Récemment, alors que je devais interpréter en langue des signes française le journal de 20h sur LCI, je demandais via Twitter si quelqu’un connaissait le signe pour David Beckham.
En effet, pour l’interprète, l’irruption de noms de famille dans les discours qu’il traduit vers la LSF est souvent synonyme de décrochage, de perte de temps, de dépense d’énergie inutile.
C’est pourquoi, pour traduire en langue des signes le nom d’une personne nous utilisons différentes stratégies.
La première, la plus évidente et la plus fatigante, qui s’apparente à du transcodage, est simplement de dactylologier (ou épeler) le nom. Mais c’est long, fastidieux et la réception (compréhension) est souvent difficile surtout quand l’interprète est en tout petit au bas de l’écran de télévision ou bien si durant une conférence, la personne sourde est assise en haut de l’amphithéâtre.
Par exemple si pendant un journal télévisé je dois épeler Manuel Valls tout va bien (5 lettres) en revanche s’il s’agit de Pierre Moscovici ou pire de Najat Vallaud-Belkacem l’exercice se corse et mes doigts risquent rapidement de s’emmêler. Sans parler des célébrités étrangères qui ont toutes les chances de voir l’orthographe de leur nom écorché.
Seconde possibilité, remplacer le nom par le titre ou la fonction de la personne. On peut alors aisément remplacer Pierre Moscovici par [Ministre des finances] ou Najat Vallaud-Belkacem par [Ministre des droits de la femme].
L’interprète traduisant du sens, ce dernier est respecté puisque ces personnes sont mentionnées pour leur action (ou inaction) en tant que ministre, président de la République, maire…
Malheureusement si je choisis l’option 2 pour traduire David Beckham cela donne « joueur de football britannique » et c’est un peu vague. Mais si j’ajoute « récemment embauché au PSG pour une durée de 5 mois avec le maillot numéro 32″ je « sur-traduis » et c’est beaucoup trop long.
Heureusement il existe une troisième possibilité ce qu’ Yves Delaporte dans son ouvrage « Les Sourds c’est comme ça », appelle les « noms-signés ».
Ainsi qu’une personne (entendante) fréquente régulièrement la communauté sourde ou bien que la communauté sourde parle fréquemment d’une personnalité (homme/femme politique, artiste, sportif, intellectuel, personnage historique…), elle se voit attribuer par cette communauté un « nom-signé ».
Bien sur, chaque sourd a, en plus de son nom/prénom d’état-civil, son propre « nom-signé ».
Ces « noms-signés » se construisent de bien des manières.
Le premier ensemble de « noms-signés » est à la fois le plus vaste et le plus hétéroclite : ils font référence à une caractéristique de l’individu nommé.
C’est d’abord l’aspect physique (incluant la coiffure, le vêtement et ses accessoires) : [yeux en amande], [coupe de cheveux en brosse], [cicatrice sur le front], [pendentif dans le cou], [avant-bras poilu], [longues boucles d'oreille], [grosse joue], [baraqué] …
Exemple : pour désigner Nicolas Sarkozy on signera [sourcil en pointe].
On rencontre aussi quelques métaphores comme [girafe] pour une femme de haute taille, [nounours] pour un garçon rondouillard.
Viennent ensuite les « noms-signés » ayant un rapport avec une habitude, avec le caractère : [sans cesse remue ses pieds], [timide], [roule en moto], [rêveur], [caresse ses cheveux], [rigole tout le temps]…
Logiquement pour Napoléon, on glissera sa main sur le ventre.
Ce peut être aussi une qualité comme le « nom-signe » de Zidane illustrant sa capacité à être partout sur le terrain de football.
On peut aussi trouver des « noms-signés » se référant à un événement, une anecdote, le meilleur exemple étant Jésus-Christ qu’on désigne par les trous dans ses paumes de main suite à sa crucifixion.
Cliquez sur l’image pour voir la vidéo du signe Jésus-Christ en LSF
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Enfin certains « noms-signés » rappellent l’origine géographique de la personne [asiatique] ou sa profession [artiste peintre].
De part leur acuité visuelle les sourds repèrent immédiatement le trait saillant d’un visage, le détail qui introduit une disharmonie, l’originalité d’un comportement. Ainsi on peut remarquer que les noms attribués aux personnages publics mettent souvent l’accent sur un trait que l’on retrouve dans les dessins satiriques de nos quotidiens comme ceux de Plantu dans le journal Le Monde. Par exemple [nez pointu] pour Jacques Chirac, [poches sous les yeux] pour Michel Rocard et [goitre proéminent] pour Edouard Balladur.
Cependant, ces noms, s’ils fonctionnent objectivement sur le mode de la caricature, ne traduisent en général aucune intention satirique et n’ont pas de connotation péjorative. Il ne sont pas là pour se moquer, rabaisser critiquer ou blesser.
C’est en particulier le cas de ceux qui peuvent surprendre par leur extrême franchise, voire leur crudité comme [gros nez], [yeux de travers] [dent du bonheur]… Ils constatent simplement ce qui est, et permettent un repérage commode. Et ne croyez pas que Gérard Depardieu s’est enfui en Belgique vexé d’apprendre qu’en LSF il était désigné par [nez long et bosselé] !
Néanmoins reconnaissons que parfois l’attribution d’un « nom-signé » peut être taquin. Deux exemples : François Mitterrand est désigné par le signe vampire en référence à ses incisives qu’il a fait limer à la fin des années 80 et idem pour Ségolène Royal dont le premier « nom-signé » [royal] a été remplacé par [dents de devant rabotées] suite à ses opérations de chirurgie esthétique avant l’élection présidentielle de 2007.
cliquez sur l’image pour voir la vidéo du signe en LSF de Ségolène Royal
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La seconde catégorie de « noms-signés » regroupe ceux qui ne sont rien d’autre que la traduction en LSF d’un patronyme ou d’un prénom français, lorsqu’ils se trouvent avoir une signification. Mme Leblanc pourra être désignée par le signe [blanc], Claire par le signe [claire]…
C’est ainsi qu’en jouant sur l’homophonie que le signe pour Jack Lang est [langue], pour Bernard Tapie [tapis] et pour Alain Juppé [jupe].
Je vous laisse imaginer quel pourrait être le « nom-signé » de Néron !
Enfin il arrive que pour une même personne plusieurs signes entrent en concurrence. C’est le cas par exemple pour François Hollande désigné soit par le signe du pays [Hollande] soit par les grains de beauté sur sa joue :
Il suffit de le savoir pour ne pas être surpris et commettre un contre-sens en traduisant par erreur que Valérie Trierweiler est amoureuse de la Hollande et non du président de la République !
Pour le jeune sourd le premier lieu où il peut recevoir un « nom-signé » est sa famille ou s’il nait dans une famille d’entendants l’école (ou l’internat).
Pour les entendants c’est beaucoup plus aléatoire. Le professeur de cours de LSF, le collègue sourd avec qui on travaille, son voisin de palier, le copain de son fils…
Le processus d’attribution n’est pas formalisé. A un moment, un ou plusieurs sourds vont remarquer que tel signe correspond bien à la personne et si ce choix est pertinent il se diffusera rapidement sur l’ensemble du territoire notamment grâce aux interprètes ou au site internet Websourd et les traductions en LSF des dépêches de l’AFP qu’il propose chaque jour.
Ce peut être dans les banales interactions de la vie quotidienne qu’un « nom-signé » trouve son origine. Lorsque dans une conversation on évoque une personne qui ne possède pas encore de « nom-signé » on décrit en LSF les différents éléments de son aspect physique, à quoi peuvent éventuellement venir s’ajouter d’autres éléments d’information : maigre + petit + raie des cheveux sur le coté droit + mal rasé + toujours avec une écharpe rouge + comédien. Cette succession de signes constitue une source potentielle de « noms-signés ». Par la suite, la série se réduira à un ou deux éléments, variant selon les interlocuteurs, jusqu’à ce qu’un consensus finisse par s’établir sur un élément unique, qui sera désormais la manière normale, stéréotypée, de désigner cette personne. Evidemment de nombreuses personnes ont le même signe tout comme il existe de nombreux Stéphane, Béatrice, Françoise, Alexandre, Frédéric ou Martine.
Pour les personnages historiques c’est avant tout un aspect physique provenant d’un tableau, d’une sculpture d’une photo qui sera la source d’inspiration : Molière et sa longue perruque, César et sa couronne de lauriers, Léonard de Vinci et sa barbe fournie…
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Evidemment, personne n’est habilité à s’attribuer à soi-même un « nom-signé ».
Souvent au cours de la vie le nom perdra toute signification apparente, le petit garçon chétif étant devenu un joueur de rugby imposant, le chignon de la jeune fille blonde s’étant transformé en nattes…
Néanmoins il reste généralement immuable et on garde ce « nom-signé » pour la vie. Le mien par exemple est l’index et le majeur glissant sur mon sourcil signifiant par là que j’ai des sourcils épais.
Et si d’aventure il me prenait l’envie de les épiler cela ne modifierait en rien mon signe !!!
Bien sûr personne ne connait tout les « noms-signés » mais le processus d’apprentissage est le même que pour les langues vocales. Si on vous parle une première fois de la comtesse Noémie du Fermoir de Monsac vous allez froncer les sourcils et vous enquérir pour savoir qui est cette personne. Alors après une courte description vous pourrez lier le nom au visage de la personne. Il en va de même pour les langues des signes. Si un sourd vous signe en parlant d’une personne [chapeau pointu] vous l’interromprez une première fois en lui demandant de qui il s’agit et ainsi les fois suivantes vous saurez placer le signe sur le bon visage.
Néanmoins, on attend des interprètes F/LSF qu’ils connaissent les signes des personnes célèbres (notamment celles issues de la communauté sourde) et surtout, si je dois traduire un meeting politique je me renseigne avant sur les noms que l’orateur risque de citer (idem pour un cours à Science Po sur l’histoire de la 5ème République).
Une dernière chose : je ne sais toujours pas quel est le « nom-signé » de David Beckham alors si l’un ou l’une d’entre vous le connait, merci de me le décrire dans les commentaires.