J’ai trouvé ce recueil très énigmatique, mais beau, avec une grande économie de moyens dans l’écriture. Ces poèmes semblent faire référence à une histoire que j’ignore, avec les personnages de l’aveugle et du fou, et la présence fréquente des corbeaux, mais je pense que chaque lecteur peut inventer sa propre histoire à partir des images développées par Claude Esteban.
Pour en savoir plus sur ce poète je renvoie à ce lien Esprits nomades
J’ai choisi quelques poèmes parmi ceux qui m’ont le plus touchée – et il y en avait beaucoup mais malheureusement je ne peux pas tous les recopier.
On est petits, disais-tu, si petits que la mort
va nous oublier
Comme tu parlais bien sur la lande, je finissais
par te croire, le fou
j’imaginais la mort comme une mère
qui nous accueille
et qui veut qu’on s’endorme enfin, mais
tu n’étais que le fou
tu confondais merveilleusement
les signes, moi
j’étais sur le bord du vide,
j’attendais.
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Joli compagnon,
le gouffre est profond,
la route incertaine
si tu voulais bien
on pourrait demain
s’arrêter quand même
respirer un peu,
oublier les dieux,
c’est permis, je pense
mais tu continues
avec ta peau nue
et ta faute immense.
****
Comme on aimerait
que tout se concerte
les dieux et les cercles
et chacun le sien
toi dans ta cahute,
moi sous le soleil
pas de luttes vaines,
l’abîme pareil
fais-toi philosophe,
mon noble cousin
si tu ne crois rien
la folie te guette.
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Et peut-être que tout était écrit dans le livre
mais le livre s’est perdu
ou quelqu’un l’a jeté dans les ronces
sans le lire
n’importe, ce qui fut écrit
demeure, même
obscur, un autre qui n’a pas vécu
tout cela
et sans connaître la langue du livre, comprendra
chaque mot
et quand il aura lu, quelque chose
de nous se lèvera
un souffle, une sorte de sourire entre les pierres.
****
Dans la mémoire des autres
nos blessures
guérissent toujours
****
Il est possible que quelqu’un
crie
et son délire me traverse, il est possible
que quelqu’un ait soif
et c’est ma langue qui se déchire, il
est possible
que quelqu’un attende indéfiniment le soleil
et mes pupilles se ternissent.
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Qu’elle soit la part la plus modeste
de chaque vie
qu’on l’accueille
au festin, mais à la dernière place
qu’elle supporte
de rester là sans qu’on lui parle
et que personne
ne l’écoute quand elle dira
je suis celle
qui veut toujours
telles étaient les paroles du vieil homme
et nous ne savions pas
s’il dissertait sur la mort ou sur
l’âme, ou simplement
parce qu’il était sage,
sur la douleur.
Morceaux de ciel, presque rien était paru en 2001 aux éditions nrf Gallimard.