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On l'attendait de pied ferme, Kendrick. L'exercice du live est périlleux surtout pour un rappeur mais il est toujours terriblement révélateur. K. Dot est sans conteste la sensation Hip Hop de l'année 2012 (je ne vais pas vous refaire ma chronique de "Good Kid, M.a.a.d. City") et c'était un évènement en soi de le voir débarquer à Marseille. Malheureusement, la fête s'est révélée être un fiasco intégral.
Mettons les choses au clair tout de suite, Kendrick Lamar est complètement nul sur scène. Ne serait-ce que techniquement, il n'a aucun souffle, aucune présence, aucun charisme. Il est présent sans l'être, il ne sait ni bouger ni chauffer une salle (sauf quand il fait scander le mot "nigga" à la foule, petit malaise). Plus dérangeant encore, il semble profondément s'ennuyer au milieu de sa musique, déjà blasé par ses sons. Il fait le taf, ne prends aucun plaisir.
Je vais comparer l'incomparable mais quatre jours plus tôt, j'ai assisté à un set de DJ Premier. Il n'a passé que des vieux classiques (ses productions et d'autres trucs) mais était au taquet tout le long et pourtant, on peut dire que Primo a joué Nas Is Like quelques fois de plus que Kendrick "Money Trees"... En mettant les deux lives cote à cote, il est étonnant de voir où se trouvent l'énergie, la passion et la fougue entre le MC de 25 ans et le DJ de 47...
Outre tout cela, j'ai aussi passé une soirée exécrable parce qu'au milieu d'un public détestable. Si ce concert a été décalé de deux semaines, je crois que c'était pour coller avec les vacances scolaires, en fait. Cerné par des petits lycéens hipsters, je me demandais vraiment ce que je foutais là. En première partie, on retrouvait DJ Djel (Fonky Family) qui enchaînait les classiques West Coast. Beaucoup de ces teens connaissaient How We Do mais à peu près personne ne semblait très inspiré par Doggy Dogg World...
Je suis probablement dépassé, ahuri et trop dogmatique, mais je ne supporte pas qu'on puisse se revendiquer fan d'un gars comme Kendrick Lamar sans pour autant saisir ses influences et les problématiques de la musique West Coast. Parmi tous ces gamins (dont une part non-négligeable portaient des vêtements griffés NYC ou Brooklyn, ce qui dit beaucoup de chose sur leur ignorance), combien ont déjà entendu parler de DJ Quik ? Du Dogg Pound ? De MC Eiht (dont le couplet a été squizzé lors de "M.a.a.d. City", d'ailleurs) ? Ou ne serait-ce que des Pyrus et des Crips dont parle Kendrick ?
Tous ces liseurs de Pitchfork ont bien évidemment le droit d'être là mais j'ai beaucoup de mal à ne pas me sentir complètement baisé. Je ressens ce curieux sentiment de me faire exproprier ma musique, celle que j'écoute depuis des années. Bien sur que le Rap a changé, bien sur qu'on est plus en 1997, bien sur, bien sur, bien sur. Je continue pourtant de penser que les symboles ont du sens et que les symboles doivent être respectés. Qu'en écoutant un artiste se revendiquant de Compton, la moindre des choses serait de se pencher sur ce qu'une telle proclamation peut signifier. Parce que c'est une condition sine qua non pour obtenir les clés de "Good Kid, M.a.a.d. City".
J'ai probablement trop cru au phénomène Kendrick, en son aura complètement illusoire de héraut du Rap West Coast. Ce dernier étant complètement absent hier soir, alors qu'il est censé être au centre de sa musique. KL est bien un rappeur contemporain, sans véritable attache musicale (quoi qu'il en dise) ni passion du MCeeing. Un rappeur de Packard Bell Music, pour reprendre une expression de DJ Premier.
Evidemment que ma colère est disproportionnée que tout ça n'est que du divertissement et que si je kiffe pas, j'écoute pas et puis c'est tout. Puis après tout, je ne suis qu'un blanc à lunettes qui fait des pathétiques W avec ses doigts et ne foutra jamais les pieds à Compton, ma légitimité est assez limitée. Mais mon rapport à la musique, à celle-ci en particulier est trop intime, trop passionnel et remonte à trop loin pour que je ne prenne pas ça au sérieux. J'ai trop vécu au son des MCs californiens pour rester de marbre quand on piétine leur héritage. Kendrick n'est pas le petit prince du Rap de Compton mais plutôt son fils bâtard et "Good Kid, M.a.a.d. City" m’apparaît finalement ce matin comme l'oraison funèbre d'une musique qui a été et qui ne sera plus jamais.
Un petit précis du genre d'ambiances que j'aurais voulu humer hier soir...