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Projet de décret urbanisme : il est interdit d’interdire les énergies renouvelables domestiques ?

Publié le 05 février 2013 par Arnaudgossement

code.jpgLe Ministère de l’égalité des territoires et du logement vient de soumettre à consultation publique un projet de décret qui vient préciser le régime juridique compliqué d’un principe de non interdiction des ENR domestiques, assorti de nombreuses dérogations. Analyse.


C’était sans doute l’une des dispositions les plus mal compliquées de la loi Grenelle 2 du 12 juillet 2012 portant engagement national pour l’environnement.  Il aurait été utile de discuter de son abrogation car elle vient alourdir sans grand intérêt le code de l’urbanisme. Reste que la loi Grenelle 2 appelait sur ce point un décret d’application. Celui-ci, encore à l’état de projet, est actuellement soumis à consultation publique.
Le projet de décret peut être consulté ici.
Il est interdit d’interdire
Au lendemain du Grenelle, le Gouvernement s’était en effet engagé à imposer le principe « il est interdit d’interdire » aux autorisations d’urbanisme destinées à permettre la création de système d’énergies renouvelables domestiques. En clair, il ne devait plus être possible de refuser un permis de construire pour l’installation d’une petite éolienne ou d’un panneau solaire. Certains groupes d’intérêts s’en sont émus. Car le petit ENR lui aussi a ses détracteurs. Du coup, le Gouvernement a assorti le principe « il est interdit d’interdire » de plusieurs dérogations dont une de taille : les collectivités territoriales peuvent créer des zones sans ENR domestiques dans lesquelles il sera permis d’interdire. Au final, la disposition s’enlise dans les dérogations au terme d’une rédaction très peu aisée.
Le principe
Reprenons. L’article L.111-6-2 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction issue de l’article 12 de la loi n°2010-788 du 12 juillet 2010  et modifiée par l’article 106 de la loi n°2012-387 du 22 mars 2012, précise tout d’abord :

« Nonobstant toute disposition d'urbanisme contraire, le permis de construire ou d'aménager ou la décision prise sur une déclaration préalable ne peut s'opposer à l'utilisation de matériaux renouvelables ou de matériaux ou procédés de construction permettant d'éviter l'émission de gaz à effet de serre, à l'installation de dispositifs favorisant la retenue des eaux pluviales ou la production d'énergie renouvelable correspondant aux besoins de la consommation domestique des occupants de l'immeuble ou de la partie d'immeuble concernés. »

C’est le principe « il est interdit d’interdire » issu des engagements des acteurs du Grenelle de l’environnement de 2007. Au passage notons que cette disposition n’est pas très bien rédigée car c’est en réalité l’auteur et non le permis de construire lui-même qui peut s’opposer à la réalisation d’un système de production d’énergies renouvelables ou à la pose de matériaux d’isolation thermique.

Le projet de décret actuellement soumis à consultation publique prévoit d’ajouter un nouvel article R.111-50-2 à la suite de cet article R.111-50-1 du code de l’urbanisme de manière à préciser la liste des règles auxquelles il est possible de déroger pour permettre l’application du principe de non interdiction :

« 7° Après l’article R.* 111-50-1, il est inséré un article R.* 111-50-2 ainsi rédigé :
« Art. R.* 111-50-2. – Les règles auxquelles il peut être dérogé, dans les conditions de l'article L. 111-6-2, sont les règles des plans locaux d'urbanisme, des plans d'occupation des sols, des plans d'aménagement de zone et des règlements des lotissements relatives à l'aspect extérieur des constructions »

La question se pose cependant de savoir s’il sera possible de déroger aux dispositions d’un document d’urbanisme dans la mesure où ce dernier constituerait une application d’un document d’urbanisme type SCOT ou DTADD.
La liste des dispositifs bénéficiant du principe
L’article L.111-6-2 du code de l’urbanisme précise ensuite :

« La liste des dispositifs, procédés de construction et matériaux concernés est fixée par voie réglementaire. Le présent alinéa ne fait pas obstacle à ce que le permis de construire ou d'aménager ou la décision prise sur une déclaration préalable comporte des prescriptions destinées à assurer la bonne intégration architecturale du projet dans le bâti existant et dans le milieu environnant. »

C’est précisément cette disposition que le projet de décret soumis à consultation publique tend à appliquer en précisant la « liste des dispositifs, procédés de construction et matériaux concernés est fixée par voie réglementaire ». Notons dès à présent que le fait de lister les dispositifs, procédés de construction et matériaux concernés » par le principe énoncé juste avant est déjà une manière de l’encadrer. Etait-ce nécessaire ? A discuter. Dans ce genre de situation, l’Etat aurait pu conserver le pouvoir d’appréciation des collectivités décentralisées sans besoin de l’encadrer aussi fortement. L’édition d’un guide précis d’aide à la décision des services instructeurs et des autorités décisionnaires aurait été suffisant. Rappelons-le : le développement du petit ou du grand ENR sera décentralisé ou ne sera pas. Par ailleurs, le fait de procéder par liste pour préciser le champ d’application de ce principe de non interdiction n’écarte pas tout risque contentieux dès lors qu’il y aura toujours possibilité de s’interroger sur la correspondance de tel ou tel matériaux ou procédé avec ladite liste.
Pour l’heure l’article R.111-50 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction issue du décret n°2011-830 du 12 juillet 2011 :

« Pour l'application de l'article L. 111-6-2, les dispositifs, matériaux ou procédés sont :
1° Les matériaux d'isolation thermique des parois opaques des constructions et, notamment, le bois et les végétaux en façade ou en toiture ;
2° Les portes, portes-fenêtres et volets isolants définis par un arrêté du ministre chargé de l'urbanisme ;
3° Les systèmes de production d'énergie à partir de sources renouvelables, lorsqu'ils correspondent aux besoins de la consommation domestique des occupants de l'immeuble ou de la partie d'immeuble concernée. Un arrêté du ministre chargé de l'urbanisme précise les critères d'appréciation des besoins de consommation précités ;
4° Les équipements de récupération des eaux de pluie, lorsqu'ils correspondent aux besoins de la consommation domestique des occupants de l'immeuble ou de la partie d'immeuble concernée;
5° Les pompes à chaleur ;
6° Les brise-soleils. »

Le projet de décret actuellement soumis à consultation publique propose de remplacer le troisième alinéa (le 2°) par les dispositions suivantes:

"a) Le troisième alinéa est remplacé par les dispositions suivantes :
« 2° Les portes, portes-fenêtres et volets isolants répondant aux caractéristiques suivantes :
- les fenêtres ou portes-fenêtres composées en tout ou partie de polychlorure de vinyle (PVC), avec coefficient de transmission thermique (Uw) inférieure ou égal à 1,4 watt par mètre carré Kelvin (W/m².K) ;
- les fenêtres ou portes-fenêtres composées en tout ou partie de bois, autres que celles mentionnées ci-dessus, avec un coefficient de transmission thermique (Uw) inférieur ou égal à 1.6 W/m².K ;
- les fenêtres ou portes-fenêtres métalliques avec un coefficient de transmission thermique (Uw) inférieur ou égal à 1,8 W/m².K ;
- les volets isolants caractérisés par une résistance thermique additionnelle apportée par l'ensemble volet-lame d'air ventilé supérieure à 0,22 m².K/W. »

Le projet de décret prévoit également de remplacer le quatrième alinéa (le 3°) de l’article R.111-50 du code de l’urbanisme par les dispositions suivantes :

« b) Le quatrième alinéa est remplacé par les dispositions suivantes :
« 3° Les systèmes de production d'énergie à partir de sources renouvelables dont la puissance crête pour les générateurs photovoltaïques, ou la puissance électrique maximale installée dans les autres cas, ne peut excéder 3 kW par tranche de 100 mètres carrés de surface de plancher. »

Ainsi, ce sont les installations de production d’énergie solaire de moins de 3kW par tranche de 100 mètres carrés de plancher qui bénéficient du principe de non interdiction. Ce qui ne signifie bien sûr par que les installations de puissance plus élevée soit ipso facto interdites.
La première dérogation pour motifs environnementaux
L’article L.111-6-2 du code de l’urbanisme assortit le principe de non interdiction d’une série de dérogation qui vient immédiatement en réduire la portée. Ainsi :

« Le premier alinéa n'est pas applicable dans un secteur sauvegardé, dans une zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager créée en application de l'article L. 642-1 du code du patrimoine, dans le périmètre de protection d'un immeuble classé ou inscrit au titre des monuments historiques défini par l'article L. 621-30 du même code, dans un site inscrit ou classé en application des articles L. 341-1 et L. 341-2 du code de l'environnement, à l'intérieur du cœur d'un parc national délimité en application de l'article L. 331-2 du même code, ni aux travaux portant sur un immeuble classé ou inscrit au titre des monuments historiques ou adossé à un immeuble classé, ou sur un immeuble protégé en application du 7° de l'article L. 123-1-5 du présent code. »

Le principe de non interdiction des ENR domestiques et travaux de réduction des GES est donc inapplicable :

  • dans un secteur sauvegardé,
  • dans une zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager créée en application de l'article L. 642-1 du code du patrimoine,
  • dans le périmètre de protection d'un immeuble classé ou inscrit au titre des monuments historiques défini par l'article L. 621-30 du même code,
  • dans un site inscrit ou classé en application des articles L. 341-1 et L. 341-2 du code de l'environnement,
  • à l'intérieur du cœur d'un parc national délimité en application de l'article L. 331-2 du même code,
  • ni aux travaux portant sur un immeuble classé ou inscrit au titre des monuments historiques ou adossé à un immeuble classé,
  • ou sur un immeuble protégé en application du 7° de l'article L. 123-1-5 du présent code.»


Cette première liste de dérogation peut être justifiée par la nécessaire articulation de législations environnementales et urbanistiques.
C’est la seconde dérogation qui est davantage surprenante
Des zones sans petit ENR
L’article L.111-6-2 du code de l’urbanisme dispose :

« Il n'est pas non plus applicable dans des périmètres délimités, après avis de l'architecte des Bâtiments de France, par délibération du conseil municipal ou de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d'urbanisme, motivée par la protection du patrimoine bâti ou non bâti, des paysages ou des perspectives monumentales et urbaines. L'avis de l'architecte des Bâtiments de France est réputé favorable s'il n'est pas rendu par écrit dans un délai de deux mois après la transmission du projet de périmètre par le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d'urbanisme. Le projet de délibération est mis à la disposition du public en vue de recueillir ses observations pendant une durée d'un mois avant la réunion du conseil municipal ou de l'organe délibérant de l'établissement public.»

Ainsi, après avis de l’Architecte des Bâtiments de France, une commune ou un EPCI peut créer un « périmètre délimité » à l’intérieur duquel  le principe « il est interdit d’interdire » ne s’appliquera et où il sera donc possible de rejeter une demande d’autorisation d’urbanisme destinée à permettre la réalisation de systèmes de production d’énergies renouvelables domestiques ou de matériaux d’isolation.
La décision de création d’un « périmètre délimité » ne suppose pas d’être particulièrement motivée. Il suffit qu’elle soit « motivée par la protection du patrimoine bâti ou non bâti, des paysages ou des perspectives monumentales et urbaines ». C’est qui assez vaste et général pour n’être pas très contraignant.
Elle n’est pas non plus soumise à un formalisme procédural très exigeant dès lors qu’une simple mise à disposition du public du projet de délibération est requise. Au demeurant la conformité de cette disposition aux exigences du principe de participation pourrait être discutée.
Les mesures de publicité de la délibération créant un tel périmètre délimité sont précisées à l’article R.111-50-1 du code de l’urbanisme dans sa rédaction issue du Décret n°2011-830 du 12 juillet 2011 :

« La délibération par laquelle, en application du troisième alinéa de l'article L. 111-6-2, la commune ou l'établissement public de coopération intercommunale compétent délimite un périmètre dans lequel les dispositions du premier alinéa de cet article ne s'appliquent pas fait l'objet des procédures d'association du public et de publicité prévues par les articles R. * 123-20-2 et R. * 123-25. »

En conclusion, il ne saurait être reproché au Ministère de l’égalité des territoires d’élaborer le texte d’application d’une disposition qu’une ancienne législature a appelé de ses vœux. Trop de dispositions législatives demeurent sans décret d’application Mais le mieux serait de débattre du retrait du code de l’urbanisme de ce mécanisme à l’intérêt peu évident.
Arnaud Gossement

Avocat associé - Docteur en droit

Selarl Gossement avocats


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