Cher Chat,
Je m’appelle Sophie et je suis facebookolique. Je consomme depuis le 11 novembre 2008. Je suis à jeun depuis deux heures. Je ne lutte pas
contre cette accoutumance. Bien au contraire, je trafique moi-même sur ce réseau afin d’encourager la dépendance de mes amis. Et vous, le Chat, à quel point avez-vous la piqure et surtout quel type de dealer êtes-vous ? Car si beaucoup se contentent de consommer sur Facebook, nous sommes également nombreux à partager volontiers notre production. Et voyez-vous, ce qui est assez stupéfiant, c’est que tous, nous pensons maîtriser l’art d’en distiller de la bonne sans imaginer que nous puissions parfois être toxiques. Avouez pourtant, le Chat, qu’à répétition, la substance de certains statuts peut franchement devenir illicite et provoquer une overdose. N’hallucinez-vous pas parfois devant la constance de certains à non seulement servir les mêmes shoots, mais également à augmenter les doses, comme s’ils pensaient que l’on pouvait s’accoutumer et avoir besoin de plus pour ressentir les mêmes effets ? J’ai beau savoir que la qualité vient pourtant avec la modération, je ne suis pas moins héroïne qu’une autre et je m’applique, moi aussi, très souvent à cultiver mes redondances. Si quelques-uns de mes amis ont fini par opter pour un sevrage radical de mes statuts, la grande majorité supporte sans moufter mes surdoses virtuelles comme je supporte les leurs.Cependant, les prises jusqu’à ce jour étaient assez espacées pour que la drogue reste douce et euphorisante. Une interruption de ma vie active m’a donc permis de pousser un peu plus loin l’expérience et j’ai pu m’injecter le stimulant Facebook en libération prolongée. Junkgeek attitude !!! C’est donc la peau encore bleutée et la pupille dilatée que je partage aujourd’hui avec vous, cher Chat, mon tout récent trip.
Cyberpression sans doute. Mon petit monde virtuel est tout à coup devenu animal. Je me suis tout d’abord retrouvée en pleine Facebrousse. Là, tapie, derrière chaque statut, une bête. Pétard ! Le sédatif est puissant. En haut de mon propre fil d’actualité, on me demande : Quoi de neuf, Sophie la girafe ? Shit ! Je suis devenue herbivore, et l’herbe doit être rudement bonne puisque, du haut de mon long cou, c’est toute une jungle qui soudainement apparaît et se fait entendre. « Mouhahaha, mdrrr, hi hi hi hi, wooo, maaah, pouah, lolll. » Attention, le Chat ! C’est le cri de la femelle couguar en rut. En voie de recrudescence hormonale, elle balade sa maturité décomplexée sur le territoire des lionceaux en poussant et en répétant ces onomatopées dès qu’il y a place aux commentaires. Facebrousse est indéniablement un terrain de chasse facile pour les prédateurs en tout genre. Sur son mur, le serpent par contre est immobile. Il n’agite jamais ses sonnettes, n’affiche pas de statuts, n’en commente aucun. Si bien qu’on finit par l’oublier. Personne ne pèse sur le python, mais le python sait tout. Il observe tout. Le pachyderme, quant à lui, tourne inlassablement sa mémoire d’éléphant vers le passé et encombre le fil de nos actualités de vieux tubes des années 80, de vieilles photos jaunies ou de toute autre collection inépuisable d’hier.
Je persiste à peigner la girafe sur Facebook, et l’hallucination se poursuit. C’est au tour des animaux de la ferme de se pointer derrière les statuts. Le paon congestionne l’espace virtuel d’une nouvelle photo quotidienne de son propre profil qu’il autolike sans la moindre fausse modestie. La marmotte tire les statuts climatiques plus vite que son ombre et embarrasse le cyberespace de bulletins météo. La grenouille de bénitier égraine ses chapelets bien pensants sur fond de soleil couchant. L’âne veut avoir le dernier mot. Chaque statut est un prétexte qu’il n’en finit plus d’étirer en commentaires têtus. On préfèrerait parfois la politique de l’autruche, car tout militant enthousiaste a tendance à embouteiller le trafic virtuel. La tortue commente toujours sur le tard et perturbe la compréhension des discussions en relançant l’actualité de vieux statuts. Le chien ne commente pas, parce qu’il ne lit pas, mais, fidèle, il aime toujours. Le mouton suit la tendance, et comme la tendance se maintient, un milliard de moutons se content toujours sur Facebook.Alors, qu’est-ce qui peut bien nous pousser à tenir autant de délires sur ce réseau social, jusqu’à penser parfois notre vie en terme de statuts ? Pourquoi y fait-on fi de cette pudeur qui est pourtant notre garde-fou dans la vraie vie ? Pourquoi prendre le risque d’être la face de bouc émissaire d’un autre ?
Je donne ma langue au t’chat.
Sophie, dindon de la Farcebook.