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Belfort, ma cité-mère, mini-Sheffield fantasmé de carton-pastel, pourtant solidement ancré entre les champs de l’impossible, berceau de métal où la technique est maîtresse, c’était si évident. Que je vienne voir Motorama en ton sein, pourquoi aurais-je attendu la date parisienne ? Car leur Calendar me passionne depuis plusieurs mois déjà, malgré le scepticisme des premiers jours. Qui me faisait dire : comment, écouter un énième groupe rejouer les motifs new wave pourtant maintes fois et inlassablement reproduits au cours de cette dernière décennie ? Mais vous n’y pensez pas, Talitres, après tant de disques et de concerts de fades groupes revivalistes, j’avais presque décidé d’abandonner le genre !
Il y avait pourtant un petit truc dans ces dix chansons produites dans la brume, à mon sens plus nerveuses que mélancoliques (comme on a pu le lire ici ou là) qui les faisaient fonctionner mieux que chez d’autres, et qui ont achevé de me convaincre de venir les écouter interprétées live, ici, ce dimanche à 17h, dans l’obscurité artificiellement enfumée de la scène de la Poudrière.
Et pendant une heure, le concert ne déçoit pas. La performance du groupe russe, au milieu duquel s’agite un immense chanteur blond tenant autant de Morrissey ou d’Hamilton Leithauser (The Walkmen) que de l’anti-héros égaré et maladroit, est rigoureuse et énergique. Sans néanmoins se priver d’élans, qui donnent parfois une célérité nouvelle à certains morceaux, Motorama reproduisent à la lettre et à la note près, dans une alternance quasi mathématique avec les titres de leur précédent LP, les dix tableaux qui composent Calendar. La reproduction de tableaux : il s’agit essentiellement de cela, tant les cinq musiciens, dans leur manière de jouer une new wave somme toute impersonnelle, font penser à d’anciens étudiants en art ayant appris la technique et les motifs des maîtres par cœur afin de pouvoir les reproduire les yeux fermés. Le concert, débuté dans un silence de plomb pesamment étiré, poursuivi avec un inaltérable sérieux, tient de l’expérience artistique. On n’est pas là pour se détendre.
D’ailleurs, alors que l’on approche de la fin du set, le chanteur exécute un geste bien curieux : il retire sa guitare pour l’accrocher par la sangle au pied de micro où il la laisse un instant ainsi suspendue. Elle apparaît alors, là, cette guitare, exposée comme une œuvre d’art, le manche pointé droit vers le clavier Korg, comme une icône, comme la représentation métonymique d’un mythe. À cet instant, la brume se dissipe et les choses s’éclaircissent. Non, on ne pourra reprocher à Motorama de faire de la musique déjà entendue chez d’autres. Car la new new wave des années 2002 à 2012 aura été, au final, à l’instar des peintures classiques figurant à l’infini les scènes de la mythologie antique, une relecture, une reproduction, une éternelle réinterprétation des grandes scènes (the Manchester scene, the Brooklyn scene) de la petite mythologie du rock.
La seule différence entre tous ces groupes d’artistes, c’est l’heur avec lequel leur geste s’exécute. Ce qui frappe d’emblée lors du concert de Motorama, c’est l’absence totale de communication verbale ou visuelle entre ses musiciens. Les yeux fermés, baissés, levés au ciel, rivés sur l’instrument ou perdus dans le vague, chacun se meut nerveusement dans son espace, une bulle de deux mètres de diamètre tout au plus, tout entier abandonné à sa partition. C’est comme si on les avait tous arrachés à leur groupe imaginaire respectif et réunis ici sous la lumière bleutée des projecteurs. Et pourtant, le résultat est d’une parfaite cohérence. Les chansons de Calendar sont à l’image de cette étrange vision, un parfait assemblage d’introductions, de refrains et de ponts, témoignant d’une assez rare science de la liaison. Ce sont des chansons d’une fluidité exemplaire, débarrassées de la moindre note inutile. Des tableaux qui devraient encourager d’autres à revoir leur copie.