You shot me down ... chantait Nancy Sinatra en 1966 avec succès en même temps que Sheila avec Bang Bang. La voix de la chanteuse américaine a inspiré à Elsa Guérin et Martin Palisse le nom de leur duo.
Ils ont laissé tomber ce que le jonglage peut avoir de spectaculaire. Chacun 3 balles, jamais une de plus, jamais une de moins, et pratiquement toujours suivant la même orbite. Le tracé répétitif de leurs lancers a quelque chose de lancinant, qui fascine comme le ferait un pendule, plaçant le public au bord de l'hypnose.
Ajoutez la musique post rock de God Speed You Black Emperor et de Thee Silver Mount Zion (entièrement remixée par Manu Deligne) qui délimite l'enveloppe dans laquelle ils évoluent et tournent en rond comme des poissons prisonniers de leur bocal.
Les éclairages découpent le territoire. Parfois minimalistes, voire totalement inexistants, ils composent tout un camaïeu de dégradés de pénombres totalement inhabituels au cirque. Il faudrait être prévenu que le premier tableau se déroulera quasiment en nuit complète mais qu'ensuite la lumière reviendra. De jeunes enfants ou des claustrophobes pourraient s'effrayer. Les premières minutes surprennent puis on s'habitue et ... on apprécie dès lors qu'on a compris que la soirée va être radicalement différente de ce qu'on a l'habitude de voir.
Sur la piste ronde, un carré blanc, immaculé, dont la découverte provoque des oh et des ah de la part d'un public taquin que l'immersion dans le noir complet rend brutalement silencieux.
Des micro flashs nous permettront d'apercevoir l'un ici, l'autre là, puis l'inverse. Les balles tournent comme les roues d'une locomotive qui se propulserait dans la nuit, s'enfoncerait dans la brume, déboulerait sur la neige. Allongé ou débout, il ou elle jongle, ne lâchant pas des yeux le public qui reste définitivement muet sur les gradins.
Immobile, surgissant là où on ne les attend pas, ont-ils cessé de jongler dans le noir ? Pas sûr ... Les voilà marchant en équilibre sur un pied, posé sur le sol comme si c'était un fil d'acier au-dessus du vide. La musique s'amplifie, agissant comme un souffle qui les ferait pencher d'avant en arrière, de droite à gauche dans un mouvement mécanique parodiant les automates d'autrefois.
La scène est éclairée à la limite de l'invisible (même André Diot, célèbre pour les clairs-obscurs qu'il a inventés pour Patrice Chéreau n'a jamais osé faire si minimaliste). La chorégraphie prend tout son sens pour traiter le thème du couple, de la symétrie et du miroir. Elle porte un pantalon bleu nuit, un tee-shirt vert. Il est sa figure inversée. Ils dansent. Ils jonglent et ils nous regardent.
On a le sentiment d'un motif très long et très complexe qui se répète en s'accélérant. Ils sont dans la fusion, jonglant à quatre mains sans craindre l'interférence. La distraction n'a pas sa place dans leurs évolutions.Second tableau, plus optimiste au final malgré un début sur le mode sado-maso. Chacun va lier l'autre avec du scotch industriel rouge vif. Ils expriment toute une gamme d'émotions et de sentiments sans paroles. Leurs bouches bandées n'excluent pas les borborygmes. Pas plus que l'entrave de leurs bras et de leurs jambes ne les empêchera de se déplacer en d'élégants sauts de puce ou de pingouin, puis de jongler.
Beaucoup d'humour dans cette séquence qu'on pourrait intituler "jeu de boules" . Ils nous laissent croire que c'est impossible pour mieux nous démontrer le contraire.
Avec le troisième tableau finie la plaisanterie. Yeux bandés et scène assombrie c'est la lutte pour la survie qui impose des alliances. Un pour tous ou chacun pour soi. On a envie de leur crier des indications pour les aider à retrouver leurs balles à tâtons, dans le noir, à avantager l'un ou l'autre. On est tenté de prendre parti mais on se laisse porter par les images, très belles, de la première femme offrant la pomme au premier homme. Ils tourneront comme des derviches sur un air de musique qui s'étire comme un élastique.
Courte pause bien méritée avant d'y retourner pour une nouvelle série de boucles. C'est le même rythme que la cantate de Barbara dont le souvenir se superpose sur leurs évolutions. On dirait que le temps s'assombrit. Trois petites balles du bout des doigts s'échangent entre les jongleurs, qui sont redevenus des équilibristes.
C'est la course, l'empoignade. Quand elle n'en peut plus il l'entraine et elle suit. Quand c'est lui qui flanche elle le pousse. Ils se font confiance, inconditionnellement. Se déplaçant dos à dos comme un insecte, pliant jusqu'au sol, dans un lâcher prise corporel impressionnant. Ils pourraient jongler ainsi jusqu'au bout, même seul(e) et traverser toutes les épreuves. Toute une vie sans doute.
C'est prodigieux.
POST par le Cirque Bang Bang à l'Espace cirque d'Antony (92)
Du 1er au 24 février à l’Espace cirque d’Antony, Rue Georges Suant. Tél. : 01 41 87 20 84 Les 1er et 2 à 20 h, le 3 à 16 h, les 8 et 9 à 20 h, le 10 à 16 h, les 12 et 15 à 20 h, le 16 à 19 h, le 17 à 16 h, les 22 et 23 à 20 h, le 24 à 16 h. E-mail : [email protected] Réservation : www.theatrefirmingemier-lapiscine.fr, ou au théâtre La Piscine