Tout a commencé par un coup de fil. Une journée en
apparence comme une autre. Du boulot, une matinée engagée, et tout à coup le
téléphone qui sonne. Une collègue qui ne bossait pas ce jour-là. « David,
c’est Julie. Dis-moi… je suis à la Cité U là… et y a un tournage… et… c’est
possible qu’il y ait Kevin Costner sur le tournage ? Parce que là je vois
un mec, j’ai l’impression que c’est Kevin Costner… ». A partir de ce coup
de fil, la journée n’a plus été la même. Bien sûr que c’était possible, puisque
depuis quelques semaines, Costner tourne à Paris une production Europa Corp, « Three
days to kill », réalisé par McG (oui, je sais, celui de « Charlie et ses Drôles de Dames »…), alors que l'acteur sera en 2013 à l'affiche de "The Man of Steel", un nouveau reboot de Superman, et de "Jack Ryan" de Kenneth Branagh.
Bref il y a eu ce coup de fil qui m’annonçait que Kevin Costner se trouvait en ce moment même à moins de dix minutes à pied du lieu où
je me trouvais. Dix minutes à pied. Voilà des semaines que je sais que Costner
tourne à Paris, des semaines que j’espère tomber sur le tournage du film,
tomber sur lui, j’en avais presque abandonné l’espoir. Je ne sais pas quel âge
vous avez, vous qui lisez ces lignes, je ne sais pas si vous regardiez beaucoup
de films lorsque vous étiez enfant, je ne sais pas si vos parents vous emmenaient
au cinéma… Moi je suis né en 1981. J’ai vu mes premiers films dans la seconde
moitié des années 80. Je suis entré dans l’adolescence au début des années 90.
Mes parents m’emmenaient au cinéma une fois par semaine, et avec ma sœur, nous
regardions nos films préférés en VHS. Et à cette époque, la plus grande star de
cinéma, c’était Kevin Costner. Mais plus important encore, il était le héros de
mon enfance.
Je l’ai vu lutter contre Al Capone dans « Les
Incorruptibles », défier le shérif de Nottingham dans « Robin des
Bois, Prince des Voleurs », embrasser le destin des sioux dans « Danse
avec les Loups », protéger Whitney Houston d’un détraqué dans « Bodyguard ».
Bien sûr avec le recul, tous ses films n’étaient pas extraordinaires, mais
quand j’avais 12 ans, il n’y avait pas un acteur à Hollywood qui lui arrivait à
la cheville. Il était celui dont les filles étaient folles, celui que les
garçons voulaient être. Près de vingt années ont beau avoir passé, vingt autres
peuvent passer encore, Kevin Costner a été mon premier héros hollywoodien, et
quel que soit le cinéphile que je suis devenu aujourd’hui, quel que soit celui
que je serai demain, il restera l’une des pierres angulaires de mon amour du
cinéma.
Au fil des années, même si son aura a clairement diminué
dans le petit carnet du pouvoir hollywoodien, l’étoile de Costner n’a pas cessé
de briller dans mon panthéon personnel, grâce à « Open Range », « Les
bienfaits de la colère » ou « Company men ». Alors quand j’ai
entendu ces mots à l’autre bout du fil (je ne remercierai jamais assez Julie),
quand j’ai appris que Kevin Costner était là, mon souffle s’est arrêté un court
instant, le monde a cessé de tourner, j’ai attrapé ma veste et j’ai détalé vers
le campus de la Cité Universitaire. J’ai monté la passerelle, j’ai traversé le
parc avec cette pointe d’excitation digne des grands rendez-vous. J’ai vu les
camions de tournage, j’ai contourné le bâtiment principal, et je me suis
retrouvé sur le plateau de « Three days to kill » en un rien de
temps.
Des dizaines de figurants, étudiants pour la plupart, se
mettent en place, je me place à une dizaine de mètres de McG, de ses assistants
et opérateurs. Je n’ai pas l’impression de gêner, alors je reste. Une minute à
peine après que je sois arrivé, le réalisateur crie « Action ! »,
comme s’ils n’avaient attendu que moi. Au moment où McG lance le top, la scène
prend vie, des dizaines d’étudiants sortent du bâtiment principal de la Cité U,
d’autres passent dans un sens ou dans l’autre. La caméra est perchée et filme
au loin. Une cinquantaine de mètre nous séparent de l’entrée du bâtiment, et
avec tout ce monde, difficile de déterminer en un clin d’œil quel est le centre
de la séquence.
Au bout de quelques dizaines de secondes pourtant, un
groupe attire mon regard. Un homme, une femme, une jeune fille qui vient
manifestement de sortir du bâtiment. Se pourrait-il que l’homme soit Costner ?
Il est à une cinquantaine de mètres, des étudiants circulent dans tous les
sens, difficile à dire. La femme s’engouffre alors dans un taxi, et après
quelques secondes, McG crie « Cut ! ». Je garde les yeux sur l’homme.
Il se tourne dans ma direction et s’approche avec la jeune fille. Quarante
mètres, trente mètre, vingt mètres. C’est lui. Il se dirige vers une tente, je
décide de me diriger moi aussi vers elle, il entre dedans avec Hailee Steinfeld
(la gamine de « True Grit », qui a grandi) au moment où je me trouve
devant l’autre bout de la tente. Il la traverse et en un instant est là, devant
moi, à un mètre. Ses yeux se plantent dans les miens. Le temps s’arrête et en
une fraction de secondes, je revois sa chevauchée sur le front de la Guerre de
Sécession en ouverture de « Dance avec les loups », je le revois
allongé dans l’herbe, un rayon de soleil dans les yeux, dans « Un monde
parfait », je le revois clamer son plaidoyer final dans « JFK ».
En une seconde je revois toutes ces images du héros de mon enfance alors que
nos regards se croisent, qu’il passe devant moi et disparaît dans un bâtiment
derrière moi.
J’ai un instant effleuré l’idée de lui dire un mot, de
lui serrer la main ou que sais-je. Mais je suis resté planté là, coi, un
sourire collé aux lèvres qui ne me quittera ensuite pas de la journée. Eliot Ness, Tom Farrell, Ray
Kinsella, John Dunbar, Jim Garrison, Butch Haynes… J’ai grandi avec eux, grandi
avec lui. J’en ai vu et croisé des acteurs américains, et si cela m’a
toujours fait plaisir, j’en suis toujours revenu très vite. Mais aujourd’hui,
je n’ai pas croisé un acteur américain. J’ai croisé le héros de mon enfance.