Magazine Cinéma
Tous les cinéphiles connaissent le Maître du suspense. Tous, ont vu Psychose, sa plus célèbre exposition de ses obsessions de cinéaste. Avec ce biopic à l’élégance non surannée, Sacha Gervasi, auteur du scénario du Terminal de Spielberg, se livre à un exercice périlleux : explorer les faces sombres du réalisateur, et, reconstituer les déboires rencontrés durant le tournage de son adaptation du roman de Robert Bloch. Faux making-of et biopic ludique aux morceaux choisis, Hitchcock brasse donc pas mal de choses : le travail de création du cinéaste, le contexte dans lequel il évoluait (des studios frileux, un comité de censure très strict, des spectateurs exigeants), et s’attache à présenter le réalisateur sous deux visages : prisonnier de son image publique d’un côté, prisonnier d’une vie privée défaillante de l’autre avec un mariage qui bat de l’aile, à la fois source de tourments et insufflateur d’une énergie nécessaire à son art. Gervasi effectue alors une plongée troublante dans la psyché d’Hitchcock, en proie à mille tiraillements intérieurs. S’il n’affiche pas tout du long la subtilité que l’on aurait espéré (le serial killer du livre comme figure-fantôme est d’un symbolisme plutôt lourdaud), il brille par un classicisme assumé, cherchant à se placer au plus près de l’intime. Il y dépouille alors l’artiste et l’homme, le mettant à nu avec un calme désarmant : au fond, Hitchcock aussi n’était qu’un petit garçon en quête de reconnaissance, hanté par des idéaux inaccessibles (cette femme blonde modelable qu’il cherche à (re)trouver chez chacune de ses actrices), et terrifié par l’abandon de façon générale (son épouse, le public, les femmes).
Méconnaissable, Anthony Hopkins - dans la peau du Maître - est à l’image du film : sobre, impeccable…et un peu lisse. Il est dans l’imitation sage et proprette. On ne peut pas forcément lui reprocher ce qui semble constituer l’axe principal du long-métrage : la classe et la retenue. Finalement, dans l’œuvre d’un homme, sur un autre homme, ce sont les femmes qui tirent leurs épingles du jeu : il y a Helen Mirren dans le rôle de l’épouse Alma Reville, figure féminine dans l’ombre, grande dame cachée, aimante, toujours là, debout et digne derrière la grand cinéaste ; il y a Scarlet Johansson (l’actrice Janet Leigh), en symbole des fantasmes non avoués du réalisateur (l’idée d’une femme virginale, icône de papier glacé répondant parfaitement à ses idéaux et exigences d’auteur et d’homme) ; et, enfin, il y a Jessica Biel (Vera Miles), la traitresse, qui s’oppose à Hitch en renonçant à la gloire pour fonder un foyer. Un trio de femmes chez qui le réalisateur trouve et puise ses désirs et contradictions; elles le nourrissent toutes à leur façon : dévotion, opposition, soumission. Gervasi trouve dans ces rapports complexes matière à poser en écho des notions éminemment riches : l’art influencé, inspiré, poursuivi, idéalisé, éclot, au contact des femmes. Ce sont elles qui, in fine, en disent plus que n’importe quelle autre chose sur ce qu’il était : un amoureux du beau, à la poursuite- fictionnelle et réelle- d’un idéal de perfection inatteignable.