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[feuilleton] Antoine Emaz, « Planche », 20 et fin

Par Florence Trocmé

C., la jeune stagiaire de lettres, me raconte ses déboires avec sa 2°7 qui semble aussi pourrie que ma 2°4 dont cinq élèves viennent d’être exclus trois jours pour insultes au collègue de physique… C. avait expliqué deux fois et mis au tableau la définition de la focalisation. Après une nouvelle question sur ce point, elle répond mais s’énerve et menace : « le prochain qui me demande ce que veut dire focalisation, je le vire ! » Cela n’a pas manqué « Madame, c’est quoi la focalisation ? » Donc, viré. Le gamin rentre chez lui et dit à sa mère : « j’ai été viré parce que je posais une question. » Fureur de la mère ; scandalisée, elle demande rendez-vous au proviseur, etc… 
On savait que mettre des stagiaires sans préparation devant des classes avec un emploi du temps complet de prof, c’était du hachis, gâchis. On y est, et c’est pénible, voire suicidaire. 
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Je n’aime pas ces moments de lumière anémiée, aube poussive ou crépuscule grisâtre. Je préfère le net, la découpe, le tranchant. Voilà peut-être la raison pour laquelle j’ai du mal avec l’automne : il est spongieux, humide. On entre dans un monde mou de journées sans fin pâles, peu propices, sans élan. Il y a eu deux trois jours de feuillages éclatants au Mail ; puis deux trois jours de tempête et de pluie, et il ne reste déjà plus rien que des ramures d’hiver. 
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J’ai eu tort de ne pas me mettre au reste de  copies cet après-midi. Je n’en ai rien tiré et je conserve le boulot devant alors qu’il y a demain Carrefour avec Gabriel. Mais bon, j’en avais assez. Reverdy : « J’ai tellement besoin de temps pour ne rien faire qu’il ne m’en reste plus pour travailler. » Besoin effectivement de cette paresse active, en attente. Aucun poème n’est venu, soit, cela ne veut pas dire qu’aucun poème n’aurait pu venir. 
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Entretien intéressant de Houellebecq avec Laure Adler, à la radio. Sa façon de prendre le contrepied de la question, de ne pas se laisser attirer par la séduction de son interlocutrice, sa manière d’assumer son trajet… Convaincant. Pas au point de me donner envie de lire Carte et territoire, je lis rarement les « prix ». Mais à la radio, le bonhomme a une présence très différente de celle des « savants ». Et je me sens assez proche de ça, même si je n’ai pas sa capacité pour se mettre en scène, retourner la question à l’envoyeur, botter en touche en demandant un clope… 
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Chausses. Toujours compliqué d’adapter la longueur. Mon texte faisait 3500 signes espaces compris, donc un peu court mais naturel. Pour monter à 4000, faut que je force un peu, développe une idée que j’aurais préféré laisser comme une simple indication. Mieux vaut reprendre cela demain, avec un œil lavé par la nuit. 
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Ramené Gab à Brissac. Fatigue et tension nerveuse, pas avec Gab, en moi. Pourtant le boulot est fait, la semaine est prévue, tout est en place. « Tristesse étrange » qui vient peut-être de ce ciel de soufre qui peine à s’éteindre. 
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Écrire vieillir : j’aimerais. Je l’ai déjà fait un peu, du dehors, avec les parents et Tata. J’aimerais le faire du dedans, avec mon corps comme cobaye ou lieu d’expérience. Non pas auto-fiction ou autre enfermement sur soi, mais partir de moi pour travailler ce phénomène : vieillir. 
épisodes 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19
©Antoine_Emaz 
Ainsi s’achève Planche, ensemble de notes qu’Antoine Emaz a bien voulu confier à Poezibao pour une publication en feuilleton.  
Un nouveau feuilleton commencera le lundi 4 mars : Gradubidus de Françoise Biger. 


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