David O’Russell marque généralement des coups gagnants. Chacun de ses projets est accueilli avec enthousiasme et propose des genres différents et des castings très attrayants. Pas étonnant, dès lors, que ses film se retrouvent souvent cités pour amasser un maximum de récompenses. Happiness Therapy ne déroge pas à la règle.
Tout commence bien dans ce métrage qui suit l’air du temps. Avec ce personnage de Pat, dépressif, bipolaire et avec tous les aléas qui vont avec, qui revient dans sa famille après une séparation amoureuse, le cinéaste veut nous ancrer dans une situation somme toute très contemporaine. La crise des trentenaires, la famille économiquement perdue, les relations conflictuelles, pas de doute, nous sommes bien dans l’Amérique du XXIème siècle. David O’Russell aime les personnages meurtris, qui ne font rien comme les autres, qui cherchent à rebondir coûte que coûte et qui ont une certaine soif de revanche sur une vie qui les a détruit. Son récent The Fighter avec Marc Whalberg et Christian Bale ne parlait que de cela. Happiness Therapy s’inscrit dans cette lignée en proposant de très beaux individus de cinéma. Bien écrits et surtout remarquablement interprétés par un Bradley Cooper qui délaisse la coolitude (quoique?) et une Jennifer Lawrence subtile qui sort de l’adolescence, le couple fonctionne à merveille car le spectateur a bien du mal à poser un jugement définitif. La compréhension est clairement à l’ordre du jour. Il les comprend non seulement grâce à leur parcours émotionnel mais également par leur rapport au monde. Si les événements peuvent prendre une dimension parfois lourde, ils prouvent surtout que ce couple est meurtri par un sentiment essentiel, primaire, bouleversant : l’amour. Pas de naïveté, ici, mais juste une volonté au premier degré d’aller au plus profond de l’humain. La démarche qui refuse le cynisme mérite d’être saluée. Parallèlement, Pat et Tiffany sont d’authentiques rebelles. Refusant les diktats de la communauté dont l’ambition semble être une ligne de conduite à ne pas dépasser, ils préfèrent vivre leur vie comme bon leur semblent. Et si cela ne plait pas aux voisins ou à certains proches, ce n’est pas un problème. Il ne faut pas y voir une énonciation d’un individualisme exacerbé qui refuse l’idée même de communauté, au sens américain du terme, mais plutôt la (re)construction d’une identité meurtrie. En ce sens, le métrage détruit les valeurs d’une société américaine qui préfère enterrer les iconoclastes au nom d’une normalité hypocrite et dégueulasse. Chose remarquable, c’est par le corps que ceux deux protagonistes vont pouvoir s’affranchir des carcans à la fois de leur mal-être intime et de la société. Malades de et dans la tête à cause des épreuves vécues, quoi de plus normal que de trouver une activité physique comme remède. Ce comportement est typiquement américain dans sa manière d’appréhender les difficultés. Le mouvement, l’action plus que la réflexion qui ne marche pas d’ailleurs (l’épisode des livres), voilà bien ce qui va sauver leur personnalité et leur identité profonde. Ces deux arcs d’identification permettent de sympathiques moments de comédie loufoque où l’humanité et la rébellion se conjuguent à merveille. La scène du repas est parfaitement symptomatique avec ses répliques qui fussent et son découpage formel pertinent.
Si cette double dimension dans la personnalité des héros est passionnante, Happiness Therapy n’oublie de s’aérer en proposant un arrière-plan qui suscite un bel intérêt. La famille, moteur de leur renouveau respectif, n’est jamais sacrifiée. Pourtant, cette thématique est casse-gueule dans sa représentation mais le réalisateur a le mérite de ne pas tomber dans la célébration toute américaine et un brin réactionnaire d’une structure de base. Certes, il y a de l’amour qui gravite entre les personnages mais son arrivée finale ne peut se faire sans une série d’incompréhensions. La preuve est faite que, de nos jours, ce ciment invétéré n’est pas aussi solide que la théorie veut bien le faire penser. Là-aussi, l’humain est présent grâce à la mère courageuse de Pat et à son père incarné par un Robert De Niro étonnamment sobre et même parfois émouvant. Ce dernier ne sort pas l’attirail à grimaces et à clichés « De Niriens » que l’on a l’habitude de voir depuis, hélas, pas mal de temps. Cela fait réellement plaisir de revoir le grand Bob dans une composition digne. Ces protagonistes ne sont, surtout, pas sacrifiés sur l’autel des héros. Déchus du statut de faire-valoir, ils ont une véritable identité et un impact fort sur le déroulement de l’histoire et de la psychologie de Pat et Tiffany. Les petites évolutions dans leurs comportements et leurs caractères autant que leurs apparitions parfois fugaces sont autant de preuves d’un désir réel d’écriture. Ce point est également valable pour les parents de l’héroïne qui sont moins présents mais dont l’importance est palpable dès leur arrivée à l’écran. Mais plus que cela, c’est l’économique qui prime. Si les relations sont tendues, c’est bien parce qu’un futur doit être construit. Licencié, le père se doit de retrouver une activité décente, activité qu’il rêve mais qu’il ne peut concrétiser. Il se met à jouer alors avec la facilité sous prétexte qu’une bonne étoile peut sauver la structure. Ce n’est, bien évidemment, pas suffisant. Il va falloir non seulement un énorme concours de circonstance mais surtout que certains s’activent concrètement. La « libération » est dans l’action physique, nous l’avons vu, mais aussi psychologique. Si tout le monde faisait marcher ses méninges, tout irait pour le mieux. Voilà en substance la parole du réalisateur. Elle se retrouve donc dans le resserrement des liens distendus mais qui doivent respecter les identités de chacun. Là est le véritable discours, dans ce refus de mettre un cadenas qui enfermerait tout le monde sous l’égide de la toute puissance d’un modèle certes basique mais qui ne doit pas manquer d’évoluer. David O’Russell fait avec Happiness Therapy un film de crise profondément américain mais plus réfléchi qu’il n’y paraît aux premiers abords.
On pourrait alors croire au chef d’oeuvre de la comédie douce-amer. Il n’en est rien. La faute en revient à une construction bancale et archétypale. Passé un segment clippé qui est définitivement une tare dans l’écriture scénaristique, le métrage bascule dans la « vulgaire » comédie romantique. Si tout ceci reste agréable à regarder, on est loin de la pluralité des dimensions que le début (disons, une petite moitié) célébrait. L’anecdotique n’est pas loin de pointer le bout de son nez. Ce sentiment est étrange tant il pouvait y avoir une réelle identité initiale. A ce niveau, le film se fait bouffer par son propre concept. Alors qu’il tirait sur le conformisme, voici qu’Happiness Therapy devient lui-même conformiste. Le cynisme qu’il refusait de peindre dans ses personnages contamine le cinéaste. Quelle est alors la véritable identité du métrage ? On se le demande. Oeuvre sincère ou racoleuse ? Le débat est ouvert. Enervé ou déçu par ce déroulement, c’est à ce moment que le spectateur se rend compte que, mise à part l’écriture, c’est la mise en scène qui vient poser problème. Le charme des acteurs n’opérant plus de la même manière, le scénario se faisant faiblard et flemmard, les défauts formels surgissent rapidement et sautent aux yeux. Les effets de caméra deviennent maniéristes et n’apportent pas grand-chose à l’histoire quand ce ne sont pas les cadrages qui arrivent à friser la trop grande simplicité. Tout se passe dans le champ sans aucune réflexion sur les possibilités immenses d’un réel travail de l’espace filmique. La place du corps et sa capacité à maitriser un lieu est pourtant une idée qui coule de source. Elle n’est pas exploitée. Espace toujours, le réalisateur prouve son incapacité à filmer la banlieue. C’est clairement dommageable car cela ne rend pas grâce aux thématiques sus-mentionnées. Certes, on sent bien que Happiness Therapy est un pur film de personnages mais à trop vouloir se concentrer sur un seul point, David O’Russell en oublie les autres enjeux qui sont pourtant bien présents. On cherche alors à se raccrocher à quelques fulgurances comme ce leitmotiv de la course qui offre une construction viable, et pour une fois réellement réfléchie, à l’ensemble, ce côté optimiste qui peut faire du bien par les temps moroses ou cette utilisation d’une bande originale efficace, agréable et parfois surprenante. Le cinéaste a le goût d’une bonne musique qui innerve l’intégralité du métrage, la chose est actée. Le plaisir pour le spectateur est stimulé à ce niveau, à défaut de celui des images. C’est un moindre mal. C’est, hélas, bien trop peu pour que le film puisse valoir les acclamations des deux mains.
Happiness Therapy reste sympathique mais il aurait mérité une construction plus adéquate avec ses ambitions premières et ce, même si les acteurs donnent le meilleur d’eux mêmes. Une remarque, enfin, sur la traduction française qui frise le non-sens le plus absolue. Déjà remplacer un titre anglais par un autre peut-être plus facile à dire et à comprendre, c’est pas mal mais ne pas comprendre le-dit titre, on n’est pas loin du ridicule.