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Les Mille et une nuits, à l’Institut du monde arabe

Publié le 19 février 2013 par Carnetauxpetiteschoses @O_petiteschoses

IMG_20130219_173605Jusqu’au 28 avril, accordez-vous un moment d’évasion, dans un palais lointain au soleil. En apparence, vous êtes montés au premier étage de l’Institut du Monde Arabe, mais finalement vous vous retrouvez immergés en Orient. Cette exposition très complète consacrée aux « Mille et Une Nuits », fait ainsi état de la somme qu’elle représente, incluant aussi des contes rajoutés, comme Ali Baba, Aladin, ou Sindbad le marin. Elle est agrémentée d’une scénographie intelligente, qui enjolive les différentes parties de la présentation et qui valorise les œuvres exposées.

Accessible à plusieurs niveaux, l’exposition peut être appréhendée par les amateurs de contes, les enfants, les amoureux des textes, les historiens, et même ceux qui n’ont pas beaucoup l’habitude des expositions. Les dispositifs interactifs mis en place permettent de diversifier la scénographie, et d’aborder autrement les spectateurs. Les modes d’accès à l’information sont divers et cela permet de moduler son attention.

 Le parcours du texte

L'empereur mogol Muhammad Shah voyageant sur un éléphant, Hunhar, Inde, vers 1750 © Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris

Le texte des « Milles et une nuits » a subi une véritable aventure, au gré des époques, des auteurs et des sociétés, il a connu des ajouts et des suppressions, des nuances et des détails. La première salle de l’exposition scénarise historiquement et géographiquement le processus d’élaboration du livre, du 9ème siècle à de nos jours. Les premiers contes étaient destinés à des rois, les manuscrits perdus, il n’est resté que des écrits qui datent du 15ème au 19ème siècle. Le recueil s’est construit sur une base indo-persanne et il a été enrichit de récits autres, provenant d’Egypte ou de Bagdad.  A l’époque le livre persan relevait d’un genre appelé le « miroir des princes », c’est-à-dire à portée morale ou épique et écrits de manière à convenir à l’aristocratie.
Nous devons la première version française à Antoine Galland, qui l’édite entre 1704 et 1715. Son accueil est incroyable et son succès alimente toute l’influence orientale dans les lettres et les arts. Antoine Galland a modifié lui aussi le récit, en y adjoignant des contes folkloriques (dont Ali Baba et Aladin) et en supprimant les passages pouvant poser problème.
Le livre connu aussi beaucoup de copies, d’impostures, mais finalement en 1814 à Calcutta, il arrive à une forme réduite (200 nuits) travaillée directement de l’arabe. La première édition dans un pays arabe est faite en 1835 au Caire, mais elle fait un scandale, jugée trop immorale et anti-islamique. La traduction en France date de 1805, elle est dédiée à Mallarmé et elle établie par Joseph Charles Madrus. Puis entre 2005 et 2007, le professeur André Miquel et l’écrivain algérien Jamal Eddine Bencheikh mettent au point une version qui est aujourd’hui la référence. Il apparait alors que les contes tiennent parfois des propos sensuels qui ont pu suivant les années, les cultures ou les pays, paraitre clairement immoraux.

 Le statut du texte et la conteuse

Il n’en demeure pas moins que le texte a un statut particulier. Somme de contes autrement dit des histoires héritées de tradition orale, qui sont rapportés eux-mêmes par une conteuse. Certains voient alors en Shahrâzâd, une figure idéale du conteur.

Son histoire nous la connaissons dans les grandes lignes, mais il est bon de la rappeler pour en mesurer tous les aspects.

credits-IMA
Un souverain sassanide qui règne sur l’Inde et la Chine a deux fils. Son ainé hérite du royaume, tandis que le plus jeune reçoit Samarkand en Iran. Shâhriyâr le plus grand, s’ennuie de son frère et le réclame. Shâh Zâman se met alors en route, puis fait marche arrière, et revient chez lui en s’apercevant qu’il a oublié quelque chose. Il trouve alors sa femme enlacée avec un esclave noir. Il les décapite tous les deux, et s’en va voir son frère fou de chagrin. Ce dernier, sur les conseils de son jeune frère, revient un jour de la chasse plus tôt, et rencontre la même situation avec son épouse. Aussi il massacre sa femme, ses servantes et ses esclaves et jure d’épouser chaque jour une nouvelle femme, de la déflorer et de la tuer la nuit-même. C’est au bout de trois ans que le vizir inquiet pour lui et ses filles, revient chez lui en expliquant que c’est soit elles, soit lui. Shahrâzâd et Dunyâzâd partent alors au palais, avec le plan précis de que la seconde demande à la première une histoire. C’est par ce moyen que leurs vies seront épargnées.

Dessin de costume pour la danse sacrée du Dieu Bleu, reproduit en couverture du programme souvenir de la 7ème saison des Ballets russes, Léon Bakst, P
Mais il est difficile de se figurer la personnalité précise de Shahrâzâd à travers les histoires qu’elle conte, pour la bonne raison qu’elle cherche à détourner l’attention d’elle-même et à dispenser le récit le plus long. Héroïne féminine, elle déjoue intelligemment la cruauté de Shâhriyâr, elle sauve son père et brille par son esprit. Son rôle est plutôt droit moralement, mais l’on connait davantage ses histoires (celles qu’on lui fait dire), qu’elle –même véritablement. En revanche, elle semble mystérieuse et héroïque. Cette figure de femme forte, qui tient tête à un homme, s’émancipe par la fiction, et peut en inspirer à bien des égards. Elle influence ainsi les arts, de la peinture, à la danse avec le Shahrâzâd de Fokine, crée pour les ballets russes de Diaghilev.

 Le pouvoir de l’évocation, du discours, des contes et du merveilleux

Scène de jour au harem ou Zenana, Iran, dynastie Qâjâr, déb. XIXe siècle
L’exposition nous montre ainsi le pouvoir des contes, la substance même du récit, les mille histoires dispensées : par plusieurs hauts-parleurs disséminés dans la visite, ou dans une salle en cercle au décor évocateur, les visiteurs peuvent prendre place sur des sièges et prêter l’oreille à une histoire spécifique.
Mêlant tous les univers : amour, guerre, animaux, chansons de cour, Shahrâzâd use d’une haute maîtrise aussi des genres, de la langue, et des styles. Elle développe ainsi un texte étonnant, qui surprend par ses retournements, ses dédales et ses méandres, elle a recours à la mise en abyme, aux répétitions, aux digressions en apparentant son récit à tantôt à une chronique historique, tantôt à une féérie, tantôt à un récit d’horreur ou une satire.
Par le pouvoir de l’évocation, de l’imagination et du merveilleux Shahrâzâd parvient à s’affranchir du sort qui l’attend, en transportant au loin Shâhriyâr.

Les propos parfois nouvellement sensuels inspirent des auteurs occidentaux, comme par exemple Diderot pour ses Bijoux Indiscrets. Mais la coloration des contes n’est pas uniforme. Elle dégage au contraire de multiples évocations : en lisant ou en écoutant les contes, on s’immerge dans un univers chatoyant et précis, où la cartographie minutieuse a pour effet de nous perdre dans les sinuosités de la fiction. En effet, les villes du Croissant Fertile sont citées (Bagdad, Damas, Le Caire, Jérusalem, la Mecque, mais aussi l’Andalousie, le Yémen, ou le Japon. Les villes et leurs palais somptueux, sont aussi prétextes à multiplier dans l’esprit du lecteur, la topographie. On se figure les terrasses, les salles, les chambres et tous les lieux secrets (passages, cour, lieux de repos), jusqu’à ce qu’on ne puisse plus forcément relier tous ces endroits. De la même manière, dans Sindbad le marin, la mer semble connaitre des circonvolutions imaginaires et par là-même être infinie.

Adrien Dauzats, Sindbad le marin, Bordeaux, 1868, Musée des Beaux-Arts de Bordeaux

Dans ces mondes infinis, insoupçonnés et  peu encore explorés, fait irruption le merveilleux. Entre Le Caire et Bassora, et plus on s’éloigne du Croissant fertile, et plus les noms des villes deviennent étranges. La bizarrerie s’introduit dans le récit, entrainant avec elle, une ribambelle de créatures comme des démons, des géants, ou des animaux mystérieux.  Dans ces mondes intermédiaires, il est facile de laisser vagabonder son imagination et de se laisser aller à la magie des contes.

Accompagnés en douceur et en évocations par la scénographie (salle des contes, grotte…) nous sortons dépaysés de cette exposition, avec une folle envie d’en découvrir les contes, que parachève la vue du toit de l’Institut du Monde Arabe (si vous en avez l’occasion).

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A voir :
Les Mille et une nuits,
à l’ Institut du monde arabe
1 rue des Fossés Saint-Bernard
75005 Paris


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Par Lu' Perard
posté le 15 mars à 15:15

Si vous avez été voir l'exposition "les Mille et une Nuits", je vous invite à remplir ce questionnaire que j'ai réalisé dans le cadre de mon mémoire s'il vous plaît. Merci. https://docs.google.com/forms/d/1UIA_FqmWuP6iDiC1LPhrs1I6x0qQ21OpOLCwlkhHjBA/viewform

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