A gauche Malcolm X, à droite son petit-fils Malcolm Shabazz
Introduction
Malcolm Shabazz, moitié noir-moitié berbère, musulman chiite, le premier petit fils de Malcolm X (El Hajj Malik el Shabazz) s’est confié dans une interview pour la première fois.
Sa grand-mère Betty Shabazz, femme de Malcolm X, fut tuée dans un feu il y a onze ans alors qu’il en avait douze. Il a été transporté d’institutions en institutions, puis est finalement allé en prison d’où il est sorti en 2007.
Il a maintenant 24 ans et souhaite marcher sur un nouveau chemin, celui qui glorifiera le nom de son grand-père. Dans une interview avec le journal américain Newsone il s’est confié.
« Les gens me décrivent souvent comme une personne à problèmes. Je ne vais pas dire que je ne le suis pas. Mais je ne suis pas fou. J’ai des problèmes. Beaucoup d’entre nous en ont. Mais vous devez comprendre de là où je viens et pourquoi je suis comme je suis. Etant donné ce que j’ai traversé, c’est un miracle que je puisse encore me tenir debout. J’essaye juste de trouver le bon chemin. Des journaux à propos de moi disaient ‘Les experts attestent qu’il est atteint de psychose’, la manière dont ils me décrivaient était mauvaise ‘bi-polaire, dépressif’, peu importe. Je sais que je ne suis pas tout à la fois. La plupart des gens qui auraient connu ce que j’ai connu auraient craqué. »
« Toute ma vie j’ai eu des moments… Je ne voulais absolument rien… Puis je me suis retrouvé embarqué dans un gang… Puis la minute d’après j’étais en redressement disciplinaire… Celle d’après encore j’étais dans la rue livré à moi-même. Une de mes tantes a un ami pour qui ses enfants sont tout. J’étais en train de trainer avec lui un jour et tout ce dont il parlait c’était de leurs cours de sport, de quand et comment il allait les emmener ici et là. J’aurai aimé avoir quelqu’un dont l’objectif dans la vie aurait été de prendre soin de moi. C’est comme ça que font les blancs. Ils font des plans pour leurs enfants. Les noirs ne planifient pas pour leurs enfants. Je n’étais pas planifié. »
Qubilah Shabazz, la mère de Malcolm Shabazz
Enfance
Malcolm Lateef Shabazz est né à Paris en 1984. Sa mère est Qubilah Shabazz, la deuxième des six filles de Malcolm X. Elle n’avait que 4 ans quand son père fut tué à harlem. Elle a grandi, d’après son fils, en restant dans son coin. Puis elle a été un jour étudiante à l’Université de Princeton, mais a interrompu ses études avant d’avoir son diplôme. En 1995, dans une interview au « Minneapolis Star Tribune », elle disait :
« J’étais sous pression, essentiellement à cause de qui j’étais. Je ne correspondais pas à ce que les gens attendaient de moi. Je ne suis pas arrivée à l’Université avec des bottes de combat, un béret et je ne parlais pas swahili »
Après avoir quitté Princeton, elle a voyagé à paris où elle a commencé à étudier à la Sorbonne. C’est là qu’elle a rencontré le père de Malcolm Shabazz, un algérien. Pourtant, Malcolm n’a encore jamais rencontré son père.
« Je suis le premier petit-fils de mon grand-père, Malcolm X. Il voulait toujours avoir un fils. Il n’y a pas eu de garçon dans la famille Shabazz, avant moi. J’ai pris l’habitude de penser que Malcolm X était mon père. C’est ce que ma mère m’a enseigné. Quand je demandais, elle me montrait des photos de son père et me disait qu’il est le mien. Je ne peux pas parler de mon père avec elle. Elle agi comme si elle ne savait rien de lui. Quand son propre père est mort elle n’avait que 4 ans, je pense qu’elle ne s’en est jamais remise »
Qubilah quitte Paris quand Malcolm est très jeune et retourne aux USA. Il se souvient d’avoir beaucoup déménagé et que sa mère prenait plein de petits boulots, tels que dans des brasseries, pour pouvoir les faire manger :
« Comment pouvez-vous postuler chez Denny’s (équivalent de flunch, ndlr) et laisser de côté Princeton et la Sorbonne ? Je croyais qu’elle était mieux que ça. Et je n’aimais pas sla voir travailler dans ce genre d’endroits. Quand j’avais 4 ans, nous étions en Californie, j’avais déjà l’habitude de m’enfuir de la maison. Ma mère buvait, s’endormait, et j’étais sans surveillance (la mère de Malcolm aurait eu de nombreux problèmes avec l’alcool ainsi que des soucis d’ordre mental, ndlr). J’étais aventureux, je marchais jusqu’au bout de la rue. Ca se terminait par la police qui me ramenait à la maison. Un jour j’ai marché jusqu’à ma crèche, je ne sais pas peut-être à 1-2 kilomètres de la maison. Un autre jour je suis monté dans le bus et je me suis promené comme ça, personne ne m’a remarqué presque toute la journée, jusqu’à ce que quelqu’un me stoppe. Elle m’aime. J’en suis sûr. Mais tout le monde n’est pas fait pour être parent. Elle ne me prenait pas dans ses bras. Elle n’est pas ce genre. Ca me rendait triste à l’époque. »
Après la Californie, Malcolm est allé à Philadelphie où il a vécu avec son arrière grand-mère, madeline Sandlin, la belle-mère de sa grand-mère, Betty Shabazz.
« Elle est vraiment une femme forte. Née américaine, forte et stricte. Elle vivait à North Philly. Son quartier était dur, mauvais. Je ne pouvais pas aller dehors et jouer. C’était comme être derrière des barreaux. J’ai commencé l’école dans un établissement privé. Je suis allé à la maternelle et à la primaire là-bas. Les enfants étaient riches. le bus n’allait pas jusqu’à ma maison. Je ne savais même pas pourquoi. Je devinais juste que ça devait être mauvais là où je vivais. Je voulais être blanc. Les autres avaient l’air heureux, comme si ils avaient tout ce dont ils ont besoin. Blanc était l’égal d’heureux et riche. Et noir était l’opposé.
Ma tante Attalah est venue nous voir un jour. Je regardais un magazine, il y avait une photo d’un garçon blanc avec un costume. J’ai dis à ma tante ‘J’aimerai être lui, j’aimerai être blanc’ et elle a répondu ‘Pourquoi dis-tu une telle chose ?’ «
Mon arrière grand-mère ne pouvait pas prendre soin de moi éternellement. J’ai fini par vivre avec mon professeur du collège, dans une sorte d’internat. Je l’aimais mon arrière grand-mère je l’appelais maman. Elle avait une petite-fille de 16 ans. J’avais un hamster et un vélo. J’allais à l’église tous les dimanches. J’avais flashé sur une fillette blanche qui s’appelait Heidi. J’avais une certaine stabilité, ma tante venait me prendre de l’école pour les vacances d’été mais je pense qu’elle n’appréciait pas. J’étais heureux car on prenait soin de moi, mais elle n’aimait ps la situation. »
Adolescence
« J’étais toujours heureux, virevoltant autur de ma tante Ilyasah. Elle sentait toujours bon. J’aimais rester chez elle car sa maison était très propre. J’aimais être avec elle. Elle était rigolote. Un jour on était dans un ascenseur et j’étais sur le point de vomir. Elle a rassemblé ses mains et les a dirigées vers ma bouche. Elle était prête à l’attraper. C’est quand on est sorti de l’ascenseur que j’ai soudain vomi partout, sur le sol, dans ses mains. Mais elle a gardé ses mains comme ça. Ce geste montre ce qu’elle ressentait envers moi. Ca m’a touché. Je me suis dit que si j’avais une fille un jour, je l’appelerai Ilyasah.
Comme ma grand-mère, je ne l’ai jamais vue se reposer. Elle parlait dans les collèges, voyageait je ne sais où. Une fois, en vacances, elle m’a emmené dans un hôtel pour nager et elle s’est assis à côté avec des livres et des journaux. Je n’ai jamais vu personne travailler autant. C’est pourquoi je ne pouvais pas vivre là tout le temps. Toutes mes tantes travaillaient beaucoup, je devais jongler. L’école le savait. Mes notes s’en ressentaient. Mes professeurs ne pouvaient même pas en parler à quelqu’un de ma famille car j’étais partout et nulle part à la fois.
J’ai commencé à conduire quand j’avais 9 ans. Je regardais ma tante et je mémorisais. Un jour très tôt, j’ai pris ses clés. J’ai eu du mal à démarrer la voiture mais j’ai conduit jusqu’à l’école et je me suis garé, puis je suis allé en cours comme si de rien n’était. Ma tante l’a découvert et est venue jusqu’à l’école. Ils ne l’ont même pas cru mais c’était vrai. Ma mère m’a mis dans une institution mentale après ça. Elle était très fâchée. Je n’appartenais pas au monde où j’étais. J’avais besoin de discipline. Mais pas d’être envoyé dans ce genre d’hôpital.
A l’hôpital ils ont commencé à me poser toutes ces questions du genre ‘Entends-tu des voix ?’. J’étais à fond dans les bandes dessinées de Marvel. il y avait deux personnages que j’aimais ; Mr sinistre et la torche humaine. J’étais genre ‘Oui c’est lui mon ami qui m’a dit de faire ça’. J’inventais juste des choses et faisais des dessins d’eux. Je ne savais pas que ça me suivrait de la manière dont ce fut le cas. Selon mon expérience, les médecins voulaient trouver quelque chose qui clôche chez moi. C’est pour ça qu’on les paye. Quand j’étais en prison aussi ils ont dit que j’étais dépressif et anti-social. J’étais en prison, dans le confinement le plus total. Il fallait qu’ils trouvent quelque chose à dire. »
Malcolm Shabazz devant un portrait de son grand-père, Malcolm X
Tel qu’il s’en souvient, après qu’il ai quitté l’hôpital, Malcolm et sa mère déménagèrent à Minneapolis, où Qubilah avait repris contact avec un vieux copain d’école, Michael Fitzpatrick.
« Elle a dit qu’elle repartait à zéro, qu’elle voulait tout recommencer et j’étais très excité. D’abord on a vécu dans un hôtel. Ils se voyaient là et parlaient. Je les entendais parler de Farrakhan (le dirigeant de Nation of islam, ndlr) mais je ne sais pas ce qu’ils disaient exactement. J’ai découvert plus tard qu’il y avait des caméras de surveillance partout car le FBI surveillait ma mère. »
Selon les rapports officiels, Fitzpatrick était un informateur du FBI qui était chargé de trouver des preuves d’un complot d’assassinat contre Farrakhan. Qubilah a été arrêtée car elle aurait cherché à engager un homme qui pourrait tuer le leader de la « Nation of islam », dont elle pense qu’il a à voir avec la mort de son père. Après que sa mère fut arrêtée, Malcolm a été envoyé dans un orphelinat puis dans une famille qui voulait l’adopter, jusqu’à ce qu’ils apprennent qui était sa mère. Qubilah fut relâchée après quelques investigations, mais Malcolm dit qu’il ne la revit pas avant deux ans. Elle repartie seule à San Antonio, dans le Texas.
« Je suis allé dans uen école du Connecticut pendant un moment. Ils sont venus là où je vivais et ont trouvé un ordinateur qui appartenait à un étudiant d’un autre internat. Et il y avait ce mec avec une veste déchirée qui disait que je l’avais agressé. Rien de tout cela ne s’est passé, et ma grand-mère est venue me chercher et m’a sorti de là. Je sais qu’elle était fâchée, mais on n’en a jamais parlé. C’est comme ça que je suis reparti à Philadelphie. Quand j’ai eu 11 ans, je me suis battu avec un garçon de 16 ans. C’étai si violent, mon corps ne repondait plus, je ne pouvais même plus soulever mes bras. Mais j’ai gagné cette bagarre et après ça les gens étaient différents. Ils disaient ‘Laisse le tranquille il est fou’ mais je n’étais pas fou, j’étais effrayé et je faisais ce qu’il fallait pour survivre. »
« Ma grand-mère ne savait pas ce par quoi je passais. Je lui ai dis mais je ne pense pas qu’elle m’a cru. »
Malcolm fut ensuite réuni avec sa mère à San Antonio. Elle travaillait dans une station de radio détenue par Percy Sutton, l’avocat de Malcolm X, avant qu’il soit tué. Elle avait aussi un nouveau petit ami, que Malcolm aima dés le départ.
« Il me donnait un billet de 100 dollars, comme ça sans raison. Il me laissait conduire sa voiture. On vivait dans un appartement sympa avec un balcon et un jacuzzi. Ma mère travaillait à la station et j’allais dans une école privée. On vivait dans un quartier mexicain et tout le monde était impressionné que je venais de New-York. Quand vous êtes de New-York toutes les filles vous aiment et les mecs vous détestent. Mais soudain tout a changé car ma mère a recommencé à boire. Son copain est parti en prison pour tentative d’assassinat. Il n’y avait plus à manger à la maison. Elle ne m’emmenait plus à l’école. Elle ne se levait pas le matin pour m’y accompagner. J’ai commencé à regresser. Un matin je l’ai réveillée pour lui dire de m’accompagner mais elle s’est enervée et a tenté de me frapper. Je l’ai poussée. Elle a dit que je l’ai frappée mais ce n’était pas vrai. Elle m’a remis dans un hôpital psy pour deux semaines. »
Après cet incident, Malcolm fut renvoyé à New-York bien qu’il souhaitait rester avec sa mère.
« Toute ma vie j’ai été secoué d’un côté et de l’autre, vivant avec tel, et tel. Je ne savais jamais où j’allais poser ma tête le soir. J’en devenais malade. Je voulais retourner à la maison avec ma mère. Le jour où je suis revenu à New-York il faisait froid et il pleuvait. ma grand-mère est venue me prendre à l’aéroport. J’avais un gros pantalon baggy (skater pants en anglais, ndlr) et une boucle d’oreille. Ma grand-mère a dit ‘Est-ce possible que tu arrêtes de porter ces pantalons’ et j’ai totalement fait le contraire et ai commancé à vraiment déconner, à voler de l’argent »
Malcolm Shabazz et sa mère Qubilah Shabazz
La mort de Betty Shabazz
Dans le milieu de la nuit du 1er juin 1997, les autorités se déplacèrent suite à un appel pour un feu dans la maison de Betty Shabazz, à New-York. Selon les rapports, Betty Shabazz, l’ex-femme de Malcolm X, avait le corps brûlé à plus de 80%. Son petit-fils a été suspecté d’avoir commencé ce feu. Le 23 juin 1997, après plusieurs opérations, Betty Shabazz décède. Elle avait 63 ans. Le 19 juillet, Malcolm, qui avait alors 12 ans, a plaidé coupable devant une cour pour mineurs. Il a été condamné à 18 mois de prison dans un centre de réeducation pour jeunes délinquants. Il y est resté p4 ans. En avril 2001, il a été renvoyé chez lui avec un bracelet electronique. Mais il retourna vite en prison après avoir manqué des appels à l’ordre. En janvier 2002, il a été arrêté après un hold-up à New-York. En septembre de cette même année, il fut condamné à 3 ans et demi de prison. Il a été libéré sur parole en 2006.
« Je ne voulais pas blesser ma grand-mère. Je n’imaginais pas que quelque chose comme ça arriverait. J’ai cru qu’elle s’échapperait par l’issue de secours mais en fait elle a voulu traverser le feu pour venir me chercher. Je ne pensais pas qu’elle ferait une telle chose pour moi. Les gens me disent ‘Oh tu es celui qui a mis la maison de ta grand-mère en feu’ mais en fait ça ne s’est pas vraiment passé comme ça. Je l’ai toujours dit. Mais en fait on m’a convaincu de dire autre chose car apparemment c’était mieux pour moi. On m’avait dit que sinon j’irai en prison toute ma vie. »
Comment être à la hauteur de l’héritage laissé par Malcolm X ? Et que s’est-il passé ? Pourquoi et comment a-t-il vraiment mis le feu chez sa grand-mère ? Malcolm Shabazz travaille actuellement à l’écriture d’un livre. Son interview complète filmée n’est pas encore disponible mais vous pouvez en voir des bribes sur Youtube, comme par exemple ci-dessous.