America :
importance du tissage, tressage sous des formes diverses d’objets :
paniers, tapis, tissus, vêtements… Un livre comme une trame de motifs que le
poète, tisserand ou vannier, entrecroise et fait jouer les uns par rapport aux autres.
America est moins un livre-continent
qu’un livre-delta.
James s’attaque à un gros morceau, mais sans du tout le parti-pris épique de
Kazan ou Williams. Il ne s’agit pas d’embrasser, on reste avec le regard d’un
passant, mais pas d’un touriste. James a résidé assez longtemps là-bas pour
être comme du pays, tout en restant étranger avec le choix d’aller vers
l’Amérique profonde : petites villes, petites gens, en privilégiant un
large sud. Mais peu de présence des noirs dans ce livre, alors que les indiens
y ont une place centrale.
James est dans l’ouvert d’écrire, et la mesure. Ainsi pour les listes qui
émaillent America, comme des
ponctuations objectivistes ou d’à-plats à partir desquels le relief du poème
suivant se fait mieux sentir. Est-ce que cela rejoindrait ce que j’avais tenté
avec Trop, dans Peau ? Une façon de ratiboiser par moments pour faire entendre
plus clair ce qu’il reste de lyrisme avant / après… Pas dit que James ait
travaillé ainsi ; c’est peut-être plutôt un côté vériste, je ne sais pas.
Mais l’effet est peut-être analogue.
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Ponge / Sacré, à propos de l’objet. James ne rabat pas l’objet vers le poème
mais toujours vers la vie, ou sa mémoire. L’objet ne vaut pas en soi mais comme
trace d’un vécu, témoignage d’un vivant, d’une culture disparue ou en voie
d’extinction. La valeur marchande de l’objet n’intéresse pas, c’est son
potentiel de mémoire qui retient. En ce sens, James est sans doute plus proche
de Follain que de Ponge.
James et le restaurant : un lieu de vie qu’il semble affectionner. Mais
pas de gourmandise chez lui, pas d’éloge de tel plat ou de recherche de telle
ou telle recette. Plaisir de manger, certes, mais plus encore de se retrouver
en arrêt dans un lieu de passage. Il signale parfois le plat du jour, mais ne
fait guère de remarques gastronomiques. Rien sur le vin.
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J’aime cette proximité entre un homme et un livre, pas seulement parce que
j’entends la voix de James en lisant ces pages. Je vois aussi son sourire, ses
yeux amusés, ou interrogateurs, ou énervés, derrière les lunettes. Je le vois
être-écrire. Cela signe le livre d’un ami.
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Je me suis roulé une gauloise et versé un verre de muscadet. C’est tranquille.
Sophie est sortie se promener, comme d’habitude. Je devrais l’accompagner de
temps en temps. Mais quand il est possible, et même plaisant, d’être attablé au
travail, je ressens comme une mauvaise conscience de sortir. Cet après-midi,
j’aurai fait trois ou quatre fois le tour du jardin, cela suffit bien ;
d’autant qu’ici, je suis dans la véranda comme dehors, à l’air libre.
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Encore un beau matin, clair et froid. J’aime vraiment cette lumière nette,
franche. Elle ne me fait pas penser plus vite, mais comme plus clair.
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Nuit tombée. Je pense que ma note sur Venaille est finie. Ce livre est risqué
autant que généreux : il y a « ceux qui y sont » et « ceux
qui n’y sont pas ». Comme ces derniers sont les plus nombreux, cela fait
autant de déçus, sinon d’ennemis. Sans doute qu’à son âge, et vu son statut,
Venaille s’en fiche. Je ne sais pas comment il a connu mon boulot, je ne lui ai
jamais envoyé un livre : peut-être par Jean-Patrice ou Fabienne…
Le titre du livre répond clairement et polémiquement au Salut les anciens/Salut les modernes, de Prigent. Mais à part ce
clin d’œil, il n’y a pas de polémique dans le livre. La notion de lyrisme est
avancée avec précaution, ce n’est pas un drapeau brandi. Pourtant, Venaille est
un grand lyrique, tout en revendiquant la diversité formelle de son écriture.
D’où son choix de placer Tragique à
la suite de la magnifique Descente de l’Escaut,
en Poésie-Gallimard ?
épisodes 1, 2,
3,
4,
5,
6,
7,
8,
9,
10,
11,
12,
13,
14,
15,
16,
17
suite lundi 18 février 2013
©Antoine_Emaz