« Quelquefois je ne puis comprendre comment un autre peut l’aimer, ose l’aimer, quand je l’aime si uniquement, si profondément, si pleinement ; quand je ne connais rien, ne sais rien, n’ai rien qu’elle... »
Les souffrances du jeune Werther
est probablement la plus belle histoire d’amour écrite en langue allemande, aussi tragique et violente soit-elle. Dans le décor idyllique d’un petit village bourgeois, le jeune héros éponyme s’éprend d’une fille promise à un autre que lui, et le déroulement de cette histoire d’amour "triangulaire" est livré dans une longue correspondance qu’il entretient avec un ami. Composé essentiellement sous forme épistolaire, le récit se focalise principalement sur le point de vue du narrateur – en l'occurrence Werther – malgré l’intrusion d’un narrateur second dans les dernières pages du texte qui se présente comme l’éditeur qui a recueilli l’histoire tragique de Werther. Cette structure épistolaire plus intimiste a l’avantage d’offrir une proximité entre le narrateur et le lecteur et de permettre une meilleure identification aux sentiments qu’éprouve le personnage – ce qui pourrait en partie expliquer l’engouement extraordinaire qu’a suscité ce livre à sa sortie.
Récit profondément émouvant grâce à l’écriture à la fois tendre et passionnée du héros, qui se lance sans cesse dans des longues exaltations mélancoliques (fastidieuses pour certains), il garde néanmoins un caractère transgressif à bien des égards. Il aborde en effet des thèmes tabous liés à la passion destructrice d’un jeune homme envers une femme fiancée (puis mariée) mais contient surtout une apologie du suicide. Celui-ci est décrit, non pas comme une marque de faiblesse et de lâcheté devant l’adversité, mais un acte inévitable dont on est pas responsable lorsque « la nature ne trouve aucune issue pour sortir du labyrinthe des forces déréglées et contradictoires... » Idéologie immorale à l’époque, le narrateur finit néanmoins par l'appliquer à sa propre vie – déclenchant ensuite par phénomène de contagion une vague de suicides auprès des lecteurs et prouvant une fois de plus l’impact immense qu’une fiction peut avoir dans la vie réelle.
L’influence de ce livre s’étend bien plus au delà des lecteurs. Nous ne pouvons pas parler de ce roman sans le situer dans la littérature mondiale, car il peut être considéré (à juste titre) comme le livre qui a fondé le Romantisme, si nous pouvons l’entendre dans le sens médiéval d’un récit chevaleresque. Werther a en effet tous les traits d’un jeune chevalier courtois médiéval, en proie à une passion dévorante face à une femme insaisissable et devient donc le premier modèle du héros romantique de l’histoire littéraire moderne. Soulignons également le rôle prépondérant de la nature dans ce texte : Miroir de l’intériorité de l’âme, elle est tantôt l’alliée du héros, tantôt un « monstre » lorsque qu’advient la désillusion, notion que l’on retrouve dans presque tous les grands textes romantiques, comme La chartreuse de Parme de Stendhal pour ne citer que celui-là. Enfin, l’insistance sur l’intériorité du personnage, l’idéalisation du sentiment amoureux, l’omniprésence de la mélancolie, de même que les nombreuses allusions bibliques et panthéistes et pour finir : la fin transcendante du héros – sont autant d’éléments qui font de ce livre l’un des plus grands textes romantiques de tous les temps.