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Billet de Milan, par Clémence Tombereau…

Publié le 16 février 2013 par Chatquilouche @chatquilouche

L’obscure pluie grise les vitres – les fenêtres pleurent de leurs yeux translucides.  À travers le verre, parasité par les gouttes, le regard cherche à Billet de Milan, par Clémence Tombereau…s’évader.  Lentement il défait ses chaines ; les pensées lourdes, poussiéreuses, inutiles glissent le long des joues.  La rêverie se fait lascive, elle ondoie sur les nuées, se mouille, rejoint un horizon caché par les immeubles.  La buée brouille la vue – la vue n’a plus besoin d’être, ce sont les yeux intérieurs qui volent, agitant mollement leurs ailes fatiguées.
La ville s’agite.  Ronronnement rassurant.  Respiration saccadée.  Souffle ponctué par les klaxons, les ambulances, les bruits de vie.  Au-delà des toits, au-delà du gris, le regard s’offre une nouvelle existence.  Il est plume.  Il est vent.  Il flotte dans les limbes, y nage avec aisance.  Il voltige sous l’orage, il s’en fout, il ne craint ni la foudre ni la nuit.

Par la vitre ton regard se casse.  Le monde autour palpite – plus même que ton cœur.  Regard abandonné au gré de l’invisible.  Le monde autour palpite – son cœur est chaud, gonflé et sourd.  Le monde bat.  Tu es là – absent pourtant.  Le monde n’a pas de prise sur toi.  Il essaie, de ses mains solides, de t’agripper, mais tu t’effaces, tu t’échappes.  Le monde tourne et tu as l’immobilité d’une statue antique.  Ton regard est de pierre, insensible au tourbillon.  Laisse faire.  Laisse couler les gouttes.  Tu es l’instant – en dehors, au-dedans.

Piazza Navona

Billet de Milan, par Clémence Tombereau…

Elle chevauche un serpent de mer – blanc comme elle, gueule béante crachant de l’eau qui se voudrait du sang, agonisant.  La tête penchée vers lui, elle sourit de sa prise cependant que ses mains l’écrasent, le contraignent à se rendre.  Tout en elle est victoire : son demi-sourire, sa chevelure épaisse – blanche – ses seins de marbre dur, ses hanches pleines de force.  Elle est la grâce et la violence.

Elle offre à tous les regards étrangers son corps marmoréen, sans pudeur et sans crainte, toute à son combat, indifférente au reste.  On la regarde et on la craint – on la désire aussi.

Éternellement figée dans sa pose triomphante, éternellement farouche, elle défie les siècles, ignore la vieillesse, méprise les passants.  Neptune l’accompagne ; des anges potelés et des monstres marins lui servent d’amis – elle les ignore.
Elle passera sa vie à tuer le serpent, loin des choses du monde, dans l’eau, sur la Piazza Navona, et la vie alentour continuera sa course, à laquelle, méprisante, jamais elle ne prend part.

Notice biographique

Billet de Milan, par Clémence Tombereau…
Clémence Tombereau est née  à Nîmes en 1978. Après des études de lettres classiques, elle a enseigné le français en lycée pendant cinq ans.  Elle vit actuellement à Milan, en Italie.  Finaliste du prix Hemingway en 2005, lauréate du concours littéraire organisé par le blogue Vivre à Porto, elle a contribué à la revue littéraire Rouge-déclic (numéro2) et elle nourrit régulièrement un blogue que vous que vous auriez intérêt à visiter : http://clemencedumper.blogspot.com/  (Clémence Tombereau vient de publier aux Éditions du Chat Qui Louche Fragments, un recueil de billets que vous pouvez vous procurer en version numérique pour un prix plus que modique à l’adresse suivante : http://www.editionslechatquilouche.com/)

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)

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