre la Curie romaine et les pères conciliaires, entre différentes sensibilités (progressistes et plus classiques), entre certaines ères géographiques. Les membres de la Curie romaine se montrent en général peu favorables au changement, mais ils doivent composer avec les évêques et les experts conciliaires étrangers. Le cardinal Ottaviani (1890-1979), préfet de la congrégation du Saint-Office, est la figure de proue de l’opposition curiale au changement : il veut protéger le dépôt de la foi contre toute altération. Mais ses craintes et ses obstructions, qui ne font d’ailleurs pas l’unanimité au sein même de la Curie, ne suffisent pas à arrêter la dynamique du changement que portent plusieurs cardinaux, et notamment les cardinaux français comme Liénart (archevêque de Lille). Au cours de la première session du Concile, les pères travaillent essentiellement sur le renouvellement de la liturgie latine. Ce premier « thème » apparaît comme un tremplin idéal pour le lancement de l’aggiornamento. En effet, la liturgie catholique romaine telle qu’elle se pratique dans les églises dans les années 1960 date du Concile de Trente[6]. Déjà depuis la fin du XIXème siècle, dans plusieurs pays européens, et particulièrement en France et en Allemagne, quelques aspirations à une réforme liturgique se font sentir ici ou là. Certains souhaiteraient une liturgie plus sobre, plus « pure », plus proche de celle des premières communautés chrétiennes. L’objectif est de supprimer tout un ensemble de rites superflus qui se sont rajoutés inutilement entre le XVIème siècle et le XXème siècle et, qui font de la liturgie romaine des années 1960 une fresque surchargée dont il faudrait retrouver la beauté originelle. Entre la fin de la première session du Concile et le début de la deuxième, Jean XXIII publie sa grande encyclique Pacem in terris, encyclique où il manifeste clairement son désir de paix dans un contexte mondial fortement tendu (la crise de Cuba a eu lieu peu de temps auparavant). La mort du bon Pape Jean quelques semaines après la parution de Pacem in terris provoque une vive émotion dans l’Eglise tout entière et même au-delà. Bien des interrogations se font jour. La plus importante d’entre elles concerne bien entendu le Concile : le prochain souverain pontife va-t-il le poursuivre ? Cependant, l’élection du cardinal Montini à la chaire de Pierre lève toutes ces interrogations. Le nouveau Pape, qui prend le nom de Paul VI, est un homme de culture très marqué par le catholicisme français. Très vite, Paul VI montre son esprit d’ouverture en invitant des laïcs, y compris des femmes, à se joindre aux travaux conciliaires. C’est durant son pontificat que toutes les grandes décisions relatives à Vatican II sont prises. Sur le plan liturgique, le Concile vote à une grande majorité la Constitution apostolique Sacrosanctum concilium (4 décembre 1963). Cette Constitution prévoit une nouvelle conception de la liturgie : celle-ci doit favoriser la « participation active » des fidèles durant l’office. Le « dépoussiérage » de la liturgie est bel et bien lancé, non sans quelques demi-mesures (c’est le cas pour la question de la langue). Quant au détail des applications, il est renvoyé à la révision des livres liturgiques, qui doit intervenir « au plus tôt ». En attendant, les modifications déjà introduites ouvrent la voie à un changement concret, donc perceptible. Au milieu des années 1960 par exemple, la langue vernaculaire peut être utilisée plus abondement dans le cadre liturgique et, certains rites sont déjà supprimés. Sans être aussi visibles dans l’immédiat, les effets de la Constitution dogmatique Lumen Gentium, promulguée le 21 novembre 1964, sont d’une considérable importance. Le texte ne donne plus de l’Eglise une définition seulement hiérarchique et juridique, mais la désigne à la fois comme le Corps mystique du Christ, comme hiérarchie collégiale établie par le Christ et, comme Peuple de Dieu en marche vers le Salut. Ce changement dans le domaine de l’ecclésiologie est capital dans la pensée de Vatican II. Cela souligne bien le fait que tous les membres de l’Eglise sont solidaires et occupent chacun une place unique. La mise en exergue de la collégialité au sein de l’épiscopat est d’interprétation plus délicate. A l’image des Douze unis à Pierre[7], le Concile entend faire travailler les évêques ensemble (ce qui n’était guère le cas auparavant), en union avec le Pape. L’affirmation de l’autorité collégiale des évêques est en défaveur de la primauté du Pape, mais c’est ce que les pères conciliaires ont souhaité. Cependant, cette autorité dont est investie le collège des évêques ne doit en aucun cas s’exercer de manière autonome ou en rivalité par rapport au pouvoir pontifical. L’ambiguïté tient dans la connotation égalitaire du mot « collège », alors que le primat de juridiction dont dispose le souverain pontife est clairement réaffirmé. L’exercice collégial du pouvoir n’existe en fait qu’en communion hiérarchique avec le Pape et, lorsque ce dernier juge bon de partager son pouvoir qui reste plénier, suprême et universel. Quant à l’expression « Peuple de Dieu », il s’agit d’une expression biblique destinée à montrer que l’Eglise du Christ est une communauté rassemblée par Dieu qui appelle chaque Homme à apporter sa pierre à l’édifice en construction. Un édifice dont les murs invisibles ne se limitent pas à l’Eglise catholique, mais à toute l’humanité de bonne volonté. Vatican II introduit un nouveau regard à l’égard des non-catholiques. Désormais, l’Eglise ne revendique plus détenir à elle seule le monopole du Salut, elle déclare même, dans un décret conciliaire[8], que tout Homme qui cherche Dieu détient une part de la vérité céleste. Dans le décret Unitatis redintegratio sur l’œcuménisme (21 novembre 1964), la fin de l’unionisme est définitivement scellée : les chrétiens séparés de l’Eglise catholique ne sont plus invités à renoncer à leurs « erreurs passées » et à rentrer au bercail. Ainsi, le vain espoir de soumission cède la place à la recherche d’unité par le dialogue entre les membres des différentes confessions chrétiennes. Bien entendu, l’Eglise catholique ne se renie pas elle-même : elle se prétend toujours dépositaire de la Révélation, mais elle reconnaît explicitement la présence de valeurs morales et religieuses positives dans les Eglises sœurs, ouvrant de fait la porte à une union future sur des bases à construire avec elles. Un pas encore plus important est franchi lorsque les pères conciliaires reconnaissent officiellement la valeur de religions non-chrétiennes, dans la déclaration[9] Nostra Aetate sur l’Eglise et les religions non-chrétiennes : les catholiques sont exhortés à respecter toutes les religions qui peuvent également porter une part de la Vérité. A l’égard du judaïsme, les pères adoptent un texte condamnant l’antisémitisme afin de favoriser le dialogue fraternel et les échanges. Les outrages que Jésus-Christ a subis et sa condamnation à mort ne peuvent plus être imputés « ni indistinctement à tous les juifs vivants alors ni aux juifs de notre temps ». Il y a là un nouveau changement radical dans la mesure où avant le Concile, les Israélites étaient considérés par les catholiques comme responsables de la mort de Jésus. Dès lors, le peuple de la Première Alliance devient à l’égard de l’Eglise un partenaire respecté du dialogue interreligieux. Un autre sujet est débattu avec ardeur par les pères conciliaires : il s’agit de la question de la liberté religieuse. Ce sujet est polémique, il oppose vivement, comme bien d’autres du reste, l’aile progressiste à l’aile plus conservatrice du Concile. Il faut l’intervention du Pape Paul VI pour permettre au projet d’avancer. Par la déclaration Dignitatis humanae (7 décembre 1965), l’Eglise affirme que plus aucune croyance ne doit être imposée par une autorité humaine. En effet, la dignité de chaque personne humaine requiert que nul ne soit forcé à agir contre sa conscience, mais ce respect de l’autre n’implique pas pour les pères que toutes les religions se valent. C’est aussi se donner plus de force pour défendre la liberté des chrétiens contre les éventuelles intrusions malveillantes de l’Etat, à une époque où le communisme traite durement les pays où le catholicisme est présent. Moins controversée mais plus originale par ses thèmes tournés vers ce qui se trouve à l’extérieur de l’Eglise, la Constitution pastorale Gaudium et spes, promulguée le 7 décembre 1965, invite à un dialogue avec le monde contemporain, dans la perspective de ce que souhaitait Jean XXIII. Cette Constitution affirme que l’Eglise partage les joies et les espoirs des Hommes de ce temps (d’où le titre de la Constitution), mais aussi leurs tristesses ainsi que leurs peines. Elle invite tout catholique à être des citoyens actifs dans le monde. Le jour même de la promulgation du texte, Paul VI rencontre symboliquement le patriarche de Constantinople  Athénagoras : les excommunications réciproques prononcées en 1054 sont levées. Le lendemain, jour de la fête de l’Immaculée Conception de Marie, le Concile se clôt par une cérémonie grandiose dans un climat euphorique. Cependant, il reste encore beaucoup à faire afin de mettre en œuvre correctement les décisions conciliaires. Cette mise en œuvre ne sera pas évidente, surtout dans le cas de la France.L’héritage de Vatican II   Nous recevons l’héritage du Concile Vatican II principalement à travers les quatre grandes Constitutions : deux Constitutions dogmatiques, Lumen Gentium sur l’Eglise et Dei Verbumsur la Révélation divine, ce sont deux documents normatifs pour la foi catholique ; la Constitution Sacrosanctum Concilium sur la liturgie, elle n’engage pas la foi des catholiques avec la même force que les deux précédentes ; la Constitution pastorale Gaudium et Spes, document dont l’intention est très significative de la mission de l’Eglise dans le monde de ce temps, mais dont la réflexion reste très marquée par la situation de l’Eglise et du monde des années 1960.    Les deux documents les plus importants de Vatican II sont sans doute les deux Constitutions dogmatiques évoquées ci-devant. Lumen Gentium est la grande charte du Concile qui a permis un changement d’ecclésiologie alors très nécessaire à l’époque. De Lumen Gentium dépendent une multitude de décrets sur la charge pastorale des évêques, le ministère et la vie des prêtres ainsi que leur formation initiale et permanente, la mise à jour de la vie religieuse, l’apostolat des laïcs… Dans une moindre mesure, les décrets sur l’œcuménisme, le dialogue interreligieux et la liberté religieuse ont à voir avec Lumen Gentium et le changement d’ecclésiologie qui en découle.Imaginé au départ comme un fait interne à l’Eglise catholique, le Concile Vatican II devient très rapidement un évènement planétaire, vécu sous le regard du monde, essentiellement grâce aux nouveaux moyens de communication devant lesquels l’Eglise de prime abord a pu paraître méfiante. C’est également un évènement libérateur pour beaucoup, tandis que pour d’autres, Vatican II apparaît comme une menace pour le dépôt de la foi. De manière générale, on peut dire que deux grandes conceptions se sont affrontées durant la Concile, une plus juridique, l’autre plus sacramentelle, une plus attentive à l’institution, l’autre plus attentive à la communion entre l’Eglise et le monde tout entier. A Vatican II, une série de décisions marquent les esprits et renouvelle profondément l’ecclésiologie catholique. On parle désormais de l’Eglise comme Peuple de Dieu en route, on évoque des rapports avec les autres confessions chrétiennes et les autres religions, on parle de la pauvreté de l’Eglise, de la paix entre les Hommes… Un Concile qui pensait tout d’abord être un évènement pastoral, et précisément pour cela se veut plus important que les précédents, car il ne se limite pas à répéter des doctrines déjà solidement en place, mais il se demande comment les transmettre dans un monde en proie aux mutations de tout genre. Vatican II est un Concile qui regarde le monde pour le comprendre, non pas pour le condamner, il le perçoit avec un regard optimiste, chargé de sympathie dirons-nous. Il n’en reste pas moins que le Concile Vatican II n’est pas, comme certains se plaisent à l’affirmer, un évènement uniquement pastoral. Les Constitutions dogmatiques démontrent fort bien l’importante réflexion menée par les pères conciliaires. D’ailleurs, le changement d’ecclésiologie qui est le fait de Vatican II prouve bel et bien que ce Concile n’a pas été uniquement pastoral…Vatican II est donc « marquant » a bien des égards, sa portée dépasse même les frontières religieuses du catholicisme. Aujourd’hui encore, l’héritage conciliaire reste à découvrir. En effet, comme tout Concile, Vatican II n’a pas encore été totalement bien reçu, surtout en France où la période de réception du Concile s’est confondue avec la révolution culturelle des années 1960. De ce fait, c’est à travers ce prisme déformant que les textes conciliaires ont été lus et interprétés, bien trop souvent maladroitement. Certains ont même parlé de Vatican II comme d’un Concile de « rupture » avec les Conciles antérieurs. Cela n’est nullement le cas et, depuis le début de son pontificat en 2005, c’est ce que le Pape Benoît XVI a tenté de faire comprendre.
Emmanuel ECKER.

Sources :La Documentation CatholiqueJean-Pierre Moisset, Histoire du catholicisme, Champs Histoire, Paris, 2006Sous la direction de Jean-Robert Armogathe – Yves-Marie Hilaire, Histoire générale du christianisme, du XVIème siècle à nos jours, PUF, Paris, 2010Conférence de Mgr Pierre Raffin, évêque de Metz, L’héritage de Vatican II, cinquante ans après

[1]  Légat : représentant du Pape [2] Consistoire : 1) réunion des cardinaux autour du Pape, les cardinaux étant les collaborateurs et les conseillers du Pape en matière de gouvernance de l’Eglise catholique.  2) cérémonie au cours de laquelle le Pape créé de nouveaux cardinaux. [3]  Concile Vatican I réuni en 1870. [4] Les nombreux « évènements » de la première moitié du XXème siècle (guerres mondiales, totalitarismes…) ont été des obstacles à la réunion d’un Concile œcuménique. [5]  Une décision prise par le Pape en matière de dogme est considérée comme infaillible. [6]  Concile réuni entre 1545 et 1563 [7]  Douze : cela fait référence aux douze apôtres. Les évêques sont considérés dans l’Eglise catholique comme les successeurs des apôtres. Quant à Pierre, il est le chef du collège apostolique, celui à qui Jésus a confié le soin de bâtir Son Eglise. Le Pape est le successeur de saint Pierre. Il est donc logiquement le chef du collège des évêques du monde entier, comme Pierre qui était le chef du collège des Douze. [8]  Un décret conciliaire est un document émanant du Concile mais considéré comme moins important qu’une Constitution. [9] Une déclaration est un document émanant du Concile mais considéré comme moins important qu’une Constitution et qu’un décret.

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